[concert] Romances Louis XVI à l'Archipel : Isabelle Desrochers et Pierre Trocellier
Par DavidLeMarrec, samedi 3 octobre 2009 à :: Saison 2009-2010 - Baroque français et tragédie lyrique - Opéra-comique (et opérette) - Opéras de l'ère classique - Andromaque de Grétry (1780) :: #1373 :: rss
Il aurait peut-être fallu prêter plus ample attention au titre, que les lutins avaient pu croire uniquement promotionnel :
Musique au temps de Marie-Antoinette
Car il ne s'agissait pas d'une simple coquetterie, mais bien du sens de tout le programme.

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1. Programme
Jeudi 1er octobre 2009 à L'Archipel (20h30-21h45)
Duphly : La Pothouin (clavecin). Comme souvent chez Duphly, on reconnaît d'où vient "l'inspiration". Ici, les doubles rappellent furieusement ceux de la Gavotte de la Suite en la de Rameau. Très belle musique au demeurant.
Marie-Antoinette : C'est mon ami
(François) Couperin : Musette (clavecin)
Hinner : Aurore renaissante (le professeur de harpe de Marie-Antoinette, mais moins bon compositeur qu'elle)
Francoeur : Loin de vos coeurs (Francoeur était considéré comme le spécialiste des airs tendres dans son duo avec François Rebel)
Dandrieu : Muette (clavecin)
Exaudet : Cet étang qui s'étend
Pergolèse : Que ne suis-je la fougère
Rameau : La Livri, rondeau (clavecin)
Garat : Le souvenir
Garat : Il était là
Gounod : O ma belle rebelle
Pancrace Royer : La Sensible (clavecin)
Monsigny : O ma tendre musette
Dauvergne : Sicilienne
Martini : Plaisir d'amourIsabelle Desrochers, soprano
Pierre Trocellier, clavecin
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2. Interprètes
On commence par l'exécution. Isabelle Desrochers se montre exemplaire à son habitude : délicate, sobre, elle allège au maximum sa voix pour éviter de saturer la toute petite salle avec des moyens d'opéra. Pierre Trocellier nous a moins séduit - indépendamment de petites erreurs çà et là, l'invention des phrasés a pu paraître limitée à une inégalité un peu systématique, qui ménageait relativement peu de surprises. Un sentiment en tout cas, mais il faut bien dire que le répertoire était en lui-même périlleux, non pas techniquement, mais pour le styliste et l'interprète.
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3. Principe
Le concert partait en réalité d'un concept qui nous aurait sans doute, si nous l'avions sçeü [1], tenus écartés, mon compère korriganisant et moi-même, de l'Archipel ce soir-là.
Il s'agissait en effet de produire une série de romances, toutes sur le même patron strictement strophique, toutes sur le même thème de l'élégie palote (pour ne pas dire blafarde), par des compositeurs très divers, mais à chaque fois considérés sous ce même angle. Le clavecin, lui, alignait imperturbablement les musettes des meilleurs compositeurs du temps (mais quel besoin d'aller réveiller anachroniquement Couperin pour une Musette ?).
Sur l'heure et quart de concert sans entracte, qui est un point fort de l'Archipel, un sentiment de lassitude naît assez vite : la musique très nue, voire délibérément banale, ajoutée aux textes stéréotypés et faibles sur l'amour pastoral déçu, mais sans la moindre profondeur psychologique ni le moindre effet verbal, finissait par paraître tirée du même robinet insipide.
Non pas que je n'aime pas la musique Louis XVI (en dépit de son classicisme parfois inoffensif), ni même les bluettes de salon, mais aligner pendant plus d'une heure une seule couleur à la fois musicale, stylistique et poétique, qui plus est dans un genre pas très riche ni surprenant, c'était assurément risquer l'indigestion. Oh, sympathique indigestion au demeurant, rien qui ne fatigue pour le reste de la soirée, assurément.
Mais introduire des airs d'opéras, même galants, ou bien des romances sur un autre sujet, un peu de clavecin plus mélancolique ou plus brillant, cela aurait indubitablement assuré une moins grande uniformité à la soirée.
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4. Reliefs
Dans le programme lui-même, se distinguent essentiellement, sans surprise, François Francoeur, Antoine Dauvergne et Pierre-Alexandre Monsigny, connus pour leurs ouvrages lyriques scéniques de belle facture (Pyrame et Thisbé, Les Troqueurs, Le Déserteur...).
Le seul texte contenant un minimum de saveur était celui employé par Favart sur l'air du "menuet d'Exaudet", le fameux Cet étang / Qui s'étend :
Cet étang,
Qui s'étend
Dans la plaine,
Répète, au sein de ses eaux,
Ces verdoyants ormeaux,
Où le pampre s'enchaîne.
