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lundi 20 juin 2016

Deux nouveaux inédits de tragédie en musique : les Ariane de Marais (1696) et Mouret (1717)


Lors de l'anniversaire Marais, on nous avait promis Bacchus & Ariane (je ne suis plus sûr de l'ensemble concerné), tandis que le Concert Spirituel ressuscitait Sémélé, Les Paladins Alcide et que qu'ailleurs en Europe, me semble-t-il, on reprenait Alcyone. Pour des raisons dont je n'ai jamais eu vent, le projet a été annulé, et cette Ariane demeure donc le seul opéra de Marin Marais jamais remonté.

Un discret concert du jeune Ensemble Zaïs (donné en l'église de Joinville-le-Pont, à l'extrémité Est du bois de Vincennes), largement issu de musiciens du CNSM de Paris, permettait de découvrir deux grands airs présentatoires typiques de la tragédie lyrique intermédiaire (ce que j'ai souvent appelé, dans ces pages, la deuxième école – celle qui joint LULLY à Rameau). Les facétieux lutins de céans avaient enregistré celui qui ouvre Sémiramis de Destouches ; au disque, on peut par exemple écouter l'entrée d'Ilione (« Venez, Gloire, Fierté ») au début d'Idoménée de Campra.

Au sein d'un programme remarquablement constitué consacré à Ariane, mêlant extraits déclamés des Héroïdes, premier baroque (lamento de Monteverdi), air de cour compatible (« Rochers, vous êtes sourds » de Lambert/Lully), opéra seria (Arianna in Creta de Haendel), cantate de type seria (Benedetto Marcello), mélodrame germanique (Ariadne auf Naxos de Benda, déclamation sur accompagnement musical)… et deux extraits inédits des deux tragédies en musique ayant traité le sujet !

Ce sont de grands récits introductifs, caractéristiques de ce qui se fait de 1690 à 1720 : de longueur inhabituelle dans ce répertoire où les airs sont brefs, ils s'organisent en de multiples strophes de caractère et de thèmes très différents, ce qui permet de présenter une situation complète et une psychologie précise en mobilisant un seul personnage et très peu de temps. Là aussi, je renvoie au détail que j'avais proposé pour Sémiramis de Roy & Destouches.


marais ariane acte I berain
Dessin de l'atelier de Jean Berain, figurant le désert de l'acte I d'Ariane et Bacchus, de Saint-Jean et Marais.
Plume, encre noire, lavis gris, traces de pierre noire. Entre 1696 et 1710.


A. Marin MARAIS, Ariane et Bacchus (1696)

Sur un livret de Saint-Jean, inspiré de Thomas Corneille et de Donneau de Visée. Une ''comédie héroïque'', en réalité, mais le format musical demeure similaire aux tragédies (comme dans Sémélé, et contrairement aux opéras-ballets) ; l'action s'ouvre, après le Prologue, sur cet air.

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La structure en est relativement simple :
  • plainte explicative, Ariane est abandonnée et amoureuse, seule sur son île ;
  • ritournelle avec basse chromatique descendante ;
  • seconde partie, qui fonctionne sur le traditionnel enchaînement appel-imprécation-repentir (comme Théone dans Phaëton ou bien sûr Armide), chaque partie assez caractrisée, mais dans le même flux.

C'est un grand récit, dont les carrures changent en permanence pour suivre la prosodique et relancer le discours, là aussi sur le modèle des grandes scènes de Lully. Le langage en est néanmoins plus lyrique et moins déclamatoire, comme souvent avec Marais, et l'harmonie (relativement) plus sophistiquée.

marais ariane acte I partition
Cliquez ici pour ouvrir dans un nouvel onglet l'intégralité de la partition de l'air, avec le son et tout le texte.


B. Jean-Joseph MOURET,  Ariane (1717)

Mouret est mal documenté par le disque, et même Les Amours de Ragonde, œuvre comique publiée luxueusement par Erato, doit être difficile à trouver désormais. Plutôt spécialisé dans les opéras-ballets allégoriques, il a néanmoins écrit deux tragédies en musique, dont Ariane est la première (et l'autre Pirithoüs, en 1723).

Le livret en est dû à Roy – un des chouchous de CSS, dont il a été mainte été question (une liste des entrées se trouve justement dans la notule sur Sémiramis) – et La Grange-Chancel.

