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Bach – Sept processions


Sur le modèle des Trois marches crépusculaires, où chaque interprétation ouvrait la voie à des mondes nouveaux et très divers, quasiment à un angle philosophique distinct de la Tétralogie, ecce homo quelques approches possibles de l'étrange Introduction de la Passion selon saint Jean de Bach.

(Vous me croirez ou non, mais la date de parution ne coïncide qu'avec les contraintes de bouclage, et pas le moins du monde avec l'esprit de saison.)







A. Les états de la partition et le chœur liminaire

Toutes les versions discographiques ne l'incluent pas : parmi les nombreux états et sources de la partition, le deuxième (1725), de plus en plus régulièrement enregistré depuis le milieu des années 1990, ne comporte pas le chœur initial Herr, unser Herrscher, remplacé par O Mensch, bewein' dein Sünde groß, celui qui clôt la première partie de la Saint-Mathieu en 1736un chœur beaucoup plus sautillant et traditionnel, à la façon des solennités baroques où la tristesse n'exclut ni la lumière du mode majeur ni le désir de la danse.

johannes passion bach autographeNéanmoins, les autres états de la partition comportent le saisissant Herr, unser Herrscher.

1724 – Première version. Partiellement retrouvée.
1725 – Reprise l'année suivant la création. Remplacement de l'introduction.
1732 – Rétablissement de l'introduction originale.
1739 – Seul autographe de Bach. La reprise annoncée ayant été suspendue, sa main s'arrête au dixième numéro, et le manuscrit est achevé par C.P.E. Bach et d'autres copistes.
Années 1740 – De même que pour les deux précédentes versions, avec le chœur introductif d'origine.

La plupart des éditions modernes se sont fondées (en particulier toutes celles d'avant les mouvements musicologiques dont l'influence ne se généralise progressivement, dans Bach, que dans la seconde moitié des années 80) sur l'autographe de 1739, une version qui ne fut pourtant jamais donnée du vivant du compositeur – mais je suppose que l'exaltation de l'objet lui-même n'y est pas étrangère.
Aussi, avec une version de 1739 massivement présente et 4 états de partition sur 5 qui contiennent Herr, unser Herrscher, l'essentiel de la discographie nous concerne pour la notule d'aujourd'hui.

En outre, les versions qui documentent 1725 se contentent souvent d'inclure tout ou partie des numéros changés, en supplément, sans retrancher les chœurs et airs plus connus. C'est même systématiquement le cas avant les très confidentiels de Joachim Krause en 1996 et 1997, respectivement à Bâle et à Zürich ; la première version un peu largement diffusée (chez Koch) est celle de Craig Smith en 1998 (puis Peter Neumann chez MDG en 1999). Pour un coffret réellement prestigieux et ouvert à un vaste public, il faut attendre Philippe Herreweghe en 2001 (Harmonia Mundi, avec Mark Padmore et Andreas Scholl).

Les versions sans Herr, unser Herrscher sont donc rares : Joachim Krause (autoproduit 1996 & 1997), Hans-Christoph Becker-Foss (1998, là encore autoproduit), Craig Smith (Koch 1998), Peter Neumann (MDG 1999), Philippe Herreweghe II (HM 2001), Kart Rathgeber (autoproduit EHS 2002 & 2010), Wolfgang Kläsener (autoproduit 2003), Simon Carrington (ReZound 2007), Nico van der Meel (Quintone 2007), soit très peu sur les plus de 200 enregistrements commerciaux existants.
Il est simplement regrettable que la version qui, pour moi, passe toutes les autres (Carrington avec Yale), ainsi que quelques témoignages parmi les plus remarquables (Herreweghe II, van der Meel) omettent le chœur initial dont je voulais parler ici (et que j'aurais aimé, accessoirement, écouter).







B. Contenu

Pour commencer, le texte, dont je reprends la traduction par Dominique Sourisse :

Herr, unser Herrscher, dessen Ruhm
In allen Landen herrlich ist !

Zeig uns durch deine Passion,
Daß du, der wahre Gottessohn,
Zu aller Zeit,
Auch in der größten Niedrigkeit,
Verherrlicht worden bist !
Seigneur, notre souverain,
dont la gloire en tous pays resplendit !

Montre-nous par ta Passion
que toi, le vrai fils de Dieu,
pour tous les temps,
et même dans l'extrême abaissement,
tu a été glorifié.

