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Ethnocentrisme français et enjeux linguistiques


A contre-courant de l'actualité la plus abondamment traitée ces temps-ci, un mot sur la perception française d'enjeux linguistiques minoritaires.

Les médias français ont beaucoup fait leurs choux gras de ces administrations, de ces conseils municipaux belges où, même lorsque tout le monde est francophone, il est obligatoire de parler flamand.
Une manifestation inique de sentiments racistes, l'image de ce que produirait un gouvernement frontiste en France : la défiance absolue envers tout ce qui est différent, l'exigence impérieuse que l'autre devienne un même que soi.

Il n'est sans doute pas faux que ces obligations peuvent être nourries par des considérations hostiles envers les wallons - en France, dans le 24, on crève parfois encore les pneus des 33 venus chercher des champignons...

Néanmoins, présenter les choses sous cet angle, c'est biaiser le regard. Pas seulement par souci de faire scandaleux et sensationnel, mais aussi parce que les journalistes français vivent dans une culture de langue unique, majoritaire et rayonnante qui rend la situation moins compréhensible.

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Pour quelle raison peut-on obliger par exemple un conseil municipal tout entier composé de francophones à s'exprimer en flamand ? Deux réponses pratiques :

  • Parce que le public n'est pas forcément entièrement francophone - et qu'on est en région flamande.
  • Parce qu'en France, un village peuplé à 100% d'anglais ne voterait ses décisions de conseil municipal en anglais. Certes, la perméabilité des deux langues officielles est plus grande en Belgique, mais la logique légale se tient très bien.


En réalité, la question est amplement plus profonde.

1) Il s'agit, pour les résidents, de pouvoir s'exprimer dans leur langue sans se trouver sans cesse face à des gens censés la parler mais qui préfèrent parler la leur. Tout le monde n'a pas la même maîtrise des langues, et obliger à tout coin de rue aux gens de se mobiliser dans une autre langue, c'est une forme de gêne un peu discourtoise. Demandez à un français de s'exprimer une fois sur deux en anglais (qu'il a pourtant commencé à apprendre plus tôt !) et on rediscutera du confort de ne pas pouvoir choisir sa langue.

2) Les francophones belges sont à l'image des français très mauvais en langues. Ce qui fait que les flamands sont capables de communiquer là où leurs homologues extralinguistiques en sont incapables. Disymétrie pénible, voire vexante.

3) Et surtout, le point qu'il est difficile de concevoir en tant que français : le flamand est une langue singulière (quoique très proche du néerlandais, à un peu de vocabulaire près), limitée à cette seule partie du monde, et avec un patrimoine culturel sensiblement réduit. Si les flamands ne la parlent plus chez eux, cette langue et sa culture attenante sont amenées à disparaître.
C'est ce que ne comprend pas spontanément un français : les flamands acceptent de parler flamand en wallonie, mais exigent que sur leur territoire, les wallons (et non les français, d'ailleurs) s'expriment dans leur langue qu'ils ont étudiée. Evidemment, un français pourrait dire qu'ils n'ont qu'à être accommodants, comme un français peut faire l'effort de baragouiner trois mots d'anglais à un touriste (ce qui n'arrive jamais au demeurant, faute également de compétences orales...).
Seulement :
a) la chose est très fréquente, surtout dans les communes autour de Bruxelles, largement peuplées de francophones ;
b) si les français de telle ou telle région ne parlaient plus français de la journée, la culture française sur un vaste territoire et dans de nombreux pays ne serait pas menacée. Pour un flamand, si sur son petit territoire sa culture très peu universelle n'est plus pratiquée, elle n'existe plus.

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Il ne s'agit pas de prendre position dans ces questions difficiles, et souvent très idéologisées ; mais ce ce sont ces éléments qui manquent aux français pour concevoir une certaine légitimité à cette crispation linguistique (non réciprocité, et nécessité de la survie).


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Commentaires

1. Le lundi 31 août 2009 à , par Papageno :: site

Désolé de vous reprendre pour un simple lapsus mais << les flamands acceptent de parler **français** en wallonie, >> je suppose ?

Sinon, les flamands sont tellement pénibles avec leur crispation linguistiquo-identitaire que lorsqu'on va à Bruges par exemple il vaut mieux leur parler en anglais: on passe pour un vrai touriste et non pour un wallon francophone qui a séché ses cours de flamand à l'école, et par conséquent l'on est reçu avec le sourire ...

