Les frontières de l'Europe, la Turquie, etc.
Par DavidLeMarrec, samedi 4 novembre 2006 à :: Vaste monde et gentils :: #428 :: rss
Je reproduis ici le commentaire que je proposais chez La Nouvelle Europe, en réaction à l'excellente synthèse de Philippe Perchoc.
Il réalise en effet un distinction utile entre critères essentialistes (géographiques, historiques et culturels) et constructivistes qu'on utilise couramment pour déterminer des frontières à l'Europe. Et il souligne à quel point ces critères sont joyeusement mélangés, quitte à se montrer soi-même contradictoire, pour imposer une vision ou l'autre.
Merci pour cette réflexion très stimulante.
Qu'ajouter ? Tout cela est très bien vu, et les critères, en effet, sont allègrement mélangés pour soutenir l'une ou l'autre position.
Petite remarque sur Averroès : cette histoire d'islam et d'Europe est véritablement problématique autour de personnalités comme la sienne. En cas de conflit entre les préceptes du Coran et la raison, Averroès préconisait de suivre la raison - ce qui n'est pas précisément conforme aux exigences très nettement formulées du Coran et de l'islam, pour le coup. En ce sens, Averroès serait plus de culture plus européenne (telle qu'on se plaît complaisamment à la définir idéalement, j'entends) qu'islamique ou arabe.
Cela dit, il est incontestable que la civilisation islamique a fécondé l'Europe, et pas seulement comme transmetteur de la culture antique et extrême-orientale.
Le judaïsme, qu'on le considère comme religion ou comme origine, me semble bien plus clairement européen, avec les personnalités citées ici, ou encore Moïse Mendelssohn pour les penseurs, Hindemith pour les compositeurs, Proust pour les littérateurs, etc.
On justifie une question de sentiments par des critères qui ne se recoupent pas et se contredisent.
C'est on ne peut plus vrai. Pour dire ma pensée, l'argument géographique est une vaste fumisterie. A partir du moment où le territoire est limitrophe (et encore, la Grèce ou Chypre en sont bien...), la question géographique est une fausse question.
En revanche, l'attitude constructiviste, qui me semble également la plus positive (et c'est comme cela que veut le présenter l'article de Philippe), ne doit pas tenir compte seulement de l'envie de bâtir un projet commun, ce serait un peu s'aveugler. Il faut qu'il y ait un minimum de valeurs communes - quand bien même, on le sait, les valeurs sont bien relatives, évoluent au fil du temps et ne sont pas des garanties véritables. Je dis cela tout simplement parce qu'il est nécessaire que l'ensemble des - disons pour faire vite - citoyens européens partagent un minimum de réflexes communs, pour que le dialogue et la négociation soient possibles sur des fondements stables.
A présent, sur la Turquie, puisque c'est toujours l'idée qu'on a derrière la tête - et le moindre mérite de la note de Philippe n'est pas de se hisser au-dessus de cette seule perspective.
A priori, sur le papier, je suis tout à fait sensible à l'idée qu'on puisse intégrer la Turquie si elle le souhaite - l'argument géographique étant très fallacieux, et contredit, par ailleurs, par l'argument historique.
Néanmoins, plusieurs problèmes se posent et font qu'à mon grand regret, si le référendum était organisé demain, j'irais voter Non, la mort dans l'âme, avec les nonistes de feu le TECE. Ils ne sont pas essentiels dans le sens où ils peuvent tous être levés, mais sont impérativement à régler :
- La population turque. Dans les traités actuels, le fonctionnement des institutions serait totalement déséquilibré. Il faut donc, auparavant, proposer une réforme. Qu'on nous redonne donc le TECE ou quelque diable qui lui ressemble, sans le nom de Constitution, et sans la partie III qui a tant posé problème (on fera avec les dossiers touffus existants qu'on refondra petit à petit, tant pis). En tout cas, il faudra un nouveau traité. Vu que celui-ci est tout prêt, et plaisait relativement bien, n'était la partie III (bien pratique mais saugrenue sur le plan constitutionnel et communicationnel), pourquoi ne pas s'éviter une renégociation ?
- La politique turque. Vrai problème, lorsqu'on voit les impossibilités à dialoguer sur des points d'histoire. La reconnaissance de Chypre, le génocide arménien ? Qu'il y ait divergence, ce n'est pas forcément grave, mais l'impossibilité absolue d'aborder le sujet est réellement préoccupante, en l'état.
- La culture turque. Pour partie musulmane, certes, mais il n'y a pas que cela. Force est de constater que les usages et les modes de pensée sont fort divergents sur certains points. Il faut bien s'assurer que l'essentiel est là, fixer quelques points de repères partagés et vérifier leur existence. La motivation à entrer dans un espace dynamique ne suffit pas, il faut en partager un minimum l'esprit pour assurer un fonctionnement aussi fluide que possible. J'ignore si ce sera le plus facile ou le plus difficile à obtenir, nous verrons.
En tout état de cause, avec l'introduction un brin choquante (et très lâche) du veto populaire français dans la Constitution, la Turquie, même si elle remplit tous ces critères (ce qui n'est pas pour demain, je le crains), n'entrera jamais dans l'UE.
Commentaires
1. Le lundi 6 novembre 2006 à , par Inactuel :: site
2. Le lundi 6 novembre 2006 à , par DavidLeMarrec
3. Le mardi 21 novembre 2006 à , par philippe :: site
4. Le jeudi 23 novembre 2006 à , par DavidLeMarrec
5. Le dimanche 16 décembre 2007 à , par COLPIN Didier
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