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Les Choéphores de Milhaud et le Gloria de Poulenc (Casadesus / ON Lille)


Le programme proposé par les forces lilloises était de premier intérêt, et jusque dans sa réalisation représente l'un des grands moments de la saison. Avec un couplage fascinant d'esthétique un peu néo-, mais au sommet de ce qui a été écrit dans cette perspective.

Pour la petite histoire : en m'asseyant, je m'aperçois de ce que mon voisin de devant lit, en guise de programme, des imprimés tirés de... Diaire sur sol ! Ceci précisément (qui est effectivement en haut de Google puisque personne ne semble s'intéresser à cette oeuvre...). Si l'édition des programmes de salle du TCE fait faillite, vous saurez à qui vous en plaindre.

L'Orchestre National de Lille est conforme à lui-même : son un peu gris, pas spécialement voluptueux, mais distillant en permanence des merveilles d'articulation ; tout est limpide, précis, réalisé avec esprit. Même dans la Cinquième de Beethoven, j'ai peine à trouver mieux. Ce soir, tout était dans cet esprit.
Quant au Choeur Régional Nord-Pas de Calais, si on peut trouver techniquement les voix un peu limitées (on entendait du souffle, ce n'était pas du chant tout à fait "plein"), on est obligé ici aussi de leur reconnaître articulation (dans l'autre sens du terme) extraordinaire. Tout le texte n'était pas intelligible dans le Milhaud, mais on pouvait difficilement faire plus. Habité, offert, ciselé, vraiment quelque chose d'idéal dans l'interprétation, même s'il existe plus beau pour les timbres.
Le travail de Jean-Claude Casadesus pour l'un et d'Eric Deltour pour l'autre est évidemment indissociable de l'interprétation entendue vendredi.

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Le Gloria de Poulenc

Cette oeuvre lumineuse, se déplaçant comme en bloc, est un petit bijou. On est surpris de penser fortement, au début de l'oeuvre, au War Requiem de Britten ou à Prokofiev et Chostakovitch, avec ces nudités, ces unissons, ces lignes lyriques mais atypiques. Ce Gloria est rarement donné en concert (il paraît qu'il est cependant relativement fréquent dans les églises parisiennes), mais ce n'est pas non plus une rareté, je ne m'arrêterai donc pas sur son charme optimiste et sucré, cette élévation très terrestre, mais aussi très tendre, modeste, comme un murmure rempli de présages heureux.

Olga Pasichnyk articule très nettement son latin, et même si la voix est assez engorgée et pas un peu sombre, à l'opposé de ce qu'on imagine ici (Barbara Hendricks y fait merveille, par exemple), elle se projette avec aisance et phrase avec goût.

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Les Choéphores de Milhaud

Après avoir lu le programme de salle, on était donc paré.

C'était ce pour quoi je m'étais déplacé, une oeuvre très atypique. Il s'agit de la musique de scène pour la pièce de Claudel, d'après Eschyle. Milhaud semble vouloir recréer de façon fantasmatique, un peu à la façon de Prodromidès, la tragédie grecque - et même si c'est loin évidemment de la réalité historique et concrète, ça marche tout à fait, on y est pleinement replongé - avec exultation. Les choeurs alternent récits, méditations dans le genre des stasima, et onomatopées qui animent la déclamation des personnages principaux, réduite à la portion congrue.

La pièce fait alterner deux dispositifs différents.
D'une part le (très) grand orchestre au complet, qui semble fonctionner à l'envers (les thématiques aux vents et les aplats d'accompagnement aux cordes), avec les différents récits du choeur et des solistes.
D'autre part la déclamation de la récitante, accompagnée seulement aux timbales, percussions et onomatopées (ou échos glossolaliques) du choeur, une psalmodie archaïque qui s'emballe, enivrée de sa propre force incantatoire.

C'est en ce sens une fête du Verbe, qui ne peut que séduire les lutins de CSS, pour qui a un peu cerné leurs goûts. Cela dit, je conçois très aisément qu'on trouve cette musique redondante et vaine, c'est vraiment rituel, comme affaire : la musique ne se renouvelle pas, elle martèle dans une sorte de sur-place les mêmes formules qui servent à exalter le poème dramatique. On se prend à penser que ça fait beaucoup d'instrumentistes pour peu de musique, assurément.

Si le Choeur Régional Nord-Pas-de-Calais était absolument superlatif, on a été un peu déçu en revanche par les solistes : Olga Pasichnyk totalement inintelligible, Nora Gubisch certes habitée, mais dont la voix plutôt laide et assez tubée n'est pas très audible, Wolfgang Holzmair tel qu'on peut l'imaginer, pas du tout héroïque pour Oreste, très nasal, presque en permanence couvert par l'orchestre (clairement une erreur de distribution, plus que la faute du chanteur) et guère habité (prudent et le nez dans la partition).
Les solistes étant très secondaires, c'est surtout la récitante Nicole Garcia qui a beaucoup déçu. Amplifiée, mais c'était forcément difficile avec le tintamarre des percussions. Et surtout une voix manquant de rondeur (on entendait du souffle et non la rondeur glorieuse et les raucités occasionnelles qu'on attend) et une déclamation d'une grande platitude, hâtant ses fins de phrase comme dans le langage parlé quotidien, sans aucune ampleur rituelle, malheureusement. Je m'attendais bien à être déçu après avoir été pénétré des incantations de Claude Nollier, mais ici, je n'étais vraiment pas satisfait du tout - mauvaise distribution, et réalisation pas à la hauteur non plus. Du coup, les sections avec percussions seules paraissaient un peu plus longues et vaines - alors que l'osmose verbale avec le rythme peut produire une orgie de sens.

