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Le disque du jour - XL - Intégrale des symphonies de Schumann - [Sawallisch / Dresde]


Une fois n'est pas coutume, creusons un sillon qui a déjà tout du cratère.

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Un consensus surnaturel

En réécoutant l'intégrale Sawallisch des symphonies de Schumann, je me fais, comme à chaque fois depuis que j'ai découvert cette interprétation, assez tôt dans ma fréquentation de ces oeuvres, la remarque de son urgence (dramatique en diable), de sa beauté plastique, de sa spacialisation (réverbération agréable mais remarquable netteté des timbres et des strates), et aussi, ce qui est encore plus rare, de sa qualité d'évocation poétique.


Wolfgang Sawallisch avec la Staatskapelle de Dresde, enregistrés pour EMI dans la Lukaskirche par les glorieux ingénieurs du son est-allemands. On trouve très facilement des extraits en ligne, voire l'intégralité (gratuitement et légalement) en flux chez MusicMe ou Deezer.


J'ai tendance à considérer que la comparaison n'est pas le bon moyen de juger une interprétation. Elle l'est lorsqu'il faut choisir pour en acheter une première, évidemment (écouter des extraits, et choisir ce qu'on a le plus envie d'entendre...), mais pour ensuite décerner les palmes ou à tout le moins prodiguer des conseils... seul l'usage est révélateur.
Usage qu'il faut bien sûr pondérer selon les attentes prioritaires de chacun pour conseiller efficacement.

Néanmoins, considérant que le moelleux et la largeur qui plaisent aux néophytes ou aux tradis y voisinent avec l'urgence et la clarté prisées des "musicologistes", et tout cela avec une grande présence et une réelle puissance de suggestion... c'est une recommandation qu'on pourrait faire à l'aveugle.

Sa réputation de suprématie paraît tellement justifiée qu'on peut avoir l'impression qu'en dire ce bien-là reviendrait à vanter la mélancolie singulière des plus grandes pages de Mozart. A peu près tout le monde est d'accord là-dessus, une sorte de poncif qui se révèle absolument véritable, une incarnation du consensus.

La qualité proprement indémodable de cette version est d'autant plus étonnante que j'en partage l'admiration avec des mélomanes aux goûts très contrastés, y compris... moi-même. Car la réécoutant de façon espacée, entre d'autres expériences schumaniennes au fil des années, j'y retrouve toujours la même émotion, alors que mes goûts en matière d'interprétation ont pourtant changé à de multiples reprises au cours des années.

Et, le plus intrigant, j'en ai été touché de la même façon, par les mêmes éléments et les mêmes effets, à l'époque où j'aimais mes symphonies de Mozart amples, à la façon de Britten ou d'Abbado-Berlin, et admirais sans adhérer complètement les versions sans vibrato des cordes, qu'à celle où je défendais l'intérêt de la (récente) lecture Minkowski, et considérais que Mackerras-Prague-Chamber ou Gardiner constituaient un équilibre enviable.

Pardon pour le ton un peu personnel de cette notule, mais je crois qu'il rend compte de l'étrange vertu de ce coffret, quelque chose d'une universalité - à laquelle je ne crois pourtant pas du tout...

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Alternatives

Il se trouve que, même individuellement, les symphonies de l'intégrale Sawallisch sont toutes parmi les meilleures versions que j'aie pu écouter, et presque toujours la plus exaltante. Il n'y a guère que pour la Quatrième, où éventuellement Furtwängler / Berlin (dont je ne suis pas du tout un acharné habituellement) peut rivaliser. Ce à quoi j'ajoute la porte ouverte pour une autre lecture qui incarnerait l'idéal, et que j'ai entendue en concert, mais dont il ne subsiste rien : George Cleve parvenait à exalter comme personne l'orchestration schumanienne, les cordes agitaient, les bois coloraient, les cuivres accentuaient, le tout dans une tension exaltante et lumineuse, une éloquence proprement stupéfiantes.

Au niveau des intégrales, cependant, trois autres me paraissent dignes d'être signalées et écoutées, même lorsqu'on a entendu l'évidence Sawallisch.

=> Celle de Georg Solti avec le Philharmonique de Vienne (Decca), plus extérieure et "carrée", sans doute, mais ce Schumann très direct, un peu 'virilisé' d'une certaine façon, est extrêmement prenant. Comparable à ses Brahms : Solti beethovenise le propos, le lit de façon classique, tendue, claquante. Et les mouvements lents tiennent très bien ce parti pris !
C'est une autre version qui ne cherche pas à faire "personnel", et qui donne vraiment ces oeuvres à entendre en exaltant leurs qualités.

