« Éloignez-vous » : Une mélodie inédite de Dutilleux (sur un sonnet de Cassou)
Par DavidLeMarrec, jeudi 27 juin 2013 à :: Musicontempo - Disques et représentations - Portraits - Mélodie française - Saison 2010-2011 :: #2274 :: rss
Il est parfois bon de rappeler les valeurs sûres.
Sur le site de Jean-Baptiste Dumora, on peut entendre cette pièce dans son entier :
http://jbdumora.free.fr/lecturedutilleux.html.
Éloignez-vous sur la pointe des pieds.
Prenez la barque et ne revenez plus.
Retournez tous chez vous avec vos fées,
vos ombres étrangères et vos luths.Bien sûr, pour vous, beaux promeneurs,
ce fut une aventure neuve et enchantée.
Emportez-là comme un bijou volé,
un feu qui tremble encore, un livre lu.C'est ici la chambre des anges morts.
Laissez-nous seuls dans notre vie déserte,
devant ces mains et ces ailes inertes.Il s'est passé ici, depuis l'aurore,
une effrayante histoire, étrange et tendre,
et que le désespoir seul peut comprendre.
Très sobre avec son ostinato doux et un peu sinistre, son absence d'éclat, c'est peut-être le moins spectaculaire des quatre Cassou de Dutilleux qui nous sont parvenus à ce jour - qu'on compare au combattif « Il n'y avait que des troncs déchirés » !
L'oeuvre a reparu à la fin de l'année 2010, dans un concert où j'étais présent. Etait prévue la cantate qui lui valut le Prix de Rome en 1938, L'Anneau du Roi, mais Dutilleux a semblé passablement effrayé par cette résurrection et s'est opposé à son exécution, proposant cette mélodie inédite en échange. Il s'agit de la mise en musique du dix-septième des Trente-trois sonnets composés au secret de Jean Cassou - et je place ces quatre Cassou parmi les quelques oeuvres les plus intenses de tout Dutilleux.
Elle a depuis été rejouée, notamment à Orléans en 2011 à l'occasion d'un concert d'hommage à Jean Zay - par François Harismendy.
Même si la captation ne rend pas compte du naturel confondant et de l'autorité proprement extraordinaire qui émanent de Jean-Baptiste Dumora, on peut goûter la belle diction et la clarté du timbre (qui n'exclut pas les harmoniques denses et même sombres).
J'en avais aussi parlé dans un compte-rendu du concert, où j'avais dit notamment ceci :
Ce baryton, qui sonne avec la clarté qui sied à son rang, mais aussi avec l'ampleur et l'autorité d'une basse, énonce cette musique avec une musicalité absolument hors du commun, rendant terriblement familière cette musique si touffue, et magnifiant chaque mot de son texte (tout en [r] uvulaires). Le résultat est d'un charisme immense qu'il est difficile de décrire, une sorte de miracle où tout est parfait (beauté du timbre riche mais clair, autorité de la projection, évidence de la ligne mélodique, éloquence des mots, poids émotionnel), mais où le tout vaut plus que la somme de ces parties parfaites.
Plus que tout, on ne songeait pas à tout cela : on le sentait en pleine communion avec cette musique (qu'il chantait pour la première fois !), et nous aussi. Sa transmission était optimale, mais indolore, comme s'il était un catalyseur plus qu'un interprète. Le rêve de tout interprète et de tout auditeur, en somme, toucher à l'essence de la musique entendue.
Sa discographie et sa visibilité en concert sont encore trop minces. Et ça ne semble pas beaucoup bouger ces dernières années - récemment Agamemnon à Rennes ; son standing mérite mieux.
Quant à Dutilleux, l'effet des commémorations permettra peut-être d'entendre d'autres mélodies restées enfouies ; pour L'Anneau, il faudra sans doute patienter sensiblement plus longtemps.
Commentaires
1. Le jeudi 27 juin 2013 à , par Palimpseste
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4. Le lundi 1 juillet 2013 à , par David Le Marrec
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