Quoi qu'il en soit, l'ensemble était extrêmement réussi dans cette pièce, que l'ONL et le CRNPDC ont non seulement eu le mérite de programmer, mais à laquelle ils ont aussi eu la rigueur de rendre pleinement justice. Un vrai bonheur d'entendre cette oeuvre en concert, et de l'entendre merveilleusement exécutée (pourtant, avec Markevitch au disque, la concurrence est rude).

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Ambiance

Le public était vraiment désespérant. Comme on pouvait s'y attendre, il a été dérouté par l'austérité des idées musicales du Milhaud. Mais aux saluts, il s'exprimait par tellement moins que des applaudissements froidement polis que c'en était humiliant pour les artistes. Surtout lorsqu'on prend le risque d'un programme de cette envergure, aussi bien exécuté, et pas réexploitable tous les jours ! Tous ces efforts pour...

A défaut de pouvoir le leur dire, j'ai fortement pensé à la réplique d'un comédien qui sort de scène à l'acte IV de Colombe d'Anouilh :

Ils étaient durs, ces cochons-là !


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Commentaires

1. Le jeudi 1 avril 2010 à , par Pois de senteur

Mais si! C'était chouette !

2. Le jeudi 8 avril 2010 à , par Christine

A vrai dire le concert à Lille était meilleur, probablement à cause de la disposition de la scène beaucoup plus large, ce qui faisait que le choeur n'avait pas à s'époumoner (et donc perdre de leur unité pour ce qui était des pupitres d'hommes) comme le leur a demandé (en d'autres termes bien sûr) Casadesus mécontent lors de leur répétition à Paris juste avant le concert.

Peut-être parce que je me trouvais au parterre à Lille et au premier balcon à Paris, mais je trouvais les solistes presque inaudibles à Paris, tandis qu'à Lille je ne déplorais que la voix de la soprano perde de sa puissance dans les graves.

Quant à la récitante, le choeur a eu bien du mérite à s'en accommoder parce qu'elle ne suivait pas le rythme de sa partition (eh oui, c'est une partition qu'elle avait en main) alors qu'il y avait normalement un dialogue entre elle et le choeur...et le chef avait bien du mal à contrôler son débit, tout en menant son orchestre et le choeur, ce qui le rendait très nerveux, m'a-t-il semblé.

A Lille, les deux dernières parties des Choéphores, avec les percussions et les "bruits" divers produits par le choeur étaient hallucinantes, il y avait une montée d'une tension dramatique (ou tragique) qui arrivait à une sorte de transe captivante, je suppose que la disposition de la scène s'y prêtait bien.

J'apprècie votre analyse du texte des choéphores qui était comme une sorte de rituel répétitif. Pour moi c'était une découverte qui m'a beaucoup plu, bien que je sois parfaitement ignare dans ce domaine.

J'apprécie aussi votre commentaire qui est plus réconfortant que celui trouvé sur concerto.net où l'auteur sabre joyeusement tout le monde... sauf Nicole Garcia.

3. Le jeudi 8 avril 2010 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Christine, et bienvenue !

Le forçage s'entendait un peu, mais le manque d'unité, je ne l'ai vraiment pas perçu, au contraire, c'était d'une clarté que n'auraient pas permis une mise en place hasardeuse ou un déséquilibre dynamique.


Peut-être parce que je me trouvais au parterre à Lille et au premier balcon à Paris, mais je trouvais les solistes presque inaudibles à Paris, tandis qu'à Lille je ne déplorais que la voix de la soprano perde de sa puissance dans les graves.

Effectivement, je confirme qu'on entendait assez peu les solistes. Qualité de la salle peut-être.


Quant à la récitante, le choeur a eu bien du mérite à s'en accommoder parce qu'elle ne suivait pas le rythme de sa partition (eh oui, c'est une partition qu'elle avait en main) alors qu'il y avait normalement un dialogue entre elle et le choeur...et le chef avait bien du mal à contrôler son débit, tout en menant son orchestre et le choeur, ce qui le rendait très nerveux, m'a-t-il semblé.

C'était assez évident, elle hâtait sans cause sa partie, ce n'était pas régulier du tout, ni même musical au demeurant.


J'apprécie aussi votre commentaire qui est plus réconfortant que celui trouvé sur concerto.net où l'auteur sabre joyeusement tout le monde... sauf Nicole Garcia.

Didier van Moere est généralement d'une sévérité que je n'approuve pas personnellement : je prends plus de plaisir à admirer ce qui est fait qu'à regretter ce qui peut manquer. Mais j'ai été moi aussi étonné de sa mansuétude envers Nicole Garcia - c'est plus le fait de distribuer une telle voix et un tel style dans cette oeuvre qui est à blâmer que l'interprète elle-même, au demeurant.

Il est vrai que ça ne correspond plus vraiment à un mode de déclamation ample et musical pratiqué jadis au théâtre.


Merci pour ces rebonds !

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David Le Marrec

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