Un véritable programme ; néanmoins la mise en musique diffère assez sensiblement de son thème – mais peut-être est-ce là un biais personnel, je trouve toujours Bach assez triste, voire oppressant, avec ses harmonies dures, son peu de respiration (très peu de silences en général, ce qui est un peu moins vrai dans les Passions qu'ailleurs), alors qu'une grande majorité de mélomanes trouve au contraire qu'il incarne une forme d'exultation cosmique…

Je crois tout de même qu'en observant le détail, on peut s'accorder sur une impression un rien menaçante dans cette hymne, au moins dans sa partie orchestrale – je suppose qu'on peut davantage débattre du caractère impétueusement extatique ou redoutablement enveloppant de la partie vocale.

passion violons

Les cordes (violons & altos) effectuent une sorte de tricot très dense, qui sort très vite de la simple évidente tonale standard pour aller explorer chromatiquement les abords : son écheveau très resserré et son errance harmonique tendent à créer une atmosphère au minimum dramatique, pour ne pas dire tragique – ce qui est complètement cohérent avec le sujet, mais pas avec le texte essentiellement glorieux de cette introduction, qui ne mentionne l'abaissement symbolique (et peu la souffrance) qu'au sein d'une exaltation sans arrière-pensée.

passion hautbois

Chez les deux hautbois aussi, et c'est encore évident, tout tient de la plainte, avec ces frottements de demi-tons à l'italienne (on en trouve fréquemment dans les évocations de Crucifixion, au sein des Credo comme chez Vivaldi, des Stabat Mater comme chez Pergolesi…), en syncopes : une note arrive pour se superposer à l'autre, encore tenue, en dissonant, et l'on glisse ainsi d'un accord à l'autre de façon jamais propre, toujours dégingandée. La symbolique attachée à cela dans la rhétorique baroque, et plus encore en mode mineur comme ici, est clairement celle de la plainte, de la désolation.

On voit aussi les intervalles dissonants ordinairement évités comme disgracieux (saut de triton descendant pour le premier hautbois), qui symbolisent là aussi la dysharmonie (on pourrait y voir le triomphe temporaire des forces du Mal).

passion basse

Pendant ce temps, la basse demeure stable et obstinée (on discutera plus loin de ses interprétations possibles, à la faveur des différentes interprétations sélectionnées), très longtemps en pédale de sol (toujours la même note), mais les claviers et les cordes grattées peuvent, considérant ce qui surplombe, proposer des accords très riches de cinq sons au lieu des trois standards… Ici encore, un effet de densité très inhabituel dans la musique du temps, qui a dû faire beaucoup d'effet – considérant qu'on pleurait à la première d'Iphigénie en Aulide un demi-siècle plus tard (car cette musique faisait un effet inouï), on mesure mal l'impact de ce type d'écriture saturée au début du XVIIIe siècle (ce chœur date au plus tard de 1724 !).
Elle devait mettre particulièrement mal à l'aise, je me dis qu'il faut se figurer Saint-Saëns ouvrant la partition du Sacre du Printemps, ou le public de Maurice Chevalier découvrant Iron Maiden.

passion choeur

Le chœur est plus varié et ambigu, avec ses volutes qui étreignent avec cruauté, me semble-t-il, pour une hymne, mais dont la vocalisation par paliers et les rythmes décalés peuvent tout aussi bien figurer une forme d'extase collective (les aigus assez exigeants des sopranes, cette scansion rituelle des syllabes en croches…).







C. Sept versions

C'est parti pour le voyage.

Sept versions, choisies pour leurs partis pris qui changent tout à fait le sens de ce qui est écrit, sans s'en écarter pour autant.



1) Gardiner I – 1986



Dès l'orée, le principe : on chante un événement, et les hautbois, qui s'entrechoquent douloureusement mais non sans élan, attirent avant tout l'attention. Le reste est moins significatif – le Monteverdi Choir sonnant ici un peu épais.

passion gardiner



2) Harnoncourt III – 1993

Écoutez, Chrétiens, la mort de notre Seigneur. Harnoncourt ne nous ment pas : le texte parle peut-être de gloire, mais c'est avant tout la mort qui règne en maître. Ce vendredi est vendredi d'affliction, et on perçoit surtout le tricotement sombre, les déchirements vénéneux des cordes, les temps qui, loin de paraître réguliers, agitent comme autant de soubresauts une musique qui déborde d'épines dissonantes.


