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vendredi 23 mars 2018

Claude DEBUSSY, auteur de 12 opéras — VI — Diane au bois de Théodore de Banville (et les coffrets-anniversaire)


1. Offre nouvelle

Je comptais en parler seulement à la fin du parcours, car c'était la seule œuvre lyrique d'assez longue durée – une demi-heure – du catalogue de Debussy (avec Le Diable dans le Beffroi composé assez étrangement par Robert Orledge en incluant les esquisses de Debussy, depuis également paru en disque), qui ne fût pas encore publiée officiellement.

Parmi le grand nombre de projets d'opéra, c'est après Rodrigue et Chimène et La Chute de la Maison Usher ce qui nous reste de plus élaboré de sa main. Le reste, ce sont deux pages pour Le Diable dans le Beffroi, des musiques de scène, et surtout des esquisses de livrets avec des partenaires divers : un Bouddha et un Orphée tribal avec Segalen, plein de projets avec Louÿs (Cendrelune, Ariane, Psyché, la Reine des Aulnes, Œdipe, Faust !) un Huon et un Chat botté avec Mourey, un Tristan d'après Bédier, notamment.

Or j'avais pu en écouter une bande, donnée dans un petit concert universitaire américain. Je comptais en toucher un mot et en faire entendre quelque chose.

Mais grand nouvelle, Warner, peut-être pour compléter son archi-intégrale Debussy (qui inclut Rodrigue & Chimène, les travaux du Prix de Rome, les versions pour piano de La Mer, Lear et autres œuvres orchestrées !), a publié en janvier un disque qui contient à la fois les parties de la Chute de la maison Usher achevées par Debussy (piano-chant, le reste ayant été reconstitué, extrapolé et orchestré magnifiquement par Robert Orledge) et les esquisses de Diane au bois, des fragments de duos pour piano et voix sur près de trente minutes, prévus pour une œuvre de nature comique qui n'a jamais abouti.

Le disque, immédiatement intégré dans l'intégrale, a aussi paru séparément. L'occasion de presser le moment de vous en parler (surtout si vous désirez investir dans un cube Debussy, considérant les prix avantageux).

Vous pouvez l'écouter intégralement, gratuitement et légalement ici.



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2. Banville et Debussy

Théodore de Banville est l'un des contemporains de Baudelaire restés célèbres, quoique plus guère lus que des spécialistes. Mais son nom est familier ; il était par ailleurs journaliste musical, goûtait la musique de Berlioz, fréquentait Gounod. C'est le poète dans lequel Debussy a baigné (il se promenait à seize ans avec un volume de ses poèmes sous le bras), et même après qu'il se fut tourné vers Verlaine et Mallarmé, il continuait de le citer régulièrement dans ses conversations privées.

Banville avait théorisé la vocation musicale de la poésie, sa potentialité de support pour une composition. Dans son Petit traité de poésie française (1872), on trouve ainsi : « Le vers est la parole humaine rythmée de façon à pouvoir être chantée, et, à proprement parler, il n'y a pas de poésie et vers en dehors du Chant. Tous les vers sont destinés à être chantés et n'existent qu'à cette condition. »  Il conseillait aussi Verlaine et Mallarmé en ce sens.

Banville est très présent dans les mélodies de jeunesse de Debussy (j'en ai compté quinze), dont la plus célèbre est probablement Nuit d'étoiles, où le style musical reste encore assez traditionnellement lyrique (malgré des audaces harmoniques déjà audibles).

Par ailleurs, avant même son Prix de Rome, Debussy se met successivement à trois projets d'opéra inspirés de comédies de Banville (au fil des notules, on en est arrivé à bien, bien plus que douze, vous aurez noté – et je n'ai pas du tout fini !).
→ D'abord Florise, en 1882, une comédie de 1870 où une actrice choisit son art plutôt que son bonheur personnel (ai-je lu : je n'ai pas eu le temps de la lire avant d'achever cette notule qui traîne déjà depuis janvier). Le peu de musique qui a dû être esquissé a été perdu.
→ Puis la même année Hymnis, une comédie lyrique de 1879 qui avait déjà sa musique de scène (de Jules Cressonnois). Trois numéros ont survécu (jamais enregistrés, les partitions dorment dans des collections privées uniquement), dont une « Ode bachique » pour deux voix et piano, tout cela dans le style de Massenet, précise Robert Orledge (ce qui paraît très logique, considérant le style de ses autres compositions d'alors) – et sans doute pas aussi capiteux que vi-vat Bacchus, sempe-er vi-iva-a-a-a-at.
→ Enfin Diane au bois.



