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Bon client

De Villiers, l'immigration, l'Islam. L'empathie terminologique dans les médias.

Pour échapper au discours moralisant sur l'immigration dans les Matins, j'ai exceptionnellement bifurqué sur France Inter. Bien m'en a pris, j'y ai rencontré un excellent client. Le problème sur France Culture était qu'on nous parlait de la dimension morale de l'affaire, qui est réelle, mais qui élude toute la discussion économique, le fond de la proposition. Et surtout qu'on exhibait la bonne conscience non sans une certaine hystérie désagréable.
[J'avoue ne pas saisir très bien le sens profond de ces débats sur l'immigration. Ni en quoi choisir l'immigration est un scandale, ni en quoi surveiller les frontières comme le lait sur le feu est indispensable. Il y a des débats tellement plus urgents que de traquer les pauvres bougres qui se faufilent en France. Qu'on punisse les employeurs qui font de la concurrence déloyale, certes, mais pourquoi les parquer dans des centres de rétension comme des criminels, je ne vois pas. Les enjeux de tout cela me dépassent largement, j'ai bien l'impression.]


Me voici donc à écouter de Villiers. Qui commence très fort.

Pas de droits pour ceux qui ne respectent pas le droit.

Je suis assez étonné, je croyais que Saint-Just était largement confisqué par l'extrême-gauche.
C'est une conception qui est aux antipodes de la démocratie, au demeurant : la démocratie contient le paradoxe qu'en donnant le droit à l'expression de tous les points de vue, elle peut s'anéantir elle-même. Là où un régime autoritaire pourrait bafouer ses lois pour se maintenir, un régime démocratique donne des droits, par définition, à ceux qui l'enfreignent. Sauf erreur, c'est à peu près à cela que servent les tribunaux.
On notera aussi la terminologie criminalisante largement attachée au sujet des 'sans-papier', alors même que les médias, siège officiel des bons sentiments, sont très largement défavorables. On parle des illégaux, alors même qu'il n'existe pas de règle commune pour le transfert d'un pays à un autre - simplement, le pays d'arrivée le régit comme il l'entend. La force de la dénomination me semble en contradiction avec la compassion (justifiée, d'ailleurs) qu'y mettent les médias. Pourtant, 'sans-papier' perd de plus en plus de vitesse vis-à-vis d' illégaux, ces dernières semaines, sans doute parce que les journalistes ont tendance à reprendre la terminologie des gens qu'ils commentent.

  • [C'est là une caractéristique assez remarquable du journalisme, à savoir qu'il reprend très souvent les termes qui lui sont présentés, d'abord en les mettant à distance, puis les utilisant en oubliant leur provenance. C'est le cas pour des termes techniques vulgarisés (voir le vocabulaire de la psychanalyse), mais aussi pour les choix d'institutions politisées. Prenons les antimondialistes, désormais nommés altermondialistes, terme beaucoup plus joli et positif, adopté sans sourciller par les médias alors même que sur le fond, aucun modèle de rechange n'est proposé et qu'on reste, stricto sensu, plutôt dans l'anti-. On aurait pu imaginer qu'il y ait réticence à changer le nom, puisqu'il s'agissait d'un désir de contrôle de son image par un groupe, et pas spécialement d'un ajustement terminologique justifié ou du changement officiel du nom d'un parti.]

Puis vint le couplet sur l'Islam. En rappelant qu'il existe une dimension politique qui lui est intimement liée - ce qui, à la lecture du Coran, est en effet incontestable. Pour clarifier son propos, il tire un atout formidable, le mot shariah, beaucoup plus efficace émotionnellement que l'évocation abstraite de la théorie politique mahométane.

Et là, je dois tirer mon chapeau à Ph. de Villiers. Parce que, sans programme crédible - il propose, en substance, de ne pas financer les mosquées, d'aimer la France et de limiter l'immigration, toutes choses sans doute admirables, mais qui ne nous sortiront pas de l'ornière -, il parvient à accomplir une prestation techniquement assez remarquable. Malgré l'hostilité affichée de l'entrevuveur, il parvient à ne jamais se dédire ni tiédir sa position. Sans affirmer que les musulmans doivent être chassés de France, il arrive, sans éluder les questions, à maintenir son principe de défiance. Sans hésiter, il avait manifestement toutes les réponses dans sa besace, très bien préparées ; et au cours de l'entretien, une seule hésitation, dont il se sort avec une pointe d'humour qui fait sourire le journaliste. Beaucoup de ses collègues pourraient en prendre de la graine - clairvoyance politique exceptée, hélas. Propositions claires, défendues sans compromission avec l'interlocuteur du moment, pas un pas en arrière, du très grand art du point de vue de la maîtrise rhétorique. Bien mieux que son discours à l'Académie des Sciences Morales et Politiques, incontestablement !

J'ai noté l'hostilité persistante du journaliste, et je ferai les remarques usuelles :

  1. Pourquoi réserver cette défiance aux hommes politiques d'extrême-droite, voire, rarement, d'extrême-gauche ? Les objections, quoique idéologiques, étaient pertinentes, et on gagnerait à ce que les "partis de gouvernement" soient traités de même.
  2. C'est ignorer que notre culture médiatique porte à l'empathie avec les victimes. En faisant cela, on nous place d'emblée dans la position de la compassion vis-à-vis de l'homme politique présent. Voyez, j'ai noté l'habileté de sa riposte au lieu de souligner les ridicules de sa manière (absents aujourd'hui) ou pire, l'inanité de son programme.

Dernière prouesse de notre héros du jour, la charte des mosquées. Outre le débat sur le financement des mosquées[1], elle suggère l'application des principes de la République dans ces lieux de culte. Et là c'est très fort : pas d'inégalité homme-femme dans les mosquées ! Le problème posé est évidemment que si le lieu de culte est dans l'espace privé, ils font un peu ce qu'ils veulent, et que l'Eglise catholique fait des discriminations à l'embauche depuis quelques siècles elle aussi.
Néanmoins, l'idée d'intégrer ces dispositions à la règlementation est très habile, puisqu'elle sape en profondeur certains principes de la religion censée s'intégrer, religion que la mesure vise à détruire. Et de fait, le texte du Coran n'est pas prévu pour être compatible avec une démocratie occidentale du XXIe siècle, c'est une évidence. Prétendre l'assimiler de force, c'est la conduire à la rupture ou avec ses principes, ou avec son environnement.


Au final, indépendamment de la minceur des idées, une prestation assez impressionnante sur le plan de la maîtrise technique.


[Je suis navré pour la teneur un peu hors sujet ces temps-ci, c'est essentiellement lié au manque de temps pour boucler des sujets.]

Notes

[1] Je ne vois pas pourquoi elles seraient financées par l'Etat, mais les églises le sont bien, et si des associations régulières existent et recueillent des subventions, il est logique qu'on procède ainsi. C'est là encore un sujet que je ne connais pas.


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