Un ciel pur,
Un azur
Sans nuages
Vivement s'y réfléchit,
Le tableau s'enrichit
D'images.Mais tandis que l'on admire
Cette onde où le ciel se mire,
Un zéphir
Vient ternir
Sa surface :D'un souffle il confond les traits ;
L'éclat de tant d'objets
S'efface.Un désir,
Un soupir,
O ma fille !Peut ainsi troubler un cœur
Où règne le bonheur,
Où la sagesse brille :
Le repos,
Sur les eaux,Peut renaître ;
Mais il s'enfuit sans retour
Dans un cœur dont l'amour
Est maître.
[J'ai conservé l'agencement de la citation de Castil-Blaze.]
Tout simplement, les mètres brefs et accidentés produisent quelque chose d'un peu plus imprévu et remarquable que le tout-venant. Il s'agit en réalité d'une parodie d'air galant, présentée dès 1769 par Charles Simon Favart à Fontainebleau devant le roi dans La Rosière de Salenci (ou Salency, comédie en trois actes mêlée d'ariettes de Blaise, Philidor, Monsigny et Duni).
Côté instrumental, Rameau ne peine à pas à soutenir plus l'intérêt que les autres. Pergolèse, lui, montre des teintes légèrement différentes, plus mélancoliques, une harmonie plus saillante (pas forcément plus raffinée). L'oeuvre de Marie-Antoinette paraît elle-même pas du tout inférieure aux autres gentilleries du programme : une jolie mélodie strophique, un peu longue peut-être par rapport à ce que font les vrais compositeurs, qui se répète agréablement à l'infini sur un texte insipide.
Le programme se concluait immanquablement par Plaisir d'amour de Martini, qui ne vaut ni plus ni moins que le reste, avec pour seule vertu que ne comportant que deux strophes et animé par un petit refrain, la concision lui procure presque quelque relief. Peut-être aussi est-ce le vers L'eau coule encore, elle a changé pourtant, la seule trouvaille poétique du texte [2] et l'une des rares du concert, qui l'ont rendu plus intéressant qu'à l'habitude.
Le concert s'achevait par un bis impromptu très à propos : Yesterday de McCartney, avec un accompagnement baroquisant délicieusement ornementé au clavecin. Une pièce simple (quoique harmoniquement la plus osée du concert...), dont la thématique reprenait tout en la mettant en distance (Yesterday - love was such an easy game to play) celle du concert.
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5. Dispositif
La vidéo de vacances qui accompagnait le spectacle (en boucle, la fin de la soirée a revu passer le début du film) était conçue comme un contrepoint pertinent à l'esprit des pièces jouées : dans Trianon, on contemple des gens ordinaires, les animaux, le tout avec une simplicité sans fard, une naïve admiration. Peut-être aussi espérait-on rendre l'ensemble moins monotone.
En fin de compte, après avoir distrait un peu l'attention auditive au début du concert, la vidéo finit par ne plus du tout suffire à divertir l'esprit de ces schémas harmoniques et poétiques totalement clos et assez asséchés. On peut aussi s'interroger sur la qualité du parallèle : on ne regarde pas une vie simple idéalisée, mais des touristes qui vivent dans une société d'abondance dont ils se croient prisonniers et cherchent à se divertir en allant contempler les demeures des anciens rois.
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En fin de compte, donc, une soirée avec beaucoup de raretés, très bien interprétée et donc tout à fait intéressante. Mais il s'agissait plus, au bout du compte, d'une soirée documentaire sur la romance chantée et la musette instrumentale des salons de Marie-Antoinette que d'un concert Louis XVI qu'on aurait du plaisir à écouter en tant que tel.
De quoi nourrir la réflexion, mais pas vraiment un délice de spectateur - du moins pour les représentants lutinisés qui étaient présents.
Notes
[1] Non, ce concert n'était pas en prononciation restituée 1490...
[2] Il faut tout de même préciser qu'il ne s'agit que d'un extrait de roman, et pas d'une publication poétique qui se prétendrait digne de valeur isolée. Dans la Célestine de Jean Pierre Claris de Florian, on nous introduit en effet la romance comme exprimée au moyen d'une flûte champêtre par une voix douce, mais sans culture. Sa candeur presque niaise est donc tout à fait désirée et compréhensible dans ce contexte qui n'entend pas faire oeuvre de création hautement raffinée. Jean Paul Egide Martini, musicien autrichien (il s'appelait en réalité Schwarzendorf) attaché à Stanisław Leszczyński, a ensuite fait le choix de l'isoler pour la mettre en musique.
Commentaires
1. Le samedi 3 octobre 2009 à , par Algernon
2. Le samedi 3 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le dimanche 4 octobre 2009 à , par Morloch-Nhofsz del 凡志
4. Le lundi 5 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le mardi 6 octobre 2009 à , par WoO
6. Le mardi 6 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
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