Je signale ici, avant le bilan du mois d'octobre qui va nécessairement
patienter quelques semaines, quelques impressions de concert un peu
plus développées qu'à l'ordinaire :
♦ #12 Extraits de tragédies en musique (LULLY,
Charpentier, Destouches, Rameau) pour
soprano (Eugénie Lefebvre) et
deux clavecins, dans la merveilleuse église (juxtapositions
XIe-XVIe) d'Ennery. Un délice d'éloquence et de contrepoints : grand,
grand concert.
♦ #13 Révélation de Léonora Miano (pièce
mythologique évoquant les traites négrières) mis en scène par Satoshi Miyagi en japonais à la
Colline, avec un orchestre de 11 percussionnistes. Un univers très
étonnant. (avec des morceaux de mythologie et d'onomastique dans mon
commentaire)
♦ #14 Rarissime exécution en concert du Quintette
piano-cordes de Jean Cras,
les chants de marin les plus modulants que l'on puisse rêver !
(avec quelques extraits de partition)
♦ #15 Bérénice
de Michael Jarrellà Garnier. Grande
déception – je n'y retrouve ni le sens dramatique de Cassandre (qui n'était certes pas
un opéra), ni le contrepoint lyrique de Galileo (qui n'était certes pas sis
sur des alexandrins français).
Et ce soir, le Concerto pour clarinette et la Septième Symphonie de Charles Villiers Stanford !
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La plainte d'une Femme Affligée coryphée (Lucía Martín-Cartón), et ses
chœurs éplorés (acte III).
Compositeur :Jean-Baptiste LULLY (1632-1687) Œuvre :Alceste
(1674) Commentaire 1 :Alceste est la deuxièmetragédie en musique de LULLY,
l'avènement d'un véritable opéra à intrigue en langue française ;
victime d'une cabale de tous
les scribouillards inquiets de voir des cargos ultramontains se
déverser dans leur belle nation (Boileau et Racine notamment),
l'accueil mêle à ce débat (surtout littéraire) violent une réception
émerveillée de la Cour et du public, devant un type de spectacle
nouveau.
Car c'est vraiment dans Alceste que se fixe le récitatif LULLYste, beaucoup plus lyrique et
amplement accompagné, parfois avec l'orchestre tout entier, que dans Cadmus où sa sècheresse (quoique
déjà joliment mélodique) évoque davantage Monteverdi et Cavalli.
Je trouve aussi que c'est l'un des opéras de LULLY
où la constance de l'inspiration
est la plus élevée, aussi bien dans les récitatifs (très souples et
intégrés, traversés d'interventions multiples, de chœurs, quasiment des
« scènes », comme les appellent les romantiques), comme les regrets
d'Alcide au début de l'acte I, l'annonce de la mort d'Alceste au début de l'acte III (par
un coryphée féminin auquel fait écho un chœur mixte), et du côté des «
numéros » le duo d'adieu à Admète mourant (fin du II), le chœur
d'annonce de la mort d'Alceste (hors scène, peut-être une première , en tout cas
un effet rarissime qui a dû saisir l'auditoire d'alors – amplifié dans Thésée, l'opéra suivant, avec ces combats
décisifs qui envahissent, depuis l'extérieur, le temple où est réfugiée
l'héroïne, et l'opéra le plus repris en France jusqu'à 1730 au moins,
même recomposé par Gossec sur le même livret), les
marches funèbres d'Alceste à la fin de l'acte III. On peut y ajouter
l'irrésistible duo maritime de Tritons « Malgré tant d'orages / Et tant
de naufrages / Chacun, à son tour, / S'embarque avec l'Amour. » lors
des réjouissances de l'acte I.
C'est également l'opéra de LULLY où l'humour est le plus présent (il
devient rare après le fiasco courtisan d'Isis qui conduit à l'exil de
Quinault, cf. tableau synoptique ici ; mais c'était aussi une
composante, ai-je cru comprendre dans les témoignages du temps, qui
avait moins la faveur du roi que la grandeur et le pathétique) : les
amours de valets et confidents aux actes I et II (les rivaux, la
coquette rouée, le chantage au mariage), le comique de caractère (le
vieux guerrier qui arrive en retard à la bataille et rate le combat
ainsi que la victoire), et bien sûr le grand hit, le principal air à être resté
au répertoire au XXe siècle avant les mouvements musicologiques, avec (étrangement) « Bois épais » d'Amadis, l'air de Charon « Il faut
passer tôt ou tard dans ma barque », refusant le passage aux âmes de
l'Érèbe comme un vieil avare qui veille sur son trésor. En revanche,
contrairement au drame satyrique d'Euripide, l'humour ne porte pas du
tout sur les personnages principaux (Admète n'est pas un pleurnichard
avant sa mort et après celle d'Alceste, ses familiers ne sont pas des
pleutres qui ont peur de mourir…), simplement sur les sous-intrigues ou
des figures de caractère.
