Paradoxe central
Par DavidLeMarrec, samedi 28 avril 2007 à :: Langue :: #593 :: rss
Voilà longtemps que nous n'avions proposé par ici une petite Revue de Toile.
La dernière fois, souvenez-vous, c'était début mars, et nous nous penchions sur la figure obligée du changement et son triple paradoxe : être un homme nouveau mais montrer ses états de service, avoir des projets mais surtout régressifs, faire des propositions qui ne doivent surtout pas être appliquées.
Nous ne devions en théorie pas parler politique en ces moments agités, où le clivage semble anesthésier l'esprit critique des meilleures têtes. De plus, il n'est nullement dans l'intention de CSS d'exercer sa puissante influence sur qui que ce soit.
Toutefois, nous cédons. Pour deux raisons principales.
- D'abord à cause de l'abondance tentante de matière première, qui conduirait à une dangereuse saturation de nos archives. (Et nous souhaitons sans trop de hâte être expulsés par notre prestataire de services.)
- Ensuite et surtout, parce qu'il ne nous sera pas nécessairement loisible de publier ces remarques plus tardivement.
A toutes fins utiles, vu la période, et pour m'éviter les colleurs d'affiches (et de procès d'intention) plus ou moins virtuels, je précise tout de même qu'il sera très difficile de déduire les bulletins déposés ou refusés de ces considérations. Parce que personne ne représente les idées de CSS (qui songe sérieusement à un groupe parlementaire unitaire, avis aux lecteurs réguliers), et surtout parce que la rédaction de CSS ne se détermine pas en fonction des discours tenus, ni même des idéologies.[1] Notre boulot est de les regarder, pas de les prendre au sérieux, voyons.
Notes
[1] [Oui, CSS se la joue centriste, mais ça ne durera pas longtemps comme vous le verrez.]
En ces périodes, il n'est pas rare que l'outrance, à l'un ou l'autre, fasse lever le sourcil. Chez CSS, ce n'est pas tant par l'absurdité de l'idée[1] que par les méthodes parfois étranges pour parvenir à la concevoir.
Exemple simple pour mettre tout le monde d'accord : qualifier un candidat de "borgne" afin de stigmatiser[2] et de disqualifier son discours pulsionnel, intolérant et agressif. Le problème est que cette attitude de disqualification par l'apparence est elle aussi de nature pulsionnelle, intolérante et agressive, et ne prévaut que dans la mesure où l'on dispose d'un système de valeurs a priori supérieur à celui critiqué. Le problème étant que celui qui prononce ces discours, ou à tout le moins ceux qui en sont convaincus, disposent eux aussi de leur système de valeurs.
Ainsi, non seulement cette démarche sera parfaitement inefficace, mais elle est de surcroît aussi sotte que l' original.
Bref, CSS observe ces processus avec une perplexité certaine.
Et revient à ses premières amours. Car CSS aime François Bayrou.
Souvenez-vous.
- La figure obligée du changement, avec la nouveauté d'une Quatrième République.
- Notre citation politique favorite (2002).
- Et surtout notre petite monographie sur la perception étrange du temps induite par le centrisme.
Veuillez nous croire, CSS est bien navré de contribuer à l'overdose de politique triangulaire qui assaille le monde tout entier via l'Hexagone.
Surtout que cette notule nous a très fortement été inspirée par la conférence de presse de ce jour[3], plus encore commentée que les déclarations solennelles des lauréats.
Mais CSS est un support différent, cette chose qui fait monter la popularité, paraît-il. (CSS est un média élitaire populaire.)
Aussi nous n'évoquerons pas la curieuse morgue envers les journalistes (cela les regarde) ; ni le léger déséquilibre de son rejet qui tendait plus ou moins habilement à équilibrer son passé ; ni bien sûr le sigle inutilisable de son nouvel ensemble politique ; ni l'étrange blêmissement au mot de "banquier" désignant Jean Peyrelevade (mais cela rejoint seulement la figure imposée du changement, que nous avons déjà étudiée) ; ni l'étrange réquisitoire un peu aigre d'un perdant se comportant en vainqueur et distribuant les rares satisfecit ; ni l'étrange propos, qui à l'instar du quatrième arrivé, accusait à mots à peine plus couverts les électeurs de voter avec leurs pieds ; ni, plus mesquinement encore, l'anglais, disons, moyennement courant ; ni même ce discours décliniste un rien démesuré, présentant la France dans l'état du Zimbabwe après le passage des sauterelles et de deux bombes atomiques.
Nous ne nous attarderons pas même sur son sens de la parabole qui nous avait déjà mis en joie. Car le héros central de notre histoire a développé, semble-t-il, une propension assez remarquable à présenter une historiette en guise d'argumentation. Ainsi, aujourd'hui :
On disait que j'étais entre deux chaises. Mais maintenant il y en a trois.
On en revient toujours là. Il y a chez le noble défenseur de la poule au pot et de l'orphelin une propension à la création de réalités par la seule parole - quasiment démiurgique. Nous l'avions déjà remarqué avec sa conception du temps il y a déjà une année de cela.