Cette troisième version (la plus ancienne date de 1965, avec Equiluz et van Egmond, la deuxième est une vidéo officielle de 1985, avec Equiluz et Holl) tient très bien cette promesse : voix peu amènes (Lipovšek, Leitner, Holl, Scharinger !), angles durs, couleur grise, intensité amère omniprésente… l'une des Saint-Jean les plus urgentes et les moins plaisantes. On ne peut vraiment pas écouter pour se repaître de belles voix et de jolis chœurs.

passion harnoncourt



3) Parrott – 1990


Des plaintes dissonantes deviennent des cris : les hautbois sont poussés jusqu'à la distorsion, leurs entrechoquements sont exaltés… tout cela paraît très inquiétant, et contraste avec ce chœur en petit effectif, d'une netteté plus décidée qu'affligée, qui paraît presque lumineuse en comparaison, lumineuse à cause de cette musique exécutée avec une maîtrise qui exclut, d'une certaine façon, la dépression du deuil. La franchise des émissions vocales, la régularité absolue des volutes facilite davantage la danse que l'affliction. J'aime beaucoup cette étrange atmosphère, très contradictoire – les hautbois continent de crier.

passion parrott



4) Fasolis – 1998

Entendez-vous les tambours funèbres, qui accompagnent l'inhumation, jadis furtive à la faveur  d'une infamante descente de Croix, assurée nuitamment par deux seuls disciples encore présents, et qui résonnent aujourd'hui, rythmant la douleur de tout un peuple ?


Il n'y a pourtant aucune percussion dans l'orchestre de Fasolis (ici l'ensemble Vanitas, pas ses Barrochisti), cet effet est obtenu par l'épaississement soudain du coup d'archet des basses de violon (et de la basse de viole, sans doute, combinée aux accords riches de l'orgue positif), mais l'on croirait entendre de gros tambourins voilés de crêpe, et malgré le tempo rapide, une sorte d'avancée rituelle, de danse funèbre qui rende visible l'affliction collective.
Le chœur traditionnel (Radio de la Suisse Italienne) mais très bien préparé (par Fasolis qui en était le directeur musical) contribue aussi à cette impression : large comme les multitudes, insistant et pesant, mais sans jamais paraître gourd ou épais, il pleure, lui aussi, de façon codée, ritualisée, une plainte collective.

passion fasolis

Sans doute la version la plus persuasive de cette entrée, à mon sens. (Et le reste, quoique beaucoup plus sobre, est également très réussi.)



5) Pichon – 2013

En exaltant ce rythme obstiné qui tient de la déploration, d'autres trouvent d'autres entrées, comme Pichon, avec ses détachés réguliers des basses, franchement accentuées sur chaque temps. Presque une danse de jeux funèbres.


Quelque chose de très motorique, très allant tout en demeurant parfaitement sombre, et avec un goût de la rhétorique vocale très affirmée dans les sections intermédiaires où le chœur est divisé. Les archiluths sont très audibles et cassants, et par-dessus tout le ronronnement menaçant des basses lorsque les croches se dédoublent en volutes.

passion pichon
(Hors commerce, tiré d'une vidéo captée à Saint-Denis en 2013.)



6) Herreweghe I – 1987

Bercée sur un roulement méditatif, l'expression d'une foi sûre et paisible, peut-être teintée d'un peu de mélancolie, mais surtout baignée dans une tiède lumière, une douce certitude. Les chants apparaissent comme un appel persuasif et non plus comme un cri de douleur.


Chez Herreweghe, on entend tout le contraire des versions emportées ou sinistres, et les mêmes procédés prennent un son tout différent : les hautbois procurent du relief, mais plutôt propice à la méditation que menaçant ; les cordes tournent comme un fuseau, se répètent avec le balancement d'une berceuse ; les basses palpitent avec douceur, en laissant assez floue la régularité des appuis. Et l'on n'entend pas les duretés des cordes grattées ou pincées.

Ce chant de louange n'est pas exalté, il est plutôt l'assurance d'une fin heureuse, malgré la dureté de l'histoire qui va être racontée. Considérant l'écriture très tourmentée et sophistiquée de ce chœur d'ouverture, parvenir (rondeur des timbres du Collegium Vocale de Gand aidant) à communiquer la même paix que dans un choral est un tour de force très impressionnant.

passion herreweghe

Le reste de la version reste sur le même pied, sans chercher les contrastes, et vaut en particulier pour la poésie extrême de l'Évangéliste de Howard Crook, même s'il est encore plus exceptionnel en Matthieu.



