L'été est propice à la déconnexion des lecteurs… mais aussi à la
productivité du rédacteur. C'est pourquoi je mentionne ici les quelques
notules de l'été que je voulais publier depuis longtemps qui vous auront
peut-être échappé.
[[]]
Le réveil de Juliette, ses grands récitatifs et ses ariosos
interrompus typiques de la partition de Vaccaj.
Almerares, Trullu, Opéra de Jesi, Severini.
Un peu de
contexte : pourquoi cet opéra ?
Bien sûr, comme représentant du
belcanto de l'ottocento, il
était loisible de puiser parmi les grands aboutissements de Bellini (Norma, I Puritani) ou Donizetti (Il Diluvio universale plutôt que
ses reines et autres folles à escalier), voire dans le bouffe avec les
bijoux absolus que constituent Il
Turco in Italia ou L'Elisir
d'amore ; cependant, outre la prime à la découverte qu'essaie de
proposer cette série, on y gagne aussi la fréquentation d'un carrefour
d'esthétiques fondamentales à la compréhension de l'opéra italien du
début du XIXe siècle. En effet, en tant que professeur de chant, Vaccaj
s'incrit comme dernier représentant de l'école de chant napolitaine qui
marque la fin du XVIIIe siècle européen ; tandis que stylistiquement,
son opéra marque au contraire par la modernité de sa continuité et de
son souci du texte et du drame (certes en cela précédé de Zingarelli,
auteur également d'un Roméo
antérieur), dans un goût mélodique qui annonce Bellini.
Compositeur :Nicola VACCAJ
(1790-1848) Œuvre : Giulietta e Romeo–
Dramma serio per musica (1825) Commentaire 1 : ♣
Écrit entre le dernier opéra italien de Rossini (Semiramide, 1823) et la conquête du
Nord de l'Italie par Bellini (Il
Pirata, 1827), l'opérade
Vaccajconserve les recitativi secchide l'esthétique rossinienne
(récitatifs de liaison accompagnés du clavier, sans orchestre, comme
dans l'opera seria). L'époque des castrats s'est achevée
il y a peu, mais il confie tout de même Roméo à une mezzo-soprane travestie, et le père
Capulet, très développé (réellement le troisième personnage de l'opéra,
devant Frère Laurent et Tybalt), à un ténor assez héroïque et agile –
pas du tout un rôle de caractère
à confier à un interprète déclinant et confiné à un médium prudent. ♣
Pour l'auditeur du XXe siècle, on est frappé par son intensité dramatique en tant
qu'opéra de style belcantiste : il s'y consomme une grande quantité de texte, assez peu
souvent répété ; les ensembles y sont nombreux, les airs et duos jamais
longs, en général interrompus par la
suite de l'intrigue plutôt que conclus proprement par une
cadence close (ce qui, pour ce qu'en documente maigrement le disque,
est très rare dans cette esthétique belcantiste). Tout y est très mobile, et quoique la veine
mélodique soit belle, assez bellinienne, elle est le plus souvent
éclipsée par le geste théâtral, la continuité de l'action, la tension
vers l'avant, l'enchaînement des situations. ♣Le
livret, du plus grand
librettiste italien de son époque, Felice Romani – accumulant les
chefs-d'œuvre sérieux comme bouffes (Il
Turco in Italia, Norma,
L'Elisir d'amore) et en
signant d'autres moins aboutis littérairement mais qui ont traversé les
époques (Aureliano in Palmira, Il
finto Stanislao, Bianca e Falliero, Il Pirata, Anna Bolena, Parisina,
Lucrezia Borgia…) –, concourt aussi à cette impression
d'urgence, saisissant d'emblée le spectateur par le col. Le fils de
Capulet vient de mourir, Roméo entre sous une fausse identité pour
obtenir la main de Juliette tout en menaçant ses ennemis, tandis que le
mariage de celle-ci s'empresse… et les retrouvailles amoureuses se font
entre deux préparatifs autour de Tybalt et du père Capulet. ♣ L'ensemble texte et musique était
tellement abouti que les théâtres ont pendant un temps remplacé la fin de l'opéra de Bellini adapté
du même livret (I Capuletti ed i
Montecchi), moins intense, par
celle de Vaccaj (que je préfère très nettement). Il faut dire
qu'en termes de rythme théâtral, Vaccaj ne s'attarde pas du tout comme
Bellini dans les tendresses amoureuses, mais privilégie l'avancée du
drame – en ce qui me concerne, j'en trouve la veine supérieure, même
musicalement, au Catanais. Toutes bonnes raisons pour distinguer cet
opéra qui échappe aux faiblesses du
genre, notamment en matière d'avancée dramatique et de
renouvellement des situations.
Interprètes :Paula Almerares, Maria José Trullu, Dano
Raffanti, Armando Ariostini, Enrico Turco ; Orchestra Filarmonica
Marcheggiana (Opéra de Jesi), Tiziano SEVERINI Label :Bongiovanni (1996) Commentaire 2 : ♣ Contrairement à la plupart du
legs Bongiovanni, cette représentation est non seulement très
clairement captée, bien accompagnée par un orchestre tout à fait
correct (juste, en rythme, timbres non dépareillés, entrain
raisonnable)… et superbement chantée. On peut trouver l'articulation
(verbale et musicale) un peu évanescente chez Almerares (Giulietta),
mais pour le reste, le brillant de Raffanti (Capellio), la majesté
charnue de Turco (Lorenzo) et le fruité extraordinaire des médiums de
Trullu, toujours électrisante (Romeo), nous emportent vers ce que la
Péninsule a produit de plus varié et enthousiasmant durant ces
dernières décennies. Nettement préférable à la seule autre version
(Dynamic, parue l'année dernière en CD et DVD), qui n'est pas horrible
par ailleurs, mais n'atteint pas du tout ces mêmes frissons. [Si votre coffret Bongiovanni ne contient pas le livret, n'hésitez pas à me le demander, il est évidemment libre de droits…]
Un peu de
contexte : l'œuvre méconnue d'un théoricien superstar
Si Vaccai (dans sa variante
orthographique courante, non dialectale) demeure un nom familier, c'est
que son Metodo Pratico di Canto
(1832) demeure toujours prisé des professeurs de chant, et donc
familier à bien de jeunes apprentis chanteurs. Suite de vocalises
progressives pour assouplir l'émission dans les phrases vocales les
plus courantes, puis des airs courts écrits sur des poèmes de Métastase
(et même des récitatifs !) dans le but de servir de support à la
formation. Il s'agit donc bien de la même personne qui composa ce Giulietta e Romeo, avec un talent
de créateur que ne laisse pas nécessairement supposer (comme pour Czerny !) sa réputation limitée à la
pédagogie.
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