Le roi Arthus - Ernest CHAUSSON - réécritures fin de siècle
Par DavidLeMarrec, vendredi 11 novembre 2005 à :: Opéra romantique français et Grand Opéra - Oeuvres - Les plus beaux décadents - Discographies - L'horrible Richard Wagner :: #92 :: rss
Autour du Roi Arthus. Contenu musical, propos philosophique, place parmi les opéras.
1. Structure :
I, 1
Médisances autour d'Arthus sur Lancelot, défendu par le roi. Mordred comprend pour qui Genièvre l'a dédaigné.
I, 2
Rêverie de Lyonnel, l'écuyer de Lancelot, sur l'aveuglement de son maître. Duo d'amour entre les adultères. Mordred survient, frappé par Lancelot, mais se relève après son départ, en témoin.
II, 1
Chanson du geste du laboureur. Nouveau duo où Genièvre demande à Lancelot de témoigner pour elle. Décident finalement de s'enfuir ensemble.
II, 2
Tourment d'Arthus, qui invoque Merlin. Prophéties tronquées. Annonce dans le tumulte et le désaccord de la disparition de la reine. Arthus mène les siens à sa poursuite.
III, 1
Inquiétude de Genièvre sur l'amour de Lancelot. Celui-ci retourne, seul et sans armes, ayant renoncé à combattre son roi. Il abandonne la reine pour aller faire cesser le combat et se livrer à Arthus. Demeurée seule, abandonnée, elle s'étrangle avec ses cheveux et le rideau descend lentement.
III, 2
Sur le champ de bataille. Lancelot, étendu, blessé à mort en voulant séparer les combattants. Arthus arrive, ils se donnent l'adieu. Le roi est emporté dans une nacelle par un choeur invisible qui lui promet l'Idéal.
2. Discographie
ARMIN JORDAN (1985)
Genièvre : Teresa Zylis-Gara
Lancelot : Gösta Winbergh
Arthus : Gino Quilico
Merlin : Gilles Cachemaille
Lyonnel : Gérard Friedmann
Mordred : René Massis
Choeurs de Radio France
Nouvel Orchestre Philharmonique
ERATO (donc plus distribué :evil: )
=> Très belle version, en tout point. Très beau français aussi.
Je découvre l'existence d'une seconde version en préparant cette petite note :
MARCELLO VIOTTI (1996)
Genièvre : Susan Athony
Lancelot : Douglas Nasrawi
Arthus : Philippe Rouillon
Merlin : Gilles Cachemaille
Choeur de Chambre de Sofia et de l'Académie Russe
Wiener Symphoniker
KOCH-SCHWANN
En 2003, l'oeuvre a été donnée à la Monnaie dans une belle version qui comprenanit :
DANIELE CALEGARI
Genièvre : Dagmar Schellenberger
Lancelot : Douglas Nasrawi
Arthus : Louis Otey
Merlin : Olivier Lalouette
Lyonnel : Yves Saelens
Mordred : Philippe Georges
Choeurs et Orchestre symphonique de La Monnaie
3. Contenu musical
Musicalement parlant, on reste dans une oeuvre de type français, même si le souffle de duos d'amours tristaniens ou la typologie de certains motifs sont typiquement wagnériens. On n'est plus, comme dans Sigurd, dans une configuration proche du Grand Opéra. On n'est pas encore dans de l'opéra purement contemplatif, comme Pénélope ou Pelléas. De la musique avant tout dramatique et poétique, avec une très belle texture orchestrale, pas forcément préoccupée en priorité de structure musicale. Une grande fluidité dans les répliques, un bon nombre de tirades mais pas d'airs - ce qui n'exclut nullement une belle veine mélodique, discrète et subtile.
On pourrait dire que l'oeuvre accuse plus son époque que sa nationalité, en somme.
4. Propos "philosophique"
La fin de l'oeuvre est assez étrange, avec un propos allégorique sur l'Artiste qui parvient, par l'Esprit qu'il insuffle, à survivre, par-delà la mort qui le délivre d'un monde cruellement décevant. Une idée de l'artiste maudit, de l'artiste souffrant, de l'artiste visionnaire qui ne s'est pas beaucoup démodée, je le crains.
Lancelot, cet être contingent, disparaît dans la fange qui l'a vu naître et où, par ses errements, il retourne, accompagné de l'oubli. Arthus, lui, a droit à l'assomption des martyrs qui survivent à leur corps par la force de leur Idéal.
