Amadis brouillon d'Armide - (LULLY, Opéra de Massy, dir. Schneebeli)
Par DavidLeMarrec, dimanche 7 février 2010 à :: Baroque français et tragédie lyrique - Saison 2009-2010 :: #1470 :: rss
Quelques mots sur l'Amadis qui se joue encore aujourd'hui à l'Opéra de Massy.
1. L'oeuvre
Le livret de Quinault est faible cette fois-ci :
- Très lent : quasiment deux actes d'exposition, un troisième acte inutile, un cinquième acte tout entier pour les retrouvailles heureuses.
- Des méchants caricaturaux et des gentils niais : deux vilains enchanteurs faits pour la haine, une gentille fée sans motivation.
- Des enchaînements dramatiques sans aucune nécessité : uniquement dûs à la magie, ce qui dépasse largement l'intervention traditionnelle du deus ex machina appelé pour résoudre une situation insoluble.
- Des personnages peu attachants : Oriane n'apparaît pas pendant les actes II et III, on l'a à peine vue qu'on doit attendre l'acte IV pour la prendre en compassion. Corisande et Florestan ne font que minauder leur amour constant sans aucune variation psychologique et aucune incidence dramatique. Tout juste mettent-ils en valeur les douceurs de la constance au I et les douleurs de l'emprisonnement au III, comme aurait pu le faire un soliste issu des choeurs...
La musique n'est pas toujours inspirée non plus, beaucoup d'ariosos de basses-tailles qui doublent simplement la basse, comme c'est d'usage certes, mais ici de façon très récurrente. Valeur mélodique souvent faible. Se détachent surtout l'air d'Amadis à l'acte I, et surtout tout l'acte IV, une orgie de beautés lullystes, parmi ce qu'il a écrit de plus inspiré, où s'enchaînent une variété de sentiment, une qualité de déclamation et une prégnance mélodique qui n'ont que peu d'équivalents dans ce répertoire. Il faut aussi mentionner la formidable chaconne finale, de dimensions très majestueuses, et dont le thème, moins mémorable que d'autres, est varié de façon plus qu'admirable.
En maint endroit, on peut y voir une préfiguration des trouvailles d'Armide :
- Le choeur de séduction à l'acte II rappelle les enchantements aimables et les songes agréables de l'acte II d'Armide - la basse continue se tait, seules les cordes parlent, on entend comme quelque chose de suspendu dans le médium. La fin de l'acte IV, quant à elle, utilise un duo a cappella. Tout cela annonce la formidable audace (qui se sent mal au disque, mais paraît vertigineux dans la salle) des danses de l'acte II d'Armide, lorsque tout l'orchestre fait silence et que le choeur énonce Ah quelle erreur, quelle folie ! / De ne pas jouir de la vie.
- L'entrée d'Arcalaüs dans le cachot d'Oriane (acte IV) s'apparente elle aussi, avec ses mouvements harmoniques emportés et majestueux de basse continue, celle d'Hidraot à l'acte I d'Armide.
- La grande chaconne enfin et bien évidemment rappelle Armide par ses proportions et son organisation : grandes variations orchestrales (avec épisodes de flûtes seules, ici en quintette), interrompues par une grande scène avec solistes et choeurs. Dans Amadis, c'est quasiment une forme vaudeville avant l'heure où chaque personnage vient dire sa part de la moralité finale.
Il faut cependant se rappeler qu'Amadis est un coup d'essai : le premier opéra français à sujet non mythologique (voire le premier opéra sérieux non antique, toutes langues confondues), utilisant un sujet vieux de quelques siècles à peine, les quatorze tomes du vaste roman médiéval consacré à Amadis de Gaule. Si Roland l'année suivante puis Tancrède de Campra (avec une source encore plus proche dans le temps) poursuivent cette nouvelle localisation des sujets, il faudra attendre Scanderberg pour admettre l'histoire récente dans la tragédie lyrique (voir ici pour plus amples détails).
Et précisément, Tancrède de Campra sur un excellent livret de Danchet reprend amplement la structure d'Amadis : l'acte III se déroule dans une forêt aux enchantements qui cause la perte de Tancrède à cause de la jalousie de la princesse qui lui est promise (mais à laquelle, ici, il ne souhaite prétendre). Sombres forêts, l'air de sa captivité, est d'ailleurs d'un caractère musical tout à fait semblable à Bois épais, à ceci près que sa mélodie est plus marquante et ses modulations plus raffinées.