=> Celle d'Antoni Wit avec l'Orchestre de la Radio Nationale Polonaise (Naxos), assez atypique, qui détaille les strates, accentue la modernité et les bizarreries des partitions. A comparer avec l'orchestre magnétique de ses Scènes de Faust, même si on n'atteint pas en permanence les mêmes sommets.

=> Enfin, la moins attendue, celle de Frank Beermann avec l'obscure Robert Schumann Philharmonie (CPO). Il s'agit d'une lecture factuelle, qui se contente de donner les partitions de façon engagée, avec un orchestre pas spécialement luxueux (cordes un peu sèches, par exemple). Mais quel plaisir d'entendre ces oeuvres en toute simplicité, sans que le chef cherche à y mettre sa personnalité. On est un peu dans l'esprit de ce qui se faisait dans les labels économiques du début des années 90, avec les gravures de Scholz ou les rééditions pirates de Nanut (voir par exemple les fonds PILZ ou Arpège) : des orchestres lectures honnêtes au meilleur sens du terme.
Qui procurent l'impression d'être en prise directe avec l'oeuvre, sans le filtre de la subjectivité géniale du chef. Extrêmement agréable.


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Commentaires

1. Le mardi 24 juillet 2012 à , par KID A

Bonjour David !

C'est en cherchant des infos sur la pochette de cet album que je me retrouve sur ce site, comme quoi...
Et justement, je viens de remarquer que l'édition vinyle proposait, en plus des quatres symphonies et de l'Ouverture, Scherzo et Finale, l'ouverture de Manfred! Malheureusement elle est inexistante sur les rééditions CD... Il y a une explication ?

2. Le mardi 24 juillet 2012 à , par KID A

(En tout cas, il n'y a pas d'explication au "s" qui se retrouve malencontreusement accolé à "quatre"...)

3. Le mardi 24 juillet 2012 à , par DavidLeMarrec

Salut !

Sans doute une question de minutage. Même dans ce coffret récent, c'est Hans Vonk qui dirige Manfred.


4. Le mercredi 25 juillet 2012 à , par KID A

Dommage, le résultat devait être bien sympathique...

5. Le mercredi 25 juillet 2012 à , par DavidLeMarrec

On ne peut malheureusement que le supposer, mais sans grande probabilité de se tromper. :)

Heureusement que cette ouverture est suffisamment bien écrite (et souvent enregistrée) pour qu'on trouve satisfaction. Bien plus facilement que pour les intégrales des symphoniques !

Je ne suis pas sûr que Sawallisch ait pu exalter ses qualités déjà très apparentes au point de l'Ouverture, Scherzo & Final.

6. Le mardi 15 janvier 2013 à , par Derf

Bonjour. Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de l'enregistrement par Bernstein ?

Cordialement

7. Le mercredi 16 janvier 2013 à , par David Le Marrec

Bonsoir Derf,

Si vous parlez de l'enregistrement le plus couramment disponible, celui avec Vienne chez DG, je n'aime pas beaucoup - c'est même vraisemblablement l'une de celles que j'aime le moins.

J'y trouve en réalité les défauts de Vienne (sècheresse du son au disque, brillant assez dur des cuivres) et de Bernstein (une certaine brutalité dès que les mouvements s'animent) à leur plus haut degré - une lecture qui se veut 'énergétique', mais où je ne trouve vraiment pas de poésie.
C'est au demeurant une version très prisée, donc j'ai sans doute tort, mais je n'y ai à ce jour pas trouvé mon compte : j'y perds ce sens de la mélancolie qui fait tout le charme de ces pièces, à mes oreilles en tout cas.

La version avec New York est très différente, beaucoup plus colorée et d'une certaine façon traditionnelle. Mais il est vrai que je n'aime que rarement l'association Bernstein / Vienne, alors que je suis à peu près toujours enthousiasmé par Bernstein / New York...

Je suis donc un peu en peine pour conseiller - mais assurément, ce n'est pas un disque que je recommande souvent !


Bonne fin de soirée.

8. Le mercredi 16 janvier 2013 à , par Derf

Merci pour cette réponse rapide et détaillée !

Il s'avère que j'ai la version avec le NYPO, le hasard fait bien les choses. Mais je vais suivre vos conseils, et essayer Sawallisch.

9. Le mercredi 16 janvier 2013 à , par David Le Marrec

Vous seriez bien le premier à être déçu. C'est l'un des très rares disques dont on n'entend presque jamais dire autre chose que "version de référence", de la part des néophytes comme des institutions, il semble qu'il soit assez difficile de faire s'affronter les gens dessus. Presque frustrant, en un sens.

(Cela dit, Bernstein / NYPO est déjà une fort bonne fréquentation...)

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