7) Takehisa – 2001

Étrange atmosphère vibrillonnante, où chacun semble improviser simultanément, où la déploration rituelle, le motorisme allant, la danse, les dissonances terribles des hautbois, les détimbrages expressifs s'entrechoquent.


Les parties intermédiaires vocales en solo grêles, la masse grouillante de l'orchestre d'où émergent les parties conflictuelles du discours, les frottements multiples, les grincements des cordes… nous sommes chez Takehisa, d'une intensité toujours aussi débridée et personnelle. Ses chœurs réduits du Messie de Haendel sont parmi les plus roboratifs et fascinants de tous, et il en va de même ici, avec toutes les contorsions de ces voix placées en gorge (tous japonais – à l'exception de Jésus, étrangement) et mises en valeur lors des semi-solos intermédiaires.

Observez la première reprise, plus rapide, plus forte, qui débute par un accord d'orgue, rejoint par les sortes de clusters de toutes les basses et les tissus intermédiaires, comme si émergeaient mille souffrances potentielles de ce chaudron de l'enfer. Lors de la seconde reprise, les cordes se mettent à grincer, l'effet percussif déjà entendu chez Fasolis se décuple, ajouté aux ronronnements menaçants de Pichon, aux improvisations nouvelles des hautbois… Terrifiant.

passion takehisa

On fait difficilement plus loin des paroles, mais ce débordement d'expression a quelque chose d'assez magnétique. Le reste du disque (avec Conversum Musicum chez ALM, comme les autres) est tout aussi passionnant, mais il faut accepter les voix blanchâtres (et placées à la japonaise), qui n'ont pas la qualité verbale exceptionnelle de la plupart de la concurrence. [Il n'empêche, l'une des versions qui s'écoutent le plus facilement, à mon sens.]







D. Discographie

Il est assez fascinant de constater, en plus du traitement déjà contradictoire de Bach par rapport à son texte, comment, tout en jouant très exactement ce qui est écrit, les interprètes peuvent tirer ce chœur introductif vers quantité d'affects tout à fait opposés, qui vers la paisible certitude de la Foi, qui vers la plainte désespérée, qui vers les tourments d'un drame à venir, qui vers la déploration collective et rituelle…

Il serait trop long de suggérer une discographie parmi près de 250 enregistrements officiels en langue allemande ; il se trouve néanmoins que les extraits choisis ici sont tirés de versions hautement fréquentables, même si elles ne ressemblent pas forcément (Parrott, Fasolis, Takehisa) au traitement de leur chœur liminaire.

Je recommande tout de même chaleureusement d'essayer la version de 1725 par Carrington avec les musiciens de Yale (ReZound 2007) : l'élan musical et la chaleur verbale en font vraiment de très loin celle que j'aime le plus fréquenter, malgré les manques par rapport à l'édition habituelle. Comme mentionné précédemment, Herreweghe II (HM 2001, avec Padmore) et van der Meel (Quintone 2007) sont de superbes réussites dans ce même état de partition.

passion carrington version 1725

Sinon, si l'on veut débuter par le chœur fulgurant qui nous a occupé aujourd'hui, je peux toujours mentionner les versions auquelles j'aime à revenir, parmi les masse de celles disponibles (dont un certain nombre que je n'ai pas essayées, il va de soi !) :
Harnoncourt III (Teldec 1993), voix peu gracieuses mais constance dramatique impressionnante ;
Rilling II (Hänssler 1996, avec Schade et Goerne), version semi-informée qui va droit au but, avec une simplicité et une sincérité touchante, sans jamais paraître attachée à une école, cela fonctionne, tout simplement (par ailleurs, la sobriété du clavecin est très persuasive et les chanteurs sont superbes) ;
Herreweghe I (HM 1987, avec Crook), plus rigide, mais la beauté du chœur et l'éloquence son évangéliste en font une fréquentation nécessaire ;
Suzuki II & III (BIS 1998, TDK 2000, avec Gerd Türk), versions qui valent pour leurs équilibres, assez parfaits (et superbe évangéliste), avec un faible pour la première, tout comme :
Gardiner I (Arkiv 1986, avec Rolfe-Johnson) ;
Fasolis (Arts 1998), d'atmosphère sombre, d'aspect plus lisse que les versions très baroqueuses (chœur non spécialiste, alto féminin de Claudia Schubert – très bon d'ailleurs), tout empreint d'échos funèbres. 

