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Mime le Forgeron chez les Bédouins français

On se rappelle peut-être de la présence de Mime chez Richard Strauss, un cliché musical en guise de clin d'oeil.

On le trouve aussi en France.

Lorsque Gabriel Dupont met en musique en 1913 le poème dramatique de Chekri Ganem (qui avait été représenté à Paris en 1910), les trois volets manquants de la Tétralogie de Wagner, bien connue cependant des musiciens, viennent à peine d'être créés en France.

Voir les extraits ci-après :


Vous entendez successivement :

  1. Le début de la deuxième scène du premier acte d'Antar de Dupont, sur le texte original (coupé) de Chekri Ganem. Composé en 1913-4, créé en 1921. Kemal Yasar (Malek), Enrico Marrucci (Amarat), et surtout le vaillant Tomohiro Takada (Cheyboub). Le choeur de l'Opéra de Kiel (ainsi que ses compléments) et l'Orchestre Philharmonique de Kiel sont dirigés par Georg Fritzsch, tout récemment, le samedi 2 mai 2009. [Il suffisait d'écouter la bonne radio.]
  2. La forge des Nibelungen, interlude de Rheingold (descente au Nibelheim) de Richard Wagner. Bernard Haitink dirige en studio l'Orchestre de la Radio de Munich.
  3. Extrait du Prélude de Siegfried, avec le thème de la forge de Mime.
  4. Le retour de ce motif chez Richard Strauss, dans _Intermezzo_, à des fins comiques.

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Avant commentaire, voici le texte du premier extrait.
Le berger Antar vient de sauver la fille de l'émir Malek (qu'il aime, sans avoir osé demander sa main), et de dérouter les ennemis de son maître. Cheyhoub, son demi-frère qui a participé au combat, s'adresse à l'émir ingrat.

Malek, à Amarat
Ma fille, je te l'ai promise.
Et tu l'auras malgré leurs cris...

Amarat
Tu peux disposer à ta guise
De mes richesses pour son prix...
[ndCSS : Amarat parle du prix du courage d'Antar.]

Malek, s'avançant vers les Chefs et les Bergers
On m'a dit que, dans notre absence,
Antar, le berger, fut parfait
Et qu'il mérite, à cet effet.
Récompense.

Cheyboub, hautain et narquois
Sa récompense, émir, est d'avoir réussi
A nous permettre, à tous, de nous trouver ici :
Tel émir retrouvant sa fille ;
L'autre, son bien et son troupeau ;
Un autre, intacte sa famille ;
Et nous, intacte notre peau !

Amarat
Quelle allure et quelle insolence!

Cheyhoub, à Malek
Voilà comment, en votre absence,
Il fut parfait. Cela vaut-il ta récompense?

Amarat, ''examinant dédaigneusement Cheyhoub,
Quelle audace! Et quel pauvre aspect !
C'est trop nous manquer de respect !
Tu n'es pas Antar?

Gheybonb, se contenant Oh ! non, certes !
Ce serait, mon émir, ta perte
Si j'étais lui.
Mon burnous seul au sien ressemble,
Tous deux se sont battus ensemble
Tout aujourd'hui.
Et s'il montre ses déchirures,
C'est qu'il les prend pour des blessures ;
Mais il a tort :
Pour parler sans qu'on le rudoie,
Il faut qu'il soit tissé de soie
Et brodé d'or !

Les Bergers
Bravo, Cheyhoub ! Ha ! Ha ! Bien dit !

Cheyhoub, à ses vêtements. Non, non, silence !
Devant ces burnous d'opulence,
Hardes faites à coup de lance.
Comme un tamis !
Vous avez trop d'yeux, trop d'oreilles
Pour prétendre avoir ces merveilles
Qu'on nomme : amis !

Bergers, Guerriers et plusieurs Chefs.
Bravo, Cheyhoub !

--

Cette rupture qui amène la citation (sur Et s'il montre ses déchirures) est très étrange, parce qu'elle semble signaler une citation volontaire, alors que, du point de vue du sens, on ne voit pas trop ce qui aurait pu motiver la référence. D'autant que les références de Dupont ne sont pas précisément wagnériennes : fils d'un ami de Guilmant, formé auprès de Widor et Vierne, avec Massenet pour premier maître ; un grand goût pour l'opéra français de son temps ; et bien sûr, et c'est cela qui s'entend le plus chez lui, un goût quelque part entre Fauré et Debussy (dont il adorait le Pelléas).

Son univers littéraire non plus n'est pas spécialement wagnérien. Quatre opéras : La Cabrera, opéra vériste avec lequel il remporte l'éphémère mais prestigieux Concours lyrique Sonzogno de Milan ; La Glu, « drame musical populaire » ; La Farce du Cuvier (dont on trouve encore l'ouverture dans d'anciennes interprétations) ; et cet Antar, emprunté à un poète libanais de langue française, qui exploite le fonds épique arabe. Bref, pas vraiment de germanisme galopant chez Dupont. Même en moquerie, vu la place peu signifiante du motif, c'est plus qu'improbable.

Qu'importe, c'était l'occasion de faire entendre la bizarrerie.

--

Surtout, il nous brûlait les doigts de causer de cet Antar, qui est véritablement un grand chef-d'oeuvre, à la déclamation fluide, au lyrisme intense, à l'orchestration très originale, nullement ostentatoire, mais riche et évocatrice. Et cette variété de climats que vous entendez si bien dans cet extrait.

C'est la première fois que l'oeuvre était rejouée. Kiel étant l'une des bases avancées de CPO, qui sait, peut-être aurons-nous prochainement une bonne surprise ?

En attendant, vous pouvez toujours vous plonger dans la pièce complète de Chekri Ganem, à la fois poète et figure politique (ayant participé à la libération du Liban des Ottomans) ; c'est un jalon de toute façon important, puisqu'il est considéré comme la principale figure patriarcale de la littérature libanaise de langue française.

On peut feuilleter le livre ici.

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