R. Strauss - Salomé enfant - Opéra Bastille, novembre 2009
Par DavidLeMarrec, vendredi 27 novembre 2009 à :: Saison 2009-2010 - Vienne décade, et Richard Strauss :: #1419 :: rss
1. Programme
(Mercredi 25 novembre.)
Direction musicale : Alain Altinoglu
Orchestre de l’Opéra National de ParisMise en scène : Lev Dodin
Décors et costumes : David Borovsky
Lumières : Jean Kalman
Chorégraphie : Jourii Vassilkov
Valerii Galendeev : Collaboration artistiqueSalome : Camilla Nylund
Jochanaan : Vincent Le Texier
Herodias : Julia Juon
Herodes : Thomas Moser
Narraboth : Xavier Mas
Page der Herodias : Varduhi Abrahamyan
Erster Jude : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Zweiter Jude : Eric Huchet
Dritter Jude : Vincent Delhoume
Vierter Jude : Andreas Jäggi
Fünfter Jude : Gregory Reinhart
Erster Soldat : Nicolas Courjal
Zweiter Soldat : Scott Wilde
Erster Nazarener : Nahuel Di Pierro
Zweiter Nazarener : Ugo Rabec
Ein Cappadocier : Antoine Garcin
--
2. Situation
Placé dans les tout premiers rangs d'orchestre grâce à un bon plan hasardeux, et heureusement (effectivement Nylund est peu sonore et Altinoglu au contraire assez volumineux).
Mais, de là à Bastille, on sent les voix, et on se plonge de ce fait bien mieux dans le drame (la première fois aussi que je dispose d'un siège, qui sont parfaitement confortables...).
--
3. Oeuvre et mise en scène
Il faut dire que dans Salome, pas un instant de répit musical ou dramatique, tout est terriblement dense ; la traduction de Hedwig Lachmann est très comparable à l'essence du texte original de Wilde, et la musique à la fois exotique, voluptueuse, riche et violente est un sommet de l'histoire musicale, un grand flot de fulgurances ininterrompues.
La mise en scène de Lev Dodin bénéficie d'un bel espace scénique. Escalier à gauche (qui n'est malheureusement employé que pour la danse de Salomé), fenêtre à droite (d'où les Cinq Juifs contemplent, horrifiés et vindicatifs, les blasphèmes d'Hérode) ; au fond des cyprès ou des pics montagneux qui évoquent de très près les peintures mythologiques de Gustave Moreau - le procédé d'emprunt aux peintres est souvent heureux, il suffit de considérer l'usage de Böcklin par Richard Peduzzi pour le Ring de Patrice Chéreau à Bayreuth.
Derrière ces formes fantastiques se tient une lune qui traverse le fond de scène de cour en jardin durant l'intrigue. Ce n'est pas tout à fait un accessoire anodin : tous les personnages lui accordent une grande importance au début, en particulier le page et Salomé. Pour cette dernière, la lune est un symbole de chasteté, et lorsque Salomé contemple Jean-Baptiste, elle se met à clignoter furieusement, comme affolée par des signaux nouveaux qui parviennent à la jeune fille. L'équilibre entre jour et nuit fluctue lui aussi au gré de l'action (l'orangé dans le bleuté du fond de scène croît ou décroît selon le sens des scènes).
La mise en scène, malgré un côté modérément mobile et pas très originale, ménage un certain nombre de ces détails signifiants qui font vraiment plaisir à goûter, qui apportent à la pensée.
Il est un peu dommage que la lecture de Dodin se limite donc, dans sa direction d'acteurs proprement dite, à l'image d'une Salomé enfant qui fait son caprice. Certes, le texte comprend cela, mais de même que Salomé n'est pas une femme aboutie, en faire une enfant capricieuse est altérer sa dimension fondamentalement ambiguë, enfant qui désire, et adulte incapable de supporter la frustration - adolescente pour tout dire. Sa folie aussi se résume à un caprice, fort bien argumenté par Dodin au demeurant, mais qui ne grandit pas tout à fait le mythe. Comme Camilla Nylund incarne à la perfection ces directives, on s'en repaît sans murmurer, mais le metteur a manifesté suffisamment d'idées par ailleurs pour qu'on reste sur sa faim sur ce choix constant, sans réelles ambivalences.
Bref, on est très loin de la catastrophe de la Dame de Pique mais on retrouve peut-être le côté réducteur du concept unique.
Il n'empêche que le résultat est tout à fait délectable, entendons-nous bien.
--
4. Interprétation
La direction d'Alain Altinoglu tirait, sans élan irrépressible pourtant, vers le lyrique, ce qui amoindrissait la lisibilité des tuilages de motifs et la subversion musicale qui sont si séduisants ici. Souvent un peu fort aussi par rapport au plateau, et pas toujours nettement détaillé, mais pour ces éléments-ci, le placement tout près de la fosse ne permet pas de rendre justice au véritable effet dans l'ensemble de la salle en termes d'homogénéité et de lisibilité ; par ailleurs on sait que structurellement, à Bastille, l'orchestre est très flatté, particulièrement depuis que la fosse a été rehaussée il y a quelques années.