Parmi tant d'autres choix possibles et pour certains très valables : Takehisa, Dijkstra, Parrott, van Asch, Huggett, Koopman, Gardiner II…



Et n'omettez pas, chers lecteurs, de souhaiter une joyeuse fête à toutes les cloches de votre entourage.


[Ainsi qu'un bisou aux ressuscités, mais ils se font rares en ces temps décadents. Plus rien n'est pareil depuis la mort de Mathusalem et Jéroboam.]


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Commentaires

1. Le mardi 29 mars 2016 à , par Diablotin :: site

Notule tout-à-fait passionnante -évidemment, le jeu de mots est facile...- !
Cela étant, j'aime beaucoup Parrott, que je ne connaissais pas, et qui va venir compléter ma version Gardiner 1 -je ne trouve pas les choeurs spécialement épais chez lui, par ailleurs- : mais ici, on entend ça assez touffu dans les versions de Pâques :-D ! Encore un tropisme local, sans doute ;-) !!!

2. Le mardi 29 mars 2016 à , par DavidLeMarrec

Merci !

Oui, Parrott est très réussi ici – son chœur est toujours passionnant, en général (particulièrement vrai dans les oratorios de Haendel). Néanmoins, sur la durée, sa version conserve un rien de raideur que n'a pas Gardiner I, très naturel (les chœurs n'y sont épais qu'en ce début, les chorals sont évidemment superbes, même si mon goût actuel me pousse vers des ensembles vocaux moins fournis).

[Je n'ose me figurer les choucroutes pascales que vous vous préparez, en effet.]

3. Le mercredi 30 mars 2016 à , par Thomas Savary :: site

Mille mercis pour ce billet ! Si ce n’est pas par la Saint Jean que j’ai vraiment découvert la musique de Bach, mais par l’Oratorio de Noël, la Saint Jean fut la deuxième sur la liste. Comme j’avais fini par apprécier le Weihnachtsoratorium, dans la version d’Harnoncourt I, j’ai pris un abonnement pour l’Autrichien et acheté la SJ et la SM en coffret. Ce chœur d’entrée fut pour moi un choc musical — cette fois, c’en était fait : j’adorais Johann Sebastian Bach. Aujourd’hui encore, la Saint Jean reste mon œuvre préférée du compositeur.

Petit rectificatif, toutefois, Harnoncourt I, c’est en fait la version filmée de 1985. Celle de 1965 fut en réalité dirigée en grande partie par Hans Gillesberger, le chef des Petits Chanteurs de Vienne (témoignage de Max van Egmond, rapporté sur le site Bach Cantatas). Quand on pense que les Wiener Sängerknaben firent partie des défricheurs de la musique baroque au disque, Gillesberger ayant par ailleurs dirigé un des deux requiems de Biber, voir ce que le chœur est devenu après lui, et surtout depuis Marschik, ça fait pitié…

http://www.bach-cantatas.com/Vocal/BWV245-Gillesberger.htm

Je suis heureux que tu aies retenu Parrott. Le chœur d’entrée est effectivement brillant. La suite… Covey-Crump, misère ! Dans la musique médiévale et renaissante, je l’adore, mais comme évangéliste, non, pitié… En tout cas, la présence dans le chœur de deux « petits braillards » (© David Le Marrec) ne t’a pas rebuté, on dirait. On perçoit très bien le timbre de Fliegner au soprano. Quant à Christian Günther, ce fut mon alto préféré du Tölzer Knabenchor. Je regrette que Parrott ne lui ait pas laissé au moins Von den Stricken alors qu’il avait fait chanter Iconomou dans la Messe en si… Enfin, il est fascinant de voir à quel point Caroline Trevor a su adapter son chant pour le faire ressembler autant que possible à celui d’un alto garçon à la Tölz de l’époque. Si seulement Parrott avait choisi un autre évangéliste…

Le chœur d’Harnoncourt II (1993) est aussi un de mes préférés. Pour la suite, la voix de gros nounours de Scharinger et les meuglements de Lipovšek (Vôôôn den Stricken)… insupportables. Le timbre de Robert Holl n’est pas le plus agréable qui soit, certes, mais lui au moins est un interprète de grande classe. Et j’adore l’évangéliste de Rolfe-Johson.

