[Feuilleton] Kurtág György, épisode 5 : Identité sonore
Par DavidLeMarrec, vendredi 1 juillet 2005 à :: Musicontempo :: #43 :: rss
Pour me faire pardonner des silences prolongés, un épisode long de notre feuilleton Kurtág.
Européen de fait
Difficile de pénétrer plus avant dans l'intimité kurtagienne. De sa vie, on ne connaît guère que la période qui précède l'entrée au Conservatoire de Budapest, à moins de compter sur des indiscrétions... qui restent à dénicher. Et ne revêtent pas nécessairement un intérêt majeur.
Avec Kurtág, difficile d'être tenté de jouer au petit Sainte-Beuve... MM. Michard et Lagarde se seraient arraché les cheveux.
Profitons-en tout de même avec le peu dont nous disposons. György Kurtág a sans cesse traversé l'Europe. Il a même résidé, en alternance, en Roumanie, Hongrie, Italie, Allemagne, Autriche, France (actuellement en région bordelaise, à Saint-André de Cubzac, auprès de son fils György Kurtág Jr). L'apprentissage de nombreuses langues fut donc son lot, l'amenant à parler couramment le hongrois, le roumain, l'allemand, l'italien, le français, le russe, l'anglais - et peut-être même le serbo-croate. Ce qui n'est pas un petit atout pour la mise en musique de textes poétiques.
Outre ce qu'il a pu rédiger en hongrois, allemand et italien, Kurtág a composé sur des textes hongrois, russes, allemands et français. Il n'est besoin que de découvrir les Poèmes de Samuel Beckett, pour baryton, trio à cordes et percussion Op.36 pour saisir toute la finesse de sa compréhension de la phrase française. Et la justesse de son langage vocal, pris en tant qu'éclairage de textes, en tant que mise en évidence du sens.
Aphorismes
Ceci, chacun le sait, Kurtág est le spécialiste de la forme courte, voire, souvent, aphoristique. Chez lui, pas de développement, que son usage soit suspendu ou sous-entendu. Du moins jusqu'à une période récente où quelques oeuvres dérogent légèrement à cette règle.
Kurtág, qui tend à réutiliser régulièrement ses propres matériaux - par intuition, non par recherche, confie-t-il -, se consacre essentiellement à trois genres : les cycles de mélodies depuis toujours, la musique de chambre de façon accrue dans les années quatre-vingts (avec pour triple sommet les Microludes, le Trio hommage à R.Sch. et Officium breve), les larges ensembles et les orchestres symphoniques depuis les années quatre-vingt dix, suite à sa résidence au Philharmonique de Berlin pour une saison, en 1993-4 (Quasi una fantasia, Stele, ...Concertante..., etc.).
Dans tous les cas, il emploie essentiellement les mêmes outils esthétiques depuis 1958.
Particularités d'écriture
Et son style n'a rien d'une ni d'aucune école, vraiment rien. Sa concision presque ascétique (qui ne rime pas avec densité, comme dans les Játekok) n'imite en rien une excessive rigueur postwebernienne - bien plus mesurée et pulsée que chez notre héros. Moins rigide, plus évanescent, en quelque sorte. Alors que Webern s'était imposé des contraintes théoriques (la démocratie en théorie musicale ?), exogènes, Kurtag semble obéir essentiellement à, sinon une logique, une motion interne. Et ce, malgré les références au folklore ou à Bartók, l'utilisation des modes-miroirs, etc.
Autre point important, les successions de notes tout comme les aggrégats obéissent à une logique purement personnelle. Certes, il existe des jeux majeur/mineur comme les Ligatura x et y, ou des superposition infinies de tierces comme dans l' hommage à András Mihály, mais cela ne répond à aucune logique tonale ou modale complète - pas plus que dodécaphonique.
Le choix de la note repose uniquement sur un choix esthétique ou expressif personnel, presque intime. Une phrase émue de Kurtág alors qu'il narrait sa composition de ce que l'on a coutume d'appeler les Pilinsky-Lieder (Négy dal Pilinszky János verseire - "sur des vers de Pilinszky" : portraits de poètes : Dostoïevsky, Hölderlin), composition qu'il a qualifiée de très importante pour son développement :
Dans le premier poème, l'ivresse de l'alcool est postulée, aucun mot ne la mentionne. Dans mon interprétation, le sujet du poème cherche - sur une seule note, et depuis la bestialité de l'inarticulé - ses premières syllabes balbutiantes, ainsi que les premières images d'une réalité aride. L'apparition longtemps attendue d'une seconde, voire d'une troisième note, a été pour moi, dans la composition, une expérience bouleversante.
On comprend peut-être mieux, désormais, comment on peut écouter Kurtag : la poésie pleine de proximité d'une note trouvée, énoncée, brièvement, sans réutilisation excessive, sans développement, sans s'appesantir. Une recherche si sincère qu'elle conserve le caractère furtif de la pensée qui l'a vue naître. Une composition de la sincérité.
Il y a cependant des critères objectifs, des outils que l'on retrouve très régulièrement.
Parmi les formules récurrentes, on notera l'amour du chromatisme (Aus der Ferne, 1981) et le goût pour le chevauchement des demi-tons, incluant comme un doute dans des accords initialement presque consonants.
David - brefgraffiti
Commentaires
1. Le vendredi 1 juillet 2005 à , par Bladsurb :: site
2. Le vendredi 1 juillet 2005 à , par DavidLeMarrec
3. Le vendredi 1 juillet 2005 à , par Bladsurb :: site
4. Le vendredi 1 juillet 2005 à , par DavidLeMarrec
5. Le lundi 12 décembre 2005 à , par kfigaro :: site
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