Bref, Amadis, à l'exception de son acte IV, n'est pas le chef-d'oeuvre de sa période ni de ses auteurs, mais prépare le terrain pour beaucoup de choses qui seront des sommets : Roland, Armide, Tancrède, Scanderberg...
A noter, une curiosité : c'est la seule tragédie lyrique de ma connaissance où le Prologue est tenu par un personnage du drame (qui n'est pas allégorique, ni un dieu avec des attributs définis par la tradition).
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2. La salle
Evidemment, la salle est petite et capitonnée bois, même au plafond, sans la voûte trop haute ou les cintres ouverts qui font perdre généralement perdre le son. Mais c'est un régal quoi qu'il en soit, enfin une salle dans la région où l'on sent vraiment l'impact physique des voix.
Personnel très chaleureux de surcroît.
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3. Distribution
Direction musicale : Olivier Schneebeli
Etudes musicales / Continuo : Fabien ArmengaudMise en scène: Olivier Benezech
Chorégraphie : Françoise Denieau
Assistant chorégraphe : Benjamin Poirier
Scénographie : Gilles Papain, Olivier Benezech
Costumes : Frédéric Olivier
Lumières : Philippe Grosperrin
Images, vidéo : Gilles Papain, Marie JumelinOriane : Katia Velletaz
Arcabonne : Isabelle Druet
Corisande : Dagmar Šašková
Urgande : Hjördis Thebault
Amadis : Cyril Auvity
Arcalaüs : Alain Buet
Florestan : Edwin Crossley-Mercer
Alquif / Ardan-Canile : Arnaud RichardOrchestre des Musiques Anciennes et à Venir Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles Ballet de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse
(Le surtitrage modifiait bizarrement certains vers, de façon pas forcément plus claire, souvent en inversant simplement des mots, ce qui ne changeait rien à la longueur ou à la compréhension. Pourquoi ?)
Effectif de l'orchestre :
Cordes relativement limitées (une quinzaine d'instrumentistes), un basson, deux flûtes, deux hautbois (tous devenaient flûtistes pour la passacaille), un clavecin (copie d'un français XVIIIe).
Effectif du continuo :
Deux théorbes de type chitarrone (caisse ample, rosace simple), le premier alternant avec une guitare baroque (jeu mélodique ou gratté), clavecin (copie d'un français fin XVIIe), viole de gambe, violoncelle, orgue positif, percussions (grand tambour, deux timbales, tôle pour les orages, éoliphone soufflé, castagnettes sous forme de woobblocks, chaînes).
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4. Mise en scène
Olivier Benezech revendique, dans la note d'intention, une représentation agréable, qui donne à voir le merveilleux sans chercher l'imitation. Du premier degré intelligent en quelque sorte. Pour ce faire, il dit s'inspirer de la bande dessinée. [Avec bonheur, mais on se serait tout de même passé des tortues ninjas en guise de démons guerriers à l'acte II.]
Du point de vue visuel, c'est très réussi. Un beau relief accidenté avec des projections qui créent des atmosphères (prison particulièrement réussie à l'acte IV), des costumes très variés, sans époque réelle, mais avec des allusions à l'Ancien Régime pour les robes des deux amantes fidèles.
Du point de vue de l'intérêt, c'est une autre histoire : les chanteurs sont quasiment toujours au bord de la fosse, immobiles, à chanter leurs stances. Quasiment rien dans la direction d'acteurs et les rares directives sont tellement visibles qu'elles ne font pas crédibles, tant un geste semble tout à coup s'échapper du néant, ce qui crée un effet de zoom désagréable, d'autant que lesdits gestes sont rarement profonds.
Enfin les danses n'étaient pas baroques, mais d'un classique bon marché, pas du tout en phase avec la rythmique musicale, ni avec le caractère... et purement décoratives. Pour les divertissements du cinquième acte, c'était d'un ennui insurmontable, heureusement que l'orchestre était absolument passionnant à ce moment-là - je n'ai alors plus du tout regardé la scène.