Mais on n'a pas été bouleversé par ce chef dont on aime beaucoup, par ailleurs, le travail dans l'opéra français.
Thomas Moser (Hérode Antipas), sans doute fatigué, étonne en pensant qu'il parvenait à tenir tête au Philharmonique de Vienne en Tristan : la voix n'est pas sonore du tout.
Julia Juon, excellent souvenir en Kundry, ne m'a pas tellement bouleversé, avec un personnage plus blasé que vénéneux, pas très épais en réalité, mais c'était le choix de la mise en scène et l'ensemble de son incarnation, y compris vocale, s'en est peut-être ressentie.
Conformément à ce qu'on m'avait dit, Vincent Le Texier (Jochanaan), si sobre dans ses rôles bordelais (Jupiter de Platée ou Don Alfonso de Così fan tutte), dispose effectivement d'un gros volume, mais je dois rejoindre à regret ses détracteurs les plus féroces : c'est un chant volumineux mais pas forcément très bien projeté, qui produit des sortes de hurlements rauques dont il est impossible de distinguer la valeur phonologique ni la signification expressive. Le résultat est gros et sonore, mais en permanence identique, et très laid. La vision de Dodin du prophète n'est par ailleurs pas suffisamment élaborée pour qu'il puisse compenser scéniquement, empêtré dans son long manteau blanc, dissimulé par sa barbe, et entravé par la composition d'homme au bord de l'épuisement qui lui est demandée. Bref, en ne conservant que l'hirsute, cette composition vocale ne rend même pas justice à la part la plus superficielle du personnage.
Xavier Mas, Narraboth de haute tenue, montre combien sa voix mozartienne s'est épaissie, dans le meilleur sens du terme, gagnant en substance sans se durcir. C'est une lecture plus vaillante d'amoureuse, mais elle est tout à fait cohérente. Il confirme la belle carrière qui lui est pronostiquée par tous.
Quant à Camilla Nylund, elle avait déçu par une supposée tiédeur ceux qui avaient vu Mattila. Il convient peut-être de remettre l'église au milieu du village. La voix est certes assez peu vaste et surtout très peu percutante, ce qui devait la rendre très peu audible au fond de Bastille.
Mais la tenue en est superbe, dans tous les registres (et les graves qui n'y sont pas sont 'inventés' avec un panache impressionnant), avec en particulier un aigu remarquablement libéré. La technique et le timbre font beaucoup penser au moule finnois de type Mattila, avec cette grande ductilité jusque dans l'ampleur, cette maîtrise du vocabulaire 'grand lyrique' et cette suavité légèrement acidulée du timbre. Néanmoins, on note par moment un vibrato assez ample qui fait penser, pour le coup, à... Gwyneth Jones - c'est-à-dire un vibrato dont l'ambitus approche le demi-ton, même s'il est plus rapide que celui de Jones et moins serré que celui du 'syndrome Tarzan' qu'ont Gabriel Sadé ou Peter Seiffert dans les jours de fatigue. [1] Cela annonce peut-être un vieillissement précoce ou désagréable de la voix, mais pour l'heure, le résultat est magnifique.
Par ailleurs, la conviction de l'artiste est totale, et suscite l'empathie complète. Une grande incarnation, vraiment.
Il faut aussi signaler quelques seconds rôles excellents, à commencer par Wolfgang Ablinger-Sperrhacke en Premier Juif, d'une virtuosité verbale dans un rôle aussi réduit qui est peut-être même l'exploit de la soirée, dans la lignée à la fois scrupuleuse musicalement et extravertie textuellement du Graham Clark des meilleurs jours - et en plus une superbe voix de ténor de caractère bien équilibrée. Andreas Jäggi et Gregory Reinhart en Quatrième et Cinquième Juifs sont aussi de grands luxes.
Et l'on peut aussi saluer la belle présence de Nicolas Courjal (Premier Soldat, déjà extraordinaire en Lamoral d'Arabella dans la mise en scène de Mussbach au Châtelet), de Nahuel Di Pierro (Premier Nazaréen) et dans une moins mesure d'Ugo Rabec (Second Nazaréen).
Et partout de belles voix solides.
Très belle soirée.
Notes
[1] Pas de panique, une notule sur le vibrato et ses secrets est en préparation.
Commentaires
1. Le mercredi 2 décembre 2009 à , par Simon (Wolfgang)
2. Le mercredi 2 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le mercredi 2 décembre 2009 à , par Simon
4. Le mercredi 2 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le samedi 5 décembre 2009 à , par Jean-Charles
6. Le samedi 5 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
7. Le samedi 5 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
8. Le dimanche 6 décembre 2009 à , par Jean-Charles
9. Le dimanche 6 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
Ajouter un commentaire