Si l'on met de côté les trois derniers opéras, plus
complexes et riches (Amadis, Roland, Armide), Alceste est assurément l'opéra de LULLY
qui m'impressionne le plus par sa succession
de trouvailles et son renouvellement
constant. Oui, avant même Atys
– qui n'est pas bien loin, mais dans lequel je trouve des affleurements
italiens plus évidents, tous les récitatifs et divertissements n'ont
pas le même relief mélodique et déclamatoire que dans Alceste.
Interprètes :Wanroij, Gonzalez-Toro, Crossley-Mercer, Martín-Cartón, Tauran, Bré, de Hys,
Bazola, D. Williams ; Chœur de Chambre de Namur, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset Label :Aparté (2017) Commentaire 2 : Il
n'existait jusque là que deux
enregistrements officiels, Malgoire 1974 chez CBS (Palmer,
Brewer, van Egmond) et Malgoire 1992 chez Montaigne (Alliot-Lugaz,
Crook, Lafont). Le premier introuvable, le second épuisé mais pas
inacessiblement, simplement très frustrant (complètement hors-style,
lourd, terne et empesé ; Malgoire a depuis donné une version
merveilleuse en 2007 avec Gens, Crook et Rivenq, captée par la radio
mais jamais commercialisée).
La parution de ce
disque Rousset change tout : il s'agit non seulement d'une belle
version, mais même de l'un des plus beaux enregistrements d'un opéra de
LULLY , qui ne laisse aucune beauté de côté. J'avais
trouvé en salle que les chanteurs manquaient un peu de
soin dans la déclamation, mais les
timbres sont beaux et variés,
les incarnations fortes, le
style orchestral tellement parfait (à la fois hiératique et
dansant), les contrechants ducontinuo de Rousset vertigineux, la délicatesse du Chœur de Chambre
de Namur (dans un grand jour) tellement délicieuse…
Petite satisfaction glottophilique additionnelle, Lucía Martín-Cartón, une révélation
bouleversante (cela s'entend un peu moins au disque qu'en salle), la
seule à déclamer réellement (elle sort du Jardin des Voix, à peu près
le seul lieu désormais où l'on dispense cet enseignement au plus haut
niveau) et elle marque les appuis de la langue d'une façon
remarquablement naturelle et éloquente, avec un timbre clair mais des
couleurs capiteuses, qui évoque même en salle (mais pas du tout au
disque, pardon…) le fruité de la jeune Mellon – c'était assez
spectaculaire, cet effet de réincarnation.
En enregistrement, la voix paraît plus malingre qu'elle n'est en
réalité, mais la beauté de la diction et de la ligne demeurent. Rousset
ne s'y est pas trompé, et lui a confié les plus belles parties de
l'œuvre : la Nymphe de la Seine qui ouvre le Prologue et la Femme
Affligée qui annonce la mort d'Alceste, ainsi que d'autres personnages
moins clairement nommés (Nymphe, Ombre) mais qui disposent de
quelques-unes des plus belles pages musicales de l'opéra.
Ainsi à la fois un
jalon dans l'histoire du genre opéra et dans celle de la
discographie LULLYste (le meilleur volume de
l'intégrale Rousset manifestement en cours), le tout dans un son remarquablement aéré et des
équilibres réalistes qui méritait bien mention dans ce parcours.
Prolonger sur CSS :
Le concert a été commenté en temps réel, comme j'en
ai fait mon usage, sur le compte Twitter du site (qui me permet
d'écrire les comptes rendus dans les transports et de consacrer le
reste de mon temps aux recherches pour des notules à l'objet un peu
plus durable).
Parmi les nombreuses notules consacrées à LULLY et à la
tragédie en musique, celle-ci vous permettra de remettre Alceste
dans le contexte des autres opéras écrits par le maître (les
moments forts de chaque opéra sont présentés, avec tableau synoptique
des sujets, des éléments comiques et des dénouements en sus).
Cet aimable bac à sable accueille divers badinages :
opéra, lied,
théâtres & musiques
interlopes,
questions de langue
ou de voix...
en discrètes notules,
parfois constituées en séries.
Beaucoup de requêtes de moteur de recherche aboutissent ici à propos de questions pas encore traitées.
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