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II,4.



3. Diane au bois

Debussy commence cette œuvre en 1883 tandis qu'il est encore élève d'Ernest Guiraud au Conservatoire, avant son Prix de Rome. Il la poursuit ensuite à la villa Médicis (jusqu'en 1886), sans jamais en faire un envoi, même fragmentaire ; sans jamais l'achever non plus, même s'il est certain, au vu de sa correspondance, qu'il en a composé plus long que ce que nous avons. Il avait pourtant formellement requis l'autorisation de Rochegrosse (le gendre que Banville, ce que je découvre à l'occasion), et manifestement fourni un assez respectable effort ; il était déjà conscient de choisir un texte inhabituel, qui requérait une nouvelle approche musicale. On est étonné, quand on connaît les postures fières du Debussy plus âgé, de lire (correspondance avec Vasnier) son désir de trouver sa voie à la façon de Wagner (en le présentant comme un modèle d'accomplissement qu'il serait ridicule d'essayer d'approcher, dans la forme comme dans la qualité), de trouver sa propre continuité, mais sans sacrifier, lui, le lyrisme à l'orchestre.

De fait, à l'écoute, on entend un héritier de Massenet, mais traité de façon beaucoup plus neuve que ses cantates, quelques miroitements typiques de son style (qu'on retrouve plus tard, sis sur une harmonie sans comparaison, dans La Mer), de beaux accords de quatre sons dans l'accompagnement ; et, aux voix, un élan mélodique plus simple, plus conforme à la norme du temps, un vrai duo romantique plutôt léger. On n'est peut-être pas si loin de Briséis de Chabrier, lyrisme vocal et sophistication discrète du matériau d'accompagnement.

Ce n'est pas le Debussy habituel, mais c'est déjà assurément personnel (et prometteur) – vous ne perdrez pas tout à fait votre temps en l'écoutant. Plus singulier en fin de compte que les cantates du Prix de Rome de Ravel (même si Alyssa est une merveille absolue) et, a fortiori, que celles de Debussy.

Debussy en a réalisé une particelle (partition orchestrée présentée de façon condensée sur quelques portées – le mot est inventé par Rameau et toujours employé en français pour short score), jamais exécutée à ma connaissance, seulement disponible dans une collection privée… tout ce que j'ai pu en lire, c'est qu'il y aurait un côté Berlioz dans ses accords très serrés du côté des basses (alors que  l'ordinaire est d'étendre le spectre).

Le sujet ?  Diane a chassé une nymphe pour avoir rompu ses vœux mais Éros, qui avait emprunté les traits du chasseur Hylas, fait de même pour Endymion… et Diane succombe à son tour. Tout cela dans une belle langue fermement versifiée, tout à fait directe et élégante. Debussy a mis en musique cette scène de l'acte II où Éros tend son second piège.



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4. Le disque et les coffrets

Warner n'a pas fait les choses à moitié : pour cette demi-heure de musique, ont été requis Natalie Pérez, Cyrille Dubois (et son français très franc, presque rugueux), Jean-Pierre Armengaud (auteur d'une très belle intégrale pour piano, très sobre et juste, chez Arts).

L'intégrale Warner pour laquelle ce disque, également disponible en séparé, a été enregistré, mérite précisément l'intérêt pour cette raison : outre que les interprétations y sont très bonnes (Martinon, Märkl, Ciccolini, Armengaud, Égorov, N. Lee, Baldwin, Ameling, Souzay), on y trouve surtout vraiment tout ce que le catalogue propose (Rodrigue & Chimène, les cantates et chœurs du Prix de Rome, la Première Suite, des orchestrations…), quitte à emprunter à d'autres maisons (Actes Sud pour le disque Roth).

Dans les coffrets des autres labels, constitués du corpus habituel, c'est sans doute Sony qui est le plus appétissant – Boulez, Tilson-Thomas, Crossley… mais je n'y ai pas regardé d'assez près. Le caractère exhaustif du coffret Warner le rend de toute façon incontournable, et les interprétations n'y sont pas vilaines. (Le coffret DGG me pose un gros problème avec l'intégrale des mélodies par Véronique Dietschy, peu de variété donc, et pas bien très chanté non plus.)



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Puisse votre soir, honorables lecteurs, se trouver illuminé par l'ardeur du charbon (propre).

David Le Marrec

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