2. Le mardi 1 septembre 2009 à , par lou :: site

En somme, le français est une simple langue étrangère, pas une langue étrangère simple, qu'il ne faudrait pas imposer aux autres, en particulier quand on ne parle pas la langue des autres.
C'est clair, non ?
Et pourtant, si notre patrie, le monde, voulait bien ne reconnaître que le français, l'anglais, le latin et, pour l'ouverture biblique, le grec ancien, voire l'hébreu, comme tout serait plus simple ! Et pourtant, le wolof a son charme et on ne parle pas du bambara qu'on ne parle pas, au reste.
Je me demande si ce commentaire est bien lisible en français - et pourtant, je ne vais pas le traduire en flamand, j'en serais incapable, contrairement à toi, David - tu parles en langues dans l'esprit de Mc, 16, 17-18 ---
--- l'esprit ? lequel ? au nom de la rose, parler en langues procède du mauvais esprit.
Wit, quand tu nous tiens...

3. Le jeudi 3 septembre 2009 à , par adriaticoboy

Les francophones belges sont à l'image des français très mauvais en langues. Ce qui fait que les flamands sont capables de communiquer là où leurs homologues extralinguistiques en sont incapables. Disymétrie pénible, voire vexante.


Les flamands sont-ils vraiment meilleurs en français que les wallons en flamand ?
J'ai rarement eu l'occasion d'entendre des wallons parler le flamand, et de toute façon je serais bien incapable de juger leur niveau. Par contre j'ai une multitude d'exemples de flamands (politiques, artistes, sportifs...) ânonnant un français au mieux erratique et le plus souvent incompréhensible.

4. Le jeudi 3 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Bonsoir à tous, et mes excuses pour le petit délai.

Oui, Patrick, vous avez évidemment bien lu ce qu'il fallait lire et qui n'était pas écrit. Merci de l'avoir signalé. :-)

Lou, toi tu ne parles pas en langues : tu parles en signes. :) Presque une collection de vexilla plantés ici et là. Et même, des fois, en stigmates, mais c'est encore une autre affaire.
Il est temps que l'UE adopte le latin comme langue officielle pour qu'on puisse enfin se comprendre entre sauvages, parce que ça finit par devenir aussi lent à se terminer que Babel.

Adriatico, je n'ai pas de statistiques, mais :
- pour avoir fréquenté des wallons de près, c'est ce qu'ils reconnaissaient eux-mêmes, mal parler le flamand comme leurs congénères, et en concevoir une certaine gêne (à la fois pour obtenir un emploi à Bruxelles et par pincement à la conscience de ne pas avoir fait autant d'effort que les voisins...) ;
- c'est ce que répètent les analystes et hommes politiques des deux communautés.

Je constate aussi que je n'ai jamais vu (et pour cause, sans doute, puisque j'écoute en priorité en français...) de francophone s'exprimer dans un flamand aisé, alors que l'inverse est assez courant, y compris chez des flamands fortement nationalistes (qui s'adresseront courtoisement en français au français, mais refuseront de faire l'effort face à un compatriote francophone lorsqu'ils sont chez eux).

Donc je n'ai pas de preuves (donnée qualitative sans doute assez difficile à chiffrer sur la maîtrise relative des langues), mais c'est un constat qui semble être assez communément accepté comme valide, et qui est confirmé par mon expérience et mon observation. Si tu as plus d'infos, je prends bien volontiers, cela dit.

5. Le vendredi 4 septembre 2009 à , par adriaticoboy

Si tu as plus d'infos, je prends bien volontiers, cela dit.


Non, non, je ne sais rien, et je te fais confiance, bien sûr. C'est juste qu'il faut faire un petit effort d'imagination, vu que, comme je le disais, nous Français ne sommes pas du tout habitués à entendre les Belges francophones se dépatouiller en flamand.

6. Le samedi 5 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec

Sur ce chapitre, je me fonde donc sur les aveux des wallons eux-mêmes (il me paraît raisonnable, en ces temps de tension, d'imaginer qu'ils sont de bonne foi lorsqu'ils battent leur coulpe), mais j'avoue (à ma grande honte, il est vrai) ne pas écouter très régulièrement les radios flamandes. :-(

7. Le dimanche 6 septembre 2009 à , par Morloch :: site

Au fait, quelqu'un a-t-il entendu Gégé Mortier en espagnol ?

8. Le mardi 8 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec

Le perfide ! :-)

C'est difficile à trouver (pour l'instant seulement, rassure-toi), mais manifestement il n'a pas perdu ses atouts de flemish lover :

Madrid no es tan duro como París

Où l'on apprend qu'il souhaite monter Die Eroberung von Mexico ! On peut redouter la mise en scène un peu basse de plafond façon Aida coloniale ou Fledermaus de Neuenfels, mais au moins on pourra entendre ce bijou postverdien sur scène. Enfin, postverdien, je veux dire pour le style vocal, pas pour les harmonies, hein...

Il n'a quand même pas beaucoup de fair-play : à chaque fois qu'il quitte une capitale après l'avoir ruinée, il la juge étriquée et pas assez bien pour lui... Avec Madrid, c'est encore mieux, il commence par là. :-)

Vraiment, je regrette qu'il n'ait pas fait New York, on aurait rigolé.

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