Il serait injuste de l'en charger, c'est là simplement le propre de l'information : ce qui n'est pas vu devient véritable parce qu'il est énoncé. Pouvoir de la parole.
D'autres que lui en ont plus abusé ; souvenez-vous en août dernier. Non seulement dire, c'est être, mais dire, c'est même faire.
Il s'agit, au fond, d'un syllogisme fondamental de la pratique politique :
- toute action n'existe que parce qu'elle est énoncée ;
- or, on peut énoncer même une action qui n'est pas réalisée ;
- donc il faut aussi bien affirmer ce qu'on fait de positif que ce qu'on ne fait pas mais qui est aussi positif.
Sans doute pris de vertige devant ces considérations confinant au métaphysique, un assistant a éclaté en applaudissements enthousiastes.
Non, nous nous arrêterons sur un autre sujet.
La perplexité que nous rencontrons devant l'incursion du moral dans l'institutionnel.
Beaucoup de commentateurs et d'électeurs semblent séduits ou pétrifiés par l'idée de ce centre moral. « Les gens compétents » de chaque camp ensemble, qui n'acquiescerait vigoureusement ?
Cependant, la chose est biaisée.
Le premier plan, le plus mesquin, est celui de l'analyse des motivations personnelles du líder[4]. On aura noté, sans amusement, que François Bayrou, refusant d'appeler à voter, de nommer des alliés, et se présentant en résistant central, renvoyant les deux partis majoritaires à leur connivence, souhaite ainsi l'union, mais seulement si, lui, en est le pivot. Car les alliances du PS avec le PC, l'accommodement PS/UMP, le ralliement des siens là où il ne le souhaite pas, tout cela ne semble l'enthousiasmer qu'avec mesure.
Premier paradoxe. Souhaitant incarner une volonté française, n'ayant pas été qualifié, il argue des voix reçues pour exprimer un souhait majoritaire des Français. Cela, bien des commentateurs l'ont souligné.
Deuxième paradoxe. Appelant de ses voeux l'alliance, il crie à la connivence et réclame un parti indépendant dès qu'il en est exclu. Nous l'avions déjà remarqué en traitant de ses hallucinations temporelles : son raisonnement ne vaut que dès lors qu'il le place au centre de toutes les attentions.
Le deuxième plan, assez évident également, porte sur les réformes institutionnelles et la nouvelle donne. On ne revient pas sur l'illusion déjà évoquée il y a un an de créer la proportionnelle pour lui permettre d'être élu... ce qu'il ne pourrait faire qu'en étant élu. (Troisième paradoxe.)
En somme, dans cette conférence de presse, la revendication de la proportionnelle et ce désir d'être le pivot et l'arbitre fait du futur parti un rifacimento de l'antique Parti Radical, se vendant au plus offrant. Certes, ici, on nous assure que ce serait par conviction. Mais la chose n'y change rien au fond : cette force neuve prône la création d'une nouvelle République, à savoir la Quatrième. Quatrième paradoxe. Car l'instabilité gouvernementale qui résulterait de ce positionnement à la carte, fût-il vertueux, ne laisserait pas d'agacer l'opinion et d'accroître la suspiscion sur la connivence, précisément.
Plus grave, et la chose n'a pas été commentée à notre connaissance - et c'est là où CSS commence à s'amuser : le consensus ne signifie en rien la justesse et la justice ! Surtout lorsque ce consensus se réalise à un niveau supérieur et non à l'intérieur de la société civile (comme dans le fameux et révéré exemple germano-nordique). On peut discuter de l'intérêt consensus lui-même, qui crée un rapport social plus appaisé, mais risque également d'imposer une chappe de conformisme, d'autocensure, ou l'étouffement d'opinions minoritaires. A l'inverse, le conflit fait souvent parler de façon plus sonore les minorités agissantes que les majorités calmes. Il n'est pas dans le rôle de CSS de réorganiser le caractère de cochon[5] des Français.
Le consensus signifie que l'on tombe d'accord sur des choix partagés, certes, mais il est tout à fait possible de penser précisément à l'inverse parmi les ingrédients de la salade composée entre les idées « conservatrices » et « progressistes ». Nous en sommes navré, car nous regrettons bien, nous aussi, ce clivage artificiel qui voit tant d'individus se déchirer pour des slogans, ou se revendiquer fièrement d'un bord - alors même que la comparaison des échanges de mesures d'une élection sur l'autre est franchement élairante sur l'évolution culturelle, l'air du temps et la porosité des idées... Ainsi le poulain de la Maison Bleue, qui passait pour un libéral extrémiste, et qui fit une campagne prodigue en promesses d'étatisme poule.
Pourtant, à lire même furtivement le programme du parti du Mandarinat de la Mandarine, on peut noter des 'valeurs' sociales conservatrices et un positionnement plutôt étatiste sur le plan économique. D'autres préfèreront amplement des mesures sociales progressistes et une gestion plus libérale des affaires économiques.
Bref, on peut préférer le consensus social-libéral sociodémocrate au consensus démocrate-chrétien, ou l'inverse.