Du coup, on s'ennuie sérieusement de ce côté-là : les versions de concert laissent les interprètes plus libres et sont donc paradoxalement plus habitées que ce genre de mises en scène un peu confites.
Vraie déception de ce côté-là , donc, même si le plateau est agréable à regarder - mais on pouvait s'en douter, on n'abandonne pas ce genre d'entreprise ambitieuse, et pour ce genre de public, à un relecteur fou, à moins qu'il soit aussi prestigieux que Carsen. Si bien qu'on va remonter Atys l'année prochaine en ressuscitant Villégier...
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5. Direction musicale
Olivier Schneebeli nous gratifie d'un panorama stylistique très complet et très juste des particularités de la musique baroque française : irrégularité scrupuleuse mais variée, variations discrètes et élégantes sur les reprises, effets de portamenti, usage des possibilités de contrechant du clavecin (à découvert au début de l'acte III), variété des percussions (tout y est, voir la liste d'effectif supra), du continuo (à la fois violoncelle et viole de gambe, les théorbes sont merveilleusement audibles, et la guitare baroque utilisée dans toute sa palette expressive ; on utilise même de l'orgue pour certaines solennités), doubles cordes funèbres des scènes infernales, jeu sur le chevalet pour la dérision démoniaque (fin de l'acte II, après l'enchantement d'Amadis)...
Néanmoins, on n'est pas convaincu en permanence : le jeu souffre d'un peu de raideur (sensiblement plus que dans sa captation versaillaise diffusée sur Arte), d'un vrai manque d'abandon, comme si cette prodigalité en calculs n'avait pas été pleinement intégrée par les musiciens avec naturel. Schneebeli est très attentif à ne pas couvrir les chanteurs, son accompagnement leur laisse toujours la pleine vedette, mais l'attention n'est pas retenue non plus par la relative pâleur orchestrale.
Ce n'est pas qu'une impression : à plusieurs moments, les instrumentistes perdent de leur justesse (violon solo, flûtes - mais pour les hautboïstes, pas toujours facile), des décalages se font jour entre chanteur basse-taille et orchestre (aussi bien pour Crossley-Mercer que pour Buet, alors qu'ils doublent simplement la basse), le choeur hors scène entre trop tôt sans que l'orchestre puisse se rétablir en mesure... Un certain nombre d'incidents qui ne gênent à vrai dire nullement l'écoute, mais qui témoigne d'un manque de répétitions sans doute, d'une aisance limitée en tout cas - et qui corroborent donc ma petite frustration sur le manque de lâcher prise de l'ensemble.
Dans ce qui a été travaillé de longue date, en particulier la Chaconne, et dans les moments les plus inspirés musicalement, l'orchestre répond en revanche pleinement présent. Et en dehors de la Passacaille d'Armide par Christie (disque de divertissements chez Erato et représentations de Carsen) et de la Chaconne de Didon de Desmarest (Rousset à sa grande époque), je n'ai pas entendu de pièce de ce type aussi intensément conduite. La version Reyne au disque fait vraiment pâle figure en comparaison, alors même que c'est une réussite. Un quart d'heure de folie absolue, une musique qui s'empare des corps.
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6. Le chant
Choeur de bon niveau et correctement articulé.
Concernant les solistes.
Quelques voix rayonnent véritablement.
Katia Velletaz (Oriane) semble un peu bridée au premier acte, la voix ronde reste de projection modeste, l'engagement un peu hésitant - non pas qu'il soit existant, mais plutôt qu'elle paraît mal à l'aise avec son personnage. En revanche, l'acte IV la montre sous son meilleur jour, d'une grande présence et d'une éloquence considérable - même supérieur à Guillemette Laurens dans le disque Reyne. Nul doute que le lendemain, ce devait être encore mieux.
Dagmar Šašková (Corisande) était impatiemment attendue par les forces de CSS qui l'avaient admiré dans un cadre intimiste pour l'un des tous plus beaux concerts de notre saison. Elle tient toute ses promesses, avec une voix délicate, fine, doucement incisive, parfaitement articulée ; un format léger, ni acide ni rond, une sorte de fin cylindre parfaitement proportionné. Evidemment le rôle ne lui offre pas des possibilités expressives démesurées, et elle semble d'ailleurs moins à son aise dans les parties moins valorisantes que l'acte I, même les récitatifs de l'acte II, étrangement.