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Au début de l'acte III, Ariane est seule, dans le temple de Jupiter.

Considérant la date, il n'est pas étonnant que la structure en soit un peu plus complexe.
  • A. Prière à trois temps, sous forme d'imploration.
  • B. Expression des émotions, de façon plus dramatique, avec des mesures alternées (mais principalement à deux temps).
  • A. Reprise de la prière.
  • C. Accès de fureur à l'italienne : contrechant instrumental en guirlandes (relativement) virtuoses, basse en forme de batteries sur des notes répétées. (Là aussi, un trait du temps dans l'influence ultramontaine qui s'exerçait alors fortement : on trouve la même chose pour la fureur de Corésus dans Callirhoé.)
  • D. Repentir de l'imprécation.
  • E. Petite phrase de pont avec la scène suivante (non incluse dans le concert) : « Le Roy vient. Ah ! Cruels ! vous m'avez trop ſervie. »
Si la couleur est peut-être moins personnelle que celle de Marais (du moins dans les parties lentes, la partie italienne ne ressemblant exactement à aucun contemporain que j'aie pu lire), je suis très séduit par ces élans mélodiques vers l'aigu, qui procurent un beau galbe dramatique à l'ensemble.

Lorsqu'on est sensible à ce répertoire, deux portions aussi importantes (dramatiquement : à peu près ce qu'on peut trouver de plus long comme air avant Rameau, des récits d'héroïnes) d'inédits sont un événément rare, et une exultation toute particulière, que nous nous empressons de vous faire partager.

mouret ariane acte III partition
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C. L'Ensemble Zaïs

Jeunes, issus des cursus supérieurs de musique ancienne (CNSM, Versailles… ainsi la harpiste Caroline Lieby, souvent aperçue, que ce soit pour Rubino aux Invalides ou Rossi & Carissimi à Galliffet), les musiciens de l'Ensemble Zaïs assument la rareté et la polyvalence du programme avec chaleur. J'ai en particulier remarqué l'élan passionné de Cyril Poulet au violoncelle, poussant toujours les situations vers le drame et la danse – une basse tenue avec intensité vous transfigure une pièce, dans ce répertoire !

La soprane à l'origine du programme (si j'ai bien suivi, c'est aussi un projet validé dans le cadre des études du CNSM), Cécile Lohmuller, manifeste une connaissance du style remarquable : appuis prosodiques, notes de goût, on sent la science qui sous-tend une interprétation par ailleurs très prenante. Comme vous l'entendez, la voix est de plus très jolie (j'aimerais bien sûr, tropisme habituel, encore un peu plus d'antériorité du placement, mais c'est déjà très bien comme ça).

Seule interrogation (mais valable pour la plupart des concerts mêlant répertoire italien et français) : quand on dispose d'un théorbiste de qualité (et d'une harpiste, même s'il n'y aurait en l'occurence, aucune justification historique à son inclusion), pourquoi les laisser à l'écart pendant les œuvres françaises, où ils enrichiraient très agréablement le spectre ?  Et ce d'autant plus que l'on sent chez Benoît Babel (claveciniste et directeur musical de l'ensemble) le désir de varier les accompagnements selon le style musical et le thème littéraire des extraits joués.
Je suppose qu'il s'agit d'un choix musicologique très bien motivé, mais je trouve frustrant de ce priver de cet enrichissement (de même qu'il n'y a pas de raison de se refuser de doubler les cordes par des flûtes ou des hautbois dans le seria).

Nous leur transmettons en tout cas toute notre gratitude pour cette exploration plus que bienvenue – les nouveautés en tragédie en musique se concentrant désormais, sous l'effet conjugué des défections de ses chefs historiques (Christie, Minkowski, Niquet…) et des impulsions de Bru Zane, dans le dernier quart du XVIIIe siècle (jusqu'ici le plus mal documenté, donc un travail salutaire). Et les quelques nouveautés du côté du début du XVIIIe (Le Carnaval de Venise par Le Concert Spirituel, Les Fêtes vénitiennes par Les Arts Florissants, Les Éléments par Les Surprises) documentent plutôt l'opéra-ballet. Bref, on a très peu l'occasion d'entendre du nouveau dans la tragédie en musique de cette période, et ce genre d'initiative, même parcellaire, est une petite bénédiction inattendue.

David Le Marrec

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