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Verdi en français - (Jérusalem, Les Vêpres Siciliennes, Don Carlos et autres bricoles)

Encore une fois, c'est sur demande que j'ai produit cette introduction informelle à l'oeuvre française de Verdi. Présentation très succincte des oeuvres, et rapide présentation discographique, ce qui explique le ton un peu pressé, un peu à l'emporte-pièce. Je le produis néanmoins ici, à titre indicatif.

Je renvoie aussi, pour complément, à Wagner en français et à un commentaire de l'état de Rigoletto après traduction.


Pour la petite histoire, Verdi est le compositeur le plus enregistré, devant Wagner, Mozart & Puccini (ex aequo), Donizetti (!), Richard Strauss, Haendel, Bellini.

Etait posée la question des opéras français (à mon humble avis les meilleurs) de Verdi. Très meyerbeeriens, et d'ailleurs Les Vêpres ont été écrites par Scribe, et Don Carlos en partie par Du Locle (également librettiste du Sigurd de Reyer, oeuvre que les habitués de CSS connaissent bien).


1. Les trois oeuvres françaises de Verdi

Jérusalem est un rifacimento (une refonte) d'I Lombardi alla prima crocciata, avec toute la musique de circonstance et les grandes scènes dramatiques réclamés par le genre du Grand Opéra à la française. Persistent les airs à cabalette, mais le style n'est plus du tout donizettien, on regarde plus vers Halévy, disons. [Mais du bon Halévy.]

Les Vêpres siciliennes, titre déjà ironique, sont dans la veine du meilleur Scribe (texte d'Eugène Scribe sur une révolte historique, à la façon des Huguenots ou du Prophète), avec un équilibre dramatique parfait. Verdi tire tout le nécessaire de la succession de Meyerbeer quant à l'économie dramatique au sein de chaque acte, économie d'habitude bien plus transversale pour travailler sur le drame dans son ensemble, et non sous forme d'actes-miniatures. De l'excellente musique aussi.

Don Carlos, bien évidemment, mérite le détour. Sur un livret de Camille du Locle et Joseph Méry, d'après Schiller. L'original français dispose d'une introduction (choeur des bûcherons et grand ensemble, avec superposition du choeur des chasseurs qui ouvre les versions italiennes en cinq actes) et d'un grand ballet (où Eboli échange son costume avec la Reine, au III). Sans parler de la déploration sur le choeur de Posa, qui reprend le merveilleux Lacrymosa du Requiem. Le duo Philippe/Posa, modifié en son milieu, moins chromatique et moins vocal, se fonde plus profondément sur le dialogue, le protocole, que sur les violentes réclamations politiques de Posa. La fin débouche pianissimo dans le choeur des moines.

Les Vêpres siciliennes et Don Carlos sont les deux seules oeuvres à avoir initialement été écrites pour la scène française (Jérusalem répondait à une commande de "la grande boutique", mais n'est qu'une refonte).

Il existe aussi des versions françaises des opéras les plus célèbres de Verdi. On en trouve volontiers des partitions, plus infidèles au texte que les Wagner, souvent revus avec une petite connotation moralisante, voire bigote (Rigoletto, Traviata sous le titre de Violetta...). Certaines sont contemporaines de Verdi. Celle du Trouvère par exemple, avec des danses ajoutées, comme ce fut le cas pour Macbeth. On trouve au disque le Trouvère (Dynamic, mal chanté et mal capté) et un très beau Rigoletto (J. Etcheverry, Massard, Vanzo, Doria).





2. La discographie


a) Jérusalem

Pour Jérusalem, étonnamment le plus enregistré des trois, il existe cinq témoignages.
- Gavazzeni I (Gencer/Aragall/Guelfi,1963)
- Gavazzeni II (Ricciarelli/Carreras/Nimsgern,1975)
- Luisi (Mescheriakova/Giordani/Scandiuzzi,1998)
- Plasson (Villaroel/Sartori/Colombara, 2000)
- Plasson DVD (Villaroel/Momirov/Colombara, 2000).

J'ai un doute sur le fait que Gavazzeni I soit bien en français, à vérifier. Pour les Plasson, Villaroel, lorsqu'elle est un peu décidée, peut être très grande (voix du genre Caballé, mais avec une rondeur plus callassienne), mais elle est régulièrement en panne, il faut bien en convenir, et souvent très prudente. Plasson dans ce répertoire peut être tout à fait intéressant.
Gavazzeni II est un beau témoignage, à l'accoustique sèche, qui sent assez le studio, ou plutôt, comme il s'agit d'une prise sur le vif, d'un concert avec peu de répétitions, chacun le nez dans la partition. Le problème de l'intelligibilité de Ricciarelli est patent, et bien sûr, Nimsgern n'a pas tout à fait la majesté d'un pieux ermite - capté de trop près de surcroît, c'est désagréable. Bon français d'ensemble, mais tout cela manque de vie.

Je recommande donc Fabio Luisi, chef d'une très grande inspiration dans les phrasés (y compris dans Wagner), qui obtient ici un très beau résultat. Français parfait de Marcello Giordano, Philippe Rouillon très en forme, et Scandiuzzi d'une très belle ampleur. Marina Mesceriakova est peu compréhensible et la voix mate, lourde ; il n'empêche qu'elle compense par un bel engagement. Et la cerise sur le gâteau : la suivante Isaure est tenue par la formidable Hélène Le Corre, une grâce sans pareille qu'on aimerait entendre s'épanouir dans la mélodie.


b) Les Vêpres siciliennes

Verdi est le compositeur le plus enregistré, près du double d'enregistrements que Wagner (!), et pourtant, pas de versions publiées en français, malgré quelques productions à Paris ou à Amsterdam ces dernières années. Aucune ? Si, une vieille version avec des chanteurs d'école plus légère (française ou anglaise), qui restituent ce chef-d'oeuvre avec leur propre savoir-faire.
Je ne connais hélas pas ce disque (seulement les captations de Paris et Amsterdam), mais on dit généralement que c'est bien.

Il s'agit de la troisième version de Mario Rossi, un concert du 10 mai 1969 à Londres, publié par Arkadia et Opera Rara. Jacqueline Brumaire, Jean Bonhomme, Nelson Taylon, Ayhan Baran et même Nigel Rogers dans le petit rôle de Manfredo.

Même si Mario Rossi est en général assez routinier, c'est tentant quand on sait les réussites de la BBC de l'époque dans ce répertoire.


c) Don Carlos

La version complète (avec introduction mais sans ballets), bien qu'en italien, devient désormais la norme. Au Met. En Suède aussi (l'enregistrement Hold-Garrido chez Naxos) ; on y ajoute parfois même la déploration traduite en italien !

Mais pour ce qui est des parutions françaises, on peut faire court.

- John Matheson 1973 - Tremblay/Vilma Menéndez/Turp/Savoie/Rouleau/Van Allan (récente réédition Ponto, à 12,02€ les quatre CDs sur Amazon)
- Abbado 1983 (on ne les compte plus, dans la discographie officielle, on en est déjà à 6-7...) - Ricciarelli/Valentini-Terrani/Domingo/Nucci/Raimondi/Ghiaurov (DGG)
- Pappano 1996 - Mattila/Meier/Alagna/Hampson/van Dam/Halfvarson (EMI)

Le disque Abbado est une abomination. Abbado dirigeait cette oeuvre à la scène, étrangement, avec une certaine facilité, un appui un peu vulgaire sur les traits - je pense assez aux Tristan sur le vif de Carlos Kleiber. Ici, aucune implication, tout simplement. Cette chose sent terriblement le studio. Les accents sont à couper au couteau. Même si des efforts réels ont été faits par des interprètes peu habitués à dompter cette langue (Valentini-Terrani et Nucci s'en sortent plutôt bien), le résultat est très déformé. Surtout, le vrai problème est qu'il ne se passe rien. Chaque chanteur a dû enregistrer séparément les ensembles, puisque nous entendons les voix se superposer, de façon boursouflée, sur l'orchestre, sans jamais se mêler. Surtout, personne ne semble très concerné. Pour couronner le tout, c'est la version archi-intégrale, mais pour ne pas brusquer l'auditeur, on nous propose en réalité la traditionnelle version coupée, avec les morceaux ajoutés en annexe !!
Un naufrage intégral, un grand ratage. C'est bien chanté, tout est en place, mais ça ne semble mener nulle part. Et surtout pas au drame de Don Carlos, on est si loin. On voit du chant. Ca gazouille une langue bizarre, c'est joli, en somme.
Je n'aime pas dire ça d'un disque, mais je l'ai rarement entendu à ce point, surtout avec un niveau musical aussi élevé, paradoxalement !

Le disque Pappano est une belle réussite, malgré le contre-emploi de van Dam (un peu tard pour l'assumer aussi bien qu'à La Monnaie en 1983). Le français n'est pas parfait, mais il n'est pas malmené. Existe aussi en vidéo. La prise de son est un peu lointaine, un peu mate, mais ce qui se passe sur le plateau le fait totalement oublier. Un problème notable cependant. Ce n'est pas la version française intégrale, contrairement à la publicité mensongère, car il manque l'introduction de l'oeuvre et la grande scène du ballet. Très belle version internationale, donc, mais pas intégrale.

Reste cette obscure version Matheson, archi-intégrale, sans appendices, et chantée dans le style français. On peut trouver les voix un peu courtes, un peu parlées pour du Verdi, mais quelle fraîcheur, quelle grâce ! L'esprit en est métamorphosé, ce n'est plus le Verdi habituel, c'est véritablement un Grand Opéra à la française. C'est évidemment celle-là que je recommande, ne serait-ce que pour la qualité du français. Néanmoins, pour les verdiens qui n'aiment pas ce type de voix, on peut en rester à Pappano, ou mieux, aux meilleures versions italiennes (Giulini 70, voire 58, par exemple).


Voilà pour ce panorama. Pour un début, Les Vêpres (le côté français ; en italien, la saveur se perd un peu) ou Don Carlos (plus dramatique, fonctionne aussi très bien en italien) me paraissent assez appropriés. Les références sont données !


Et encore mes excuses pour le ton catégorique de Café du Commerce sur les interprétations, ce n'est pas l'habitude ici et c'est mal.



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