Tout ce discours allégorique au contenu quasiment explicite frôle assez largement le ridicule, mais contrairement à son modèle wagnérien, ne contamine absolument pas le reste du drame, si bien qu'on peut en faire une lecture indépendante en ignorant cette "moralité" finale. Toute la représentation d'un monde crépusculaire, décevant, impermanent, y est profondément touchante.
5. Où se place Le roi Arthus ?
De façon très évidente, il s'agit d'une réécriture de Tristan, de Parsifal et quelques autres monuments wagnériens. Certes, de façon un peu décalée, puisqu'à la certitude wagnérienne vient se superposer le doute sur l'essence qui est plus celui de Pelléas.
Mais le fonds légendaire celte, la thématique de l'amour fou, la présence d'un roi trompé refusant la vengeance (quoique le personnage d'Arthus soit plus complexe, plus épais, plus développé et, finalement, central), l'apparition spectrale d'un sage mourant, l'agonie extatique du ténor "rédempté", la structure en trois actes rappellent très fortement certain Richard. Le sujet est assez crépusculaire, et ne parlons pas de la musique : le récit mortuaire du cor anglais, les réminiscences de la mort de Siegfried, le motif très proche de celui du Walhall lors de la reconnaissance d'Arthus (selon le procédé du II de Siegfried...), et la cadence finale, certes légèrement mahlerisée, qui fait tenir à l'infini dans l'aigu un choeur féminin sur un motif tournant extrêmement proche de celui qui clôt Parisfal, et meurt dans un accord richement boisé...
On peut y trouver une fragilité dans l'écriture (moins charpentée), une humanité dans un texte moins ceinturé par des présupposés philosophiques, qu'il n'y a pas forcément dans le modèle. (et hop ! voilà comment on obtient trente réponses au lieu d'une)
Le texte est beaucoup plus conflictuel et intéressant, le temps plus court – ce qui fonctionne mieux au disque, mais peut se discuter pour la scène au vu du degré constant d'inspiration musicale de Tristan. On assiste aux exigences de Genièvre, aux doutes de Lancelot, au déchirement des chevaliers, jamais représentés unanimes, conformément aux exigences psychologiques envers ce choeur du coup assez atypique – un dialogue, et plus une unité. Arthus, sans être véritablement le personnage principal du drame , en est la figure la plus centrale, le pivot. Refusant de croire l'infâmie mais déchiré par la certitude d'un malheur, la figure d'Arthus, finit, après l'anéantissement de son grand oeuvre, transfigurée.
L'acte III porte un regard très dur sur la putrescibilité de l'homme, des entreprises humaines, de la vertu ; sur l'impermanence d'un être de son vivant même, en quelque sorte. Lancelot ravit à Arthus jusqu'à sa femme, jusqu'à sa gloire, jusqu'à sa haine. Il lui a tout pris, mais il n'est plus lui-même non plus. Cette déchéance est longuement contemplée, ainsi que dans les récits-sources, et avec une poésie infinie.
Il n'y a que le choeur final qui fait penser au sort de la Terrible Longue [1] et dont le discours idéologique est moyennement heureux, avec cette apothéose un brin ridicule. Une réminiscence mal digérée de Rocbert, Saba ou Sigurd, manifestement. Quoique, musicalement, comme dit plus haut, le parallèle avec Parsifal soit évident.
De façon plus générale, on pourrait parler des réécritures wagnériennes ou contre Wagner des opéras de cette période. Y a-t-il d'autres clones flagrants ? Thora på Rimol est assez proche du Vaisseau, certes, mais c'est plus un esprit qu'une copie musicale, Borsgtrøm a indéniablement une personnalité propre. Sigurd a été composé avant le Ring, ou du moins avant que Reyer ne puisse en avoir connaissance.
Je vous cède la place !
Notes
[1] Qui n'a lu l'Albe atroce ?
Commentaires
1. Le lundi 14 juin 2010 à , par Simon
2. Le lundi 14 juin 2010 à , par DavidLeMarrec
3. Le mardi 15 juin 2010 à , par Simon
4. Le samedi 19 juin 2010 à , par DavidLeMarrec
5. Le dimanche 20 juin 2010 à , par Simon
6. Le mardi 22 juin 2010 à , par DavidLeMarrec
7. Le dimanche 15 septembre 2013 à , par Georges
8. Le dimanche 15 septembre 2013 à , par DavidLeMarrec
Ajouter un commentaire