Sinon, as-tu déjà entendu Goebel dans cette œuvre ? Autant j’ai adoré ses Bach instrumentaux, autant je trouve tous ses Bach chantés atroces. La Saint Jean en concert que j’ai entendue (nov. 2012) ne fait pas exception, malgré beaucoup de choses intéressantes, à commencer par le chœur d’entrée. 6 min 54 s, qui dit mieux ? Ce n’est pas seulement très rapide, mais d’une violence extrême : les cris et les coups fusent, de poing, de fouet. Ça déchire, presque au sens propre. Dément, mais génial, j’ai trouvé.

Le problème, c’est qu’il a continué avec les chorals : secs, inhumains, taillés à la hache, vraiment, avec leurs pauses absurdement soulignées. Abominable ! Dommage, car l’ensemble aurait pu être excellent, malgré quelques solistes décevants.

Y avait des garçons, en effet, t’aurais détesté. D’ailleurs, j’ai souffert moi-même : le soprano luttait avec la mue, c’était engagé et intéressant, mais tendu, sans compter que le timbre n’était pas franchement beau. Les deux altos n’étaient pas à la hauteur, trop gamins, rien à voir avec Günther, Immler ou Iconomou. Beekman en évangéliste : pas mal, mais pas vraiment le timbre de l’emploi. Nolte et Wolf, excellents.

Sans imagination, les turbæ remplissaient néanmoins leur office : terribles, grisants… Goebel et le Tölzer Knabenchor dans leur élément. En dépit de quelques flottements du chœur, j’ai adoré, notamment le pupitre d’altos à tomber par terre.

Pourquoi a-t-il fallu que Goebel gâche tout avec ses chorals dégueulasses, et jusqu’au dernier : même traitement, à peine adouci, pour Ach Herr, lass dein lieb Engelein… Ach ! mais pourquoi tant de haine ?

Et pour finir, merci beaucoup pour Takehisa. J’ignorais même l’existence de cette version, effectivement passionnante et tout aussi singulière que celle de Goebel, dans un tout autre genre. On ne la trouve malheureusement pas sur Qobuz. Saurais-tu où on peut la télécharger (légalement, j’entends) ?

4. Le mercredi 30 mars 2016 à , par Diablotin :: site

[Je n'ose me figurer les choucroutes pascales que vous vous préparez, en effet.]
Disons que ça s'inscrit dans une tradition qui conduirait de Gönnenwein à Leonhardt, avec une affirmation très marquée de l'ancrage protestant de cette musique : un genre de raideur un peu rigoriste où la clarté ne serait pas une vertu première, mais d'une piété réelle cependant.

5. Le dimanche 3 avril 2016 à , par Benedictus

Passionnante notule, merci!

Je suis globalement d'accord avec tes propositions: Harnoncourt 93 comble assez parfaitement mon goût pour les voix moches et les accompagnements méchants; et Herreweghe 87, à l'inverse idéal pour la beauté vocale et l'atmosphère pieuse (mais je conçois qu'on puisse aussi bien parler ici de quiétisme guindé). Pour le reste: pas retourné à Gardiner 86 depuis des lustres; quant aux trois autres que j'avais écoutés sur tes conseils: Parrott formidable pour les chœurs mais vraiment éprouvant pour le reste (enfin pour mes critères, hein); comme d'habitude, Suzuki 98 n'est pas du tout ma came (blanc et mou); Fasolis très beau mais assez surprenant: ça sonne vraiment très tradi (et pas qu'à l'aune du Bach orchestral de Fasolis: le chœur comme l'orchestre y ont comme un halo, et l'expression m'y avait semblé plus proche d'une sobre effusion cécilianiste que de la rhétorique baroque).

Sinon, merci aussi pour l'extrait de Takehisa, assez puissamment dissuasif pour moi. Du coup, plutôt que d'investir dans une nouvelle version baroqueuse, je crois que je vais essayer de me procurer Jochum 60 (j'ai déjà le studio de 67 avec le génial Évangéliste d'Haefliger): un live munichois avec Grümmer, Pears, Höffgen et Hotter - tu connais?