Tout cela pour souligner malicieusement :
- que le consensus ne garantit nullement l'accord nécessaire de tous, ni même d'une majorité ;
- que le consensus n'est pas ontologiquement producteur des meilleures solutions, puisque, comme on vient de le considérer, ses conclusions peuvent être diamétralements opposées ;
- enfin, que le consensus n'est pas spécialement moral.Il s'agit d'un outil, et pas d'une foi qui constituerait le point d'arrivée. Devant les propos idéalistes qui entourent cette pratique, il convenait de remettre les choses en perspectives - la politique n'a que faire de produire de la morale. La vie d'un homme politique peut être vertueuse, son efficacité peut justifier moralement son traitement, mais produire de la morale, dans quel but et au nom de quoi ?
Enfin, et c'est là le plus important, cette unité nationale est une chimère. La démocratie ne peut vivre que s'il existe un choix. Si le seul choix est le bien commun, cela rappelle le "choix" des démocraties populaires, entre un communiste à barbe et un communiste à lunettes. Si "les meilleurs éléments de bonne volonté" (comme on l'a vu, on tombera déjà difficilement d'accord sur leurs noms) sont tous réunis et réalisent une politique peu convaincante, que fait-on ? Revote-t-on pour leurs partis, ou va-t-on chercher des formations plus marginales, juste pour protester, avec les risques électoraux que l'on sait, à savoir obtenir plus qu'une protestation, une victoire pas nécessairement proche des désirs des électeurs.
Aussi, Parti Central ou pas, il ne sera pas possible d'établir ce projet proprement utopique. Si c'était le cas, ce serait fortement préoccupant.
On voit donc que ces apparences morales ne sont en réalité que des choix politiques, qu'il appartient à chacun d'approuver ou non, mais ne constituent nullement un point de départ incontestable et commun à tous.
Ces appels à l'absence d'esprit partisan sont plus que sympathiques, mais l'abolition absolue des oppositions ne peut avoir lieu sans risque - même si l'on peut souhaiter avec quelque raison voir une vie politique moins tapageuse et plus créative. Mais pour cela, on peut compter sur les déchirements dûs aux ambitions personnelles, y compris centristes, ce qui en l'occurrence est plutôt de bon augure pour la suite.
CSS s'est beaucoup diverti à observer ce glissement vers l'impératif moral - et à le pourfendre sans pitié comme hors sujet. Avec d'autant moins de scrupule qu'on sait fort bien que cela ne pourra être pleinement mis en oeuvre, et que nos discordances portent plus, en l'occurrence, sur les discours que sur de la pratique politique dont nous ne saurions prévoir avec quelque précision le développement.
Mais il est toujours intéressant de penser à ce qui est dit, à ce qui s'insinue dans l'imaginaire collectif, afin d'éviter de laisser naître des chimères.
Par ailleurs, CSS adore l'excellent client qu'est l'orange galant.
Mais par prudence, nous achèverons avec le retour d'un petit disclaimer [6].
Entendons-nous bien : CSS n'entend pas ici accréditer la thèse selon laquelle les autres candidats seraient ou auraient été de meilleurs partis ; simplement, tous ne proposent pas ce magnifique festival de fêlures qui fait le bonheur de farfadets dans le genre de CSS, ébaubis du moindre sous-événement linguistique. La surface d'autres candidats se montre bien plus lisse, ce qui constitue un signe d'assurance très souhaitable aussi bien que la cause d'une impossibilité à jauger réellement leurs aptitudes.
Notes
[1] Par exemple détruire les champs d'OGM pour éviter la dissémination, en prenant bien le soin de retirer le bâchage qui retenait les pollens...
[2] Avec ces bêtises, CSS est devenu la première réponse sur Yahoo pour stigmatiser... Jdm, je vous demande de vous arrêter !
[3] Mercredi dernier, en fait.
[4] Prononciation homologuée Max Gallo.
[5] à ce que l'on dit. Mais pour n'offenser personne, on peut aussi le servir casher ou halal. [Nous sommes sous mauvaise influence syncrétique, semble-t-il !]
[6] Nous avions déjà posé la question curieuse d'un équivalent français. Deux équivalents : le très-exact Déclaration de non-responsabilité et le plus vague Avertissement. Le premier est un peu formel, long. Le second n'a pas exactement les mêmes connotations, et sonne plus agressif, moins second degré. Aussi, jusqu'à nouvel ordre, nous conservons le terme anglais, d'autant plus aisément que ses sonorités en laissent facilement entendre le sens : "contre-réclamation". A voir si un néologisme français ne serait pas envisageable.
Commentaires
1. Le samedi 28 avril 2007 à , par Morloch
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3. Le samedi 28 avril 2007 à , par Vartan
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13. Le lundi 30 avril 2007 à , par jdm
14. Le lundi 30 avril 2007 à , par jdm
15. Le jeudi 3 mai 2007 à , par DavidLeMarrec
16. Le jeudi 3 mai 2007 à , par DavidLeMarrec
17. Le mardi 8 mai 2007 à , par Didier Goux :: site
18. Le mardi 8 mai 2007 à , par DavidLeMarrec
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