Cyril Auvity (Amadis) surprend (par rapport à sa présence à Pleyel, ne pouvant excéder le mezzo forte) par sa projection réellement importante, malgré la douceur de sa voix. Il donne ici la pleine mesure de son talent : articulation parfaite, engagement, capacités d'attirer l'empathie, alors même que le rôle extrêmement fade et passif laisse peu de possibilités d'émouvoir réellement. L'air de fidélité de l'acte I est particulièrement impressionnant.
Edwin Crossley-Mercer (Florestan) enfin, manifeste de vraies possibilités dans d'autres domaines que le baroque, avec une voix de baryton très solide et bien sonore. Il en a cependant gommé tout métal intempestif pour obtenir une voix très ronde, d'une belle étoffe, qui sied à ce répertoire. A titre personnel, je trouve toutefois la voix un peu trop homogène et vaillante, pas assez typée - si je parle d'idéal uniquement, car il n'y avait vraiment rien à redire. Clairement, ce sera une qualité dans d'autres répertoires - mais ce n'est pas ici une gêne.
Les autres sont moins immédiatement impressionnants.
Alain Buet (Arcalaüs) manifeste toujours les mêmes propriétés : voix splendide, mais toujours très limitée en puissance, qui reste comme à l'intérieur, alors qu'elle est parfaitement émise par ailleurs... Il est par ailleurs un peu désoeuvré dans le rôle uniforme d'Arcalaüs, il ne trouve pas le terrain de jeu de ses meilleurs rôles (Corésus de Callirhoé bien sûr, mais aussi le père de saint Alexis chez Landi) et ses effets se limitent à quelques nasalités ici ou là , pour faire le méchant. Son costume est aussi le moins réussi des solistes, et le met peu en valeur.
Arnaud Richard est lui aussi un peu bridé en Alquif, une basse baroque française comme on en a pris l'habitude, mais en Ardan-Canile (à l'aide d'un porte-voix, ou amplifié par sa place de biais contre la salle ?), il impressionne au contraire par son pouvoir vocal, et réussit vraiment le prestige de l'apparition
Hjördis Thébault (Urgande) est assez semblable à ce qu'elle produit en enregistrement : une voix un peu acide, pas très sonore. Mais, de même que pour les autres, un sans faute dans la clarté de la diction, dans le style, et une incarnation tout à fait satisfaisante.
Enfin Isabelle Druet (Arcabonne), qui a fort bonne presse ces temps-ci, me laisse toujours mitigé. Elle a fait du théâtre, a gravi de façon fulgurante les échelons de technique lyrique dans son conservatoire d'arrondissement, sans doute grâce à cette expérience, mais cette origine s'entend : la voix garde des souvenirs de rugosités, quelque chose d'un peu brut qui n'est pas très gracieux. Elle diminue toujours cette identité vocale de façon assez efficace pour le baroque, néanmoins ce qui était tout à fait appréciable en suivante d'Armide l'est moins lorsqu'elle ajoute en permanence des nasalités de méchante pour camper son Arcabonne, comme si elle souhaitait imiter les stridences de Céline Ricci sur le disque Reyne... (On sait ce que l'on dit sur les originaux et les copies.) Ce dont j'ai finalement gardé le meilleur souvenir chez elle est finalement son Debussy pour la demi-finale du Concours Reine Elisabeth, où elle 'démusicalisait' volontairement le propos pour en faire une sorte de déclamation, un peu à contre-courant de ce qui est écrit, mais très originale et très convaincante. Mais pour cet Amadis, je n'ai pas vraiment apprécié, il faut bien l'avouer. Quoiqu'on soit, au demeurant, largement au delà du supportable.
Tous, sans exception, évoluent dans un français parfait à tout point de vue (articulation, accentuation, aperture et même accent).
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En somme, une excellente soirée, mais qui a connu ses moments forts (quatrième acte et chaconne) et aussi quelques tunnels, liés à l'oeuvre, à la mise en scène quasiment inutile, à un manque de mise en place et d'abandon du chef et de l'orchestre.
Commentaires
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