Je crains par ailleurs que ton enfance en contrée pinardière n'ait affecté ta maîtrise de la chronologie vétéro-testamentaire: entre les temps antédiluviens et les débuts des deux monarchies (à supposer d'ailleurs que Jéroboam "Ier" ait davantage de consistance historique que Mathusalem - historiens et exégètes en doutent de plus en plus) ce n'est pas vraiment le même millésime.

6. Le dimanche 3 avril 2016 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir !



@ Thomas :

Considérant que Harnoncourt dirige le plus intéressant dans cette première version (tout sauf les numéros avec chœurs), on peut considérer que 1965 est aussi une version Harnoncourt. Je ne l'ai mentionné qu'incidemment, mais tu as bien sûr raison de souligner la co-direction de Gillesberger, il n'y a pas de raison.

Justement, dans cette version, la texture du chœur (et pas principalement les petits choses) est plutôt une réserve, surtout dans les chorals où l'on sent de surcroît une articulation beaucoup plus pesante.

J'aime beaucoup Covey-Crump pour ma part, il fait même plutôt partie de mes Évangélistes chouchous (sans être du niveau de Chester, Breslik, Crook, de Mey ou Schade, mais parmi les très inéressants tout de même : ça ne rougit pas face à Equiluz, Türk, Padmore ou van der Meel) ; quel est le problème ?  Techniquement, je ne vois pas, ce doit donc être une affaire de goût, mais je ne le trouve pas si différent, moi…


En tout cas, la présence dans le chœur de deux « petits braillards » (© David Le Marrec) ne t’a pas rebuté, on dirait.

Ah, mais au contraire, j'aime beaucoup les chœurs où les dessus sont tenus par des petits Ygnobles, c'est comme pour les falsettistes dans les pupitres d'alto, ça donne un continuum très persuasif, un équilibre qui évite la césure avec les gros mezzos ronflants et les sopranos trop construits (il faut au minimum des voix jeunes et des techniques un peu étroites façon Kirkby, Daneman ou Fuge).
C'est dans les solos que les galopins et les chapons me dérangent (déjà, l'état d'intelligibilité du texte) ; les enfants n'ont pas la maturité interprétative pour faire bien vivre un phrasé, c'est normal.

Chez Parrott, c'est plutôt la légère rigidité qui me lasse un peu, ça sent un peu le studio, ça manque d'abandon et de ruptures, quelquefois – mais c'est à la marge, et vraiment lié à mes propres tropismes (déjà que c'est du Bach et que c'est long, s'il n'y a pas un peu de drame…).


Le chœur d’Harnoncourt II (1993) est aussi un de mes préférés. Pour la suite, la voix de gros nounours de Scharinger et les meuglements de Lipovšek (Vôôôn den Stricken)… insupportables. Le timbre de Robert Holl n’est pas le plus agréable qui soit, certes, mais lui au moins est un interprète de grande classe. Et j’adore l’évangéliste de Rolfe-Johson.

Honnêtement, rien n'est très beau dans cette version (sauf ARJ, en effet), mais c'est aussi ce qui fait son prix : on n'est pas tenté de se livrer à des extases glottophiles, on est vraiment là pour la musique, ou dans le pire des cas pour l'atmosphère.


Sinon, as-tu déjà entendu Goebel dans cette œuvre ? Autant j’ai adoré ses Bach instrumentaux, autant je trouve tous ses Bach chantés atroces. La Saint Jean en concert que j’ai entendue (nov. 2012) ne fait pas exception, malgré beaucoup de choses intéressantes, à commencer par le chœur d’entrée. 6 min 54 s, qui dit mieux ? Ce n’est pas seulement très rapide, mais d’une violence extrême : les cris et les coups fusent, de poing, de fouet. Ça déchire, presque au sens propre. Dément, mais génial, j’ai trouvé.

Je n'ai pas ça, non. Ce n'est pas publié, je crois (j'ai bien lu ton message, auquel je n'ai pas eu le temps de répondre, déjà qu'il m'aura fallu la semaine pour venir à bout de ton riche commentaire… :) ).


Le problème, c’est qu’il a continué avec les chorals : secs, inhumains, taillés à la hache, vraiment, avec leurs pauses absurdement soulignées. Abominable ! Dommage, car l’ensemble aurait pu être excellent, malgré quelques solistes décevants.

Dit comme ça, ça fait très envie en fait ! 


Beekman en évangéliste : pas mal, mais pas vraiment le timbre de l’emploi. Nolte et Wolf, excellents.

Ah, moi j'aime beaucoup Beekman, dans tous les emplois… voilà une voix franche et projetée. D'ailleurs j'étais un peu déçu, au disque (il a gravé pas mal d'Évangélistes !), de ne pas retrouver la même forte spécificité nasale qu'en salle.


Et pour finir, merci beaucoup pour Takehisa. J’ignorais même l’existence de cette version, effectivement passionnante et tout aussi singulière que celle de Goebel, dans un tout autre genre. On ne la trouve malheureusement pas sur Qobuz. Saurais-tu où on peut la télécharger (légalement, j’entends) ?

Non, je l'ai écoutée en flux chez Naxos, tout simplement. Essaie chez le site de l'éditeur ou sur HMV, parce que je doute que ce soit couramment disponible en Europe.

La suite est très bizarre avec le côté blanchâtre des timbres et les placements vocaux très nippons, qui rendent les appuis un peu déstabilisants, mais quelle ardeur permanente !  Et là, les chorals assez barrés fonctionnent très bien.



@ Diablotin :

Tu as cité les deux repoussoirs parfaits pour moi, qui me font encore trembler d'effroi, dix ans après ma dernière écoute…



@ Benedictus :

Parrott formidable pour les chœurs mais vraiment éprouvant pour le reste (enfin pour mes critères, hein);

Ah, toi aussi !  Il faut vraiment m'expliquer, je ne sens pas du tout ça : un côté studio dans les parties d'action, mais sinon…


Fasolis très beau mais assez surprenant: ça sonne vraiment très tradi (et pas qu'à l'aune du Bach orchestral de Fasolis: le chœur comme l'orchestre y ont comme un halo, et l'expression m'y avait semblé plus proche d'une sobre effusion cécilianiste que de la rhétorique baroque).


Le chœur, oui, tout simplement parce qu'il y a exclusivement des altos féminins (et dotés d'une technique lyrique standard) : ça épaissit mécaniquement la pâte. En revanche, pour le reste, ça ne ressemble pas à du Fasolis expansif, mais c'est clairement une interprétation informée, on est loin de Richter.


Sinon, merci aussi pour l'extrait de Takehisa, assez puissamment dissuasif pour moi. Du coup, plutôt que d'investir dans une nouvelle version baroqueuse, je crois que je vais essayer de me procurer Jochum 60 (j'ai déjà le studio de 67 avec le génial Évangéliste d'Haefliger): un live munichois avec Grümmer, Pears, Höffgen et Hotter - tu connais?

Non, je ne crois pas avoir écouté ça. Mais dans les tradis (je mets Rilling de côté, qui est finalement très informé, même dans sa vieille version avec Fischer-Dieskau décati), je vais plutôt vers les chaleureux que vers les hiératiques. Dans la Jean, il n'y a pas trop le choix (j'avais une bande de Rattle à ses débuts à Berlin, avec Bostridge et Quasthoff, le tout tendu comme un arc), mais chez Matthieu, Solti et Chailly feraient partie de mon top 5… Solti a vraiment le trait épais, mais il y a tellement de « directionnalité » dans ce qu'il fait que la tension ne retombe jamais.


Je crains par ailleurs que ton enfance en contrée pinardière n'ait affecté ta maîtrise de la chronologie vétéro-testamentaire: entre les temps antédiluviens et les débuts des deux monarchies (à supposer d'ailleurs que Jéroboam "Ier" ait davantage de consistance historique que Mathusalem - historiens et exégètes en doutent de plus en plus) ce n'est pas vraiment le même millésime.

Je parlais de longévité, pas de chronologie (ni de vertus) comparable, voyons. Si Jéroboam était meilleur que nous, c'est dire où nous en sommes rendus.

7. Le mardi 5 avril 2016 à , par Thomas Savary :: site

Bonsoir, David !

Je trouve que la Gillesberger-Harnoncourt a bien vielli dans l’ensemble, beaucoup mieux en tout cas que beaucoup de cantates par NH. Il est vrai que je n’ai pas dû la réécouter depuis six ou sept ans, mais les chorals ne m’avaient pas gêné. La raideur, ici, est pour moi une qualité. Le chœur d’entrée me paraît trop mou, quant à lui.

Ce que je reproche à Covey-Crump en évangéliste ? En gros, de ne pas être Kurt Equiluz :-)
Il y a certainement une grande part d’affectivité dans mon jugement. Equiