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Sémélé de Marin Marais par les Goûts Réunis (représentations en cours)


Les Goûts Réunis proposent une formule originale : réunir un choeur amateur à un orchestre formé de musiciens en fin d'apprentissage et encadrés par quelques professionnels, afin de fournir à tous une expérience formatrice.
Avec une oeuvre par an, une fois sur deux assez originale, l'ensemble a l'occasion de fournir un vrai travail de qualité.

Ce spectacle sera redonné (sans la chorégraphie) le samedi 8 mai à 20h, Eglise de Pentemont dans le VIIe arrondissement de Paris (106, rue de Grenelle). (Tarif 15€, 10€ si réduction. Sans réservation.)

Pour 4€ (livret fourni), on pouvait ainsi assister samedi à la Maison de la Musique de Nanterre, dans une salle de quatre cents place tout à fait pleine, à un spectacle complet : une mise en espace entrecoupée de danses (pendant un divertissement sur deux) assurées par les Fêtes Galantes (une compagnie que dirige Béatrice Massin, chargée de recréer la chorégraphie de l'Atys de Villégier la saison prochaine).

J'ai été agréablement surpris de constater que les couleurs harmoniques de Marais me paraissaient décidément moins sinistre dans Sémélé que dans l'ensemble de ses autres oeuvres, même si l'on a perdu la dimension en principe souriante de cette oeuvre au fil de quelques coupures...

Evidemment, on ne pouvait pas exiger dans ces circonstances une réalisation musicale de qualité tout à fait professionnelle, et cependant le résultat était assez remarquable.

Quelques points faibles :

  • Les coupures.
    • Très longues, dont beaucoup de récitatifs indispensables à l'action (les débuts d'acte manquaient...). On n'apprend pas, par exemple, pourquoi Sémélé veut absolument voir Jupiter dans toute sa gloire. Et toute la dimension semi-comique de l'ouvrage disparaît, puisqu'il ne reste plus que cantilènes élégiaques, divertissements galants et choeurs spectaculaires.
    • C'est toujours la contrainte, finir un spectacle suffisamment tout pour laisser rentrer les gens chez eux, et même une tradition insurmontable à Paris et environs. Et surtout il s'agissait manifestement de mettre en valeur l'orchestre, donc de privilégier les divertissements et la musique pure sur l'action - on n'a quasiment pas entendu le continuo seul...
  • Le choix de la prononciation restituée.
    • Tout d'abord, l'étrangeté qu'elle suppose, si on n'a pas une maîtrise parfaite de sa technique et un minimum d'habitude, abîme le timbre (parce qu'elle crée des diphtongues nouvelles par exemple, qu'il faut apprendre à gérer).
    • Ensuite, elle était mal réalisée : les solistes oubliaient très souvent de faire sonner leurs finales (y compris au milieu d'un vers devant voyelle, lorsqu'elles sont indispensables même en français modernes), ou au contraire les surarticulaient dans des passages fort chargés en consonnes où on n'était pas censé les prononcer, même dans la perspective très archaïsante des choix d'Eugène Green.
    • Surtout, le résultat ressemblait à un patois grimaçant, avec parfois un aspect qui tenait plus de l'ivrogne béarnais que de la glorieuse évocation de la France brillante de jadis.
  • Le choeur étant amateur, les voix n'y étaient pas parfaites : rien que sur les visages, on pouvait lire les voix peu travaillées, soit à cause de positions 'paresseuses', soit à cause de crispations.
    • Néanmoins, la mise en place était impeccable et le résultat amplement écoutable. J'ai entendu bien mieux sonnant pour des choeurs amateurs, mais celui-ci était tout à fait honorable.


Le reste était très convaincant.

Côté chanteurs, je n'ai pas aimé Jean-Louis Serre (basse, Jupiter), qui de toute évidence étudié avec Bernard Deletré, mais qui en a essentiellement conservé les défauts : son émission rauque est certes sonore, mais ne se pare d'aucune majesté (ce qu'est capable de procurer Deletré). Les phrasés sont hachés, et l'expression tendre ou noble est impossible, tout est comme éructé.

Soanny Fay (soprano, Sémélé) et Maïlys de Villoutreys (mezzo, Dorine) étaient apparemment des chanteuses non encore confirmées. Soanny Fay chantait avec sentiment et non sans une certaine grâce naïve, mais la voix, voulant se faire légère et acidulée, était assez instable, et la justesse très fuyante. Maïlys de Villoutreys se tirait avec nettement plus d'aisance de la déclamation française, et les lutins présents ont tous convenu qu'elle aurait fait un choix judicieux pour Sémélé.

François-Nicolas Geslot (haute-contre, Adraste) était le plus à l'aise du plateau : il ne jouait rien ce soir-là, sa carrière est faite et brillante depuis longtemps, ayant assuré beaucoup de rôles de haute-contre chez Rousset, Niquet ou Reyne dans l'intervalle qui a séparé le retrait progressif de Howard Crook et la montée en grâce de Cyril Auvity ; il a chanté des premiers rôles à Versailles, enregistré des premières mondiales - alors la Maison de la Musique de Nanterre, il n'avait pas de quoi être nerveux. Son calme et son sourire bienveillant avait quelque chose de rassérénant pour tout le monde, comme le parrain de la soirée (protégeant ses participants et rassurant le public).
Vocalement, en revanche, était-ce le diapason à 415 Hz (au lieu de 400 pour ce répertoire, encore qu'entre Lully et Marais, le compte soit bon finalement), il était assez peu impressionnant, plutôt tendu, assez blanchi. Ce qui sonne déjà un peu transparent au disque, mais tout à fait suffisant, paraît ici un peu haché, toujours négocié plutôt qu'interprété avec aisance. Peut-être un soir de méforme cela dit (et puis les voix de ténors vieillissent plus vite).
Et la voix, mais on s'en doutait, est très petite.

Estelle Kaïque (mezzo, Junon) n'a pas comme on aurait pu le penser statut de professeur, son aplomb est 'juste' du savoir-faire scénique. Si, vocalement, on sent quelques sons bizarres et ici ou là quelques fébrilités, en revanche le timbre soyeux et surtout l'interprétation sculptée avec beaucoup de conviction dans le texte et la musique convainquent vraiment. (Elle sera remplacée par Hjördis Thébault, professionnelle confirmée, pour les représentations parisiennes.)

Vocalement, donc, un plateau correct, pas spécialement superlatif (beaucoup de défauts vocaux pour de jeunes professionnels), mais qui ne gâchait vraiment pas la soirée.

La chorégraphie, composée à partir de danseurs amateurs, n'était ni figurative ni baroque, bizarrement abstraite (à l'exception du solo de frayeur au moment de l'orage, remarquablement réussi). Pas toujours convaincante dans ses intentions ou sa réalisation, mais rien d'indigne non plus.

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Côté orchestre en revanche, nous fûmes servis... La réalisation, dirigée par Dominique Daigremont, était impeccable, digne des ensembles professionnels. Trompette un peu fébrile lors de son entrée, mais guère de vrais pains (c'était un professionnel de toute façon). Flûtes et musette parfaitement justes de bout en bout. Solide continuo (viole de gambe, archiluth, théorbe, positif et clavecin), avec simplement un archiluth un peu aigrelet (cordes synthétiques métalliques dans l'aigu, ce n'était pas du tout la faute de Stéphanie Petibon qui phrasait tout à fait bien au demeurant).

Je suis resté en admiration devant les violons d'une précision extraordinaire, menés avec une grande présence, qui se sentait presque physiquement, par Stéphanie Paulet (violon soliste du Seminario Musicale et des Talens Lyriques, et aussi deuxième violon du Concert d'Astrée...). Le son était d'une très grande netteté, égal entre l'attaque et la tenue (mais sans appui sensible comme chez Hogwood), comme on peut l'entendre chez les Arts Florissants ou les Talens Lyriques des grands jours. Je n'aime pas beaucoup ce type de son, d'usage, mais lorsque c'est réalisé avec cette beauté sonore, on ne peut que rendre les armes.

Il va sans dire que si les agréments étaient peu nombreux (sobriété avant tout) l'irrégularité des notes égales était remarquablement exécutée, vraiment en style, à niveau professionnel, sans les scories même qu'on peut entendre chez certains ensembles prestigieux en concert. Il ne resterait plus qu'à pérenniser l'ensemble avec des objectifs plus ambitieux (et un rien plus d'abandon avec l'habitude) pour lui procurer une personnalité, et il trouverait sa place.

Il était également très intéressant d'observer le continuo. Pas seulement parce qu'on y trouvait des accords traditionnels et d'autres rentrants chez les gratteurs (voir typologie ici), mais parce que, le nez au-dessus du clavier, je pouvais observer tout à loisir les réalisations.
Je me suis interrogé sur les tempéraments utilisés, d'ailleurs, parce que j'ai vu traîner fa# + sib, ce qui sur la plupart des tempéraments inégaux de l'époque pouvait frotter sérieusement (et rien entendu de tel...).
Et même sans être si attentif, on pouvait remarquer une différence considérable entre les deux parties du spectacle (les claviéristes ayant échangé leurs instruments à l'entracte) : si Jeanne Jourquin réalisait au minimum au positif, elle faisait merveille par sa sobriété élégante, ses accords arpégés serrés au clavecin ; de son côté, Clément Geoffroy qui réalisait très scrupuleusement à l'orgue s'épanchait beaucoup sur les sautereaux, avec des accords lentement arpégés, dans le sens accendant plus descendants, parasitant presque les récitatifs - d'autant qu'il s'agissait le plus souvent de tautologies harmoniques et pas d'improvisation de lignes supplémentaires. On est là dans des questions de goût bien sûr, mais le contraste (qu'on peut aussi entendre au disque selon les accompagnateurs) était vraiment flagrant entre les deux manières.

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Malgré les coupures, une superbe soirée, donc ; l'occasion d'un petit supplément de tragédie lyrique pour pas cher, et avec un orchestre (dont je laisse la composition en note [1]) absolument admirable.

Je rappelle qu'un disque existe (Hervé Niquet chez Glossa, avec un superbe livre qui fournit des renseignements très précieux, en particulier sur l'orchestration de Marais), hautement recommandable, avec Shanon Mercer remplaçant Blandine Staskiewicz (qui décidément se fait honteusement voler la vedette pour chaque disque), qui l'avait interprété à la scène lors de la (re)création montpelliéraine.

Notes

[1] Traverso : Mathilde Horcholle, Nicolas Bouils / Hautbois baroque : Harumi Hoshi, Nathalie Petibon / Violon baroque : Tiphaine Coquempot, Adèle Piraprez, Fiona Poupard, Anne-Sophie Rossé, Marie Weisse / Alto baroque : Madalena Drouvin, Tamara Dupuis, Benjamin Lescoat / Viole de Gambe : Marion Martineau / Violoncelle baroque : Laure Balteaux, Gulrim Choi / Contrebasse baroque : Youen Cadiou / Théorbisants : Stéphanie Petibon (archiluth), Olivier Labé (théorbe et guitare baroque) / Clavecin et orgue positif : Jeanne Jourquin, Clément Geoffroy / Percussion : Gaëlle Coquempot. Formateurs (professionnels) : Stéphanie Paulet, premier violon / Hilary Metzger, violoncelle / Bertrand Cuiller, continuo (ne jouait pas lors des concerts) / François Lazarevitch, traverso et musette. Et instrumentistes professionnels supplémentaires : Lucia Peralta, alto / Joël Lahens, Trompette / Stéphane Tamby, basson et flûtes.


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Commentaires

1. Le jeudi 22 avril 2010 à , par Era

On ne joue plus guère cette musique là en mésotonique de toute façon...!

2. Le jeudi 22 avril 2010 à , par DavidLeMarrec

Il y a peu de tempéraments qui permettent d'employer ce type de configuration, et je ne crois pas qu'ils étaient en usage en France et à l'époque de Marais.

Tu jouerais Marais et les intervales fa#-sib avec quoi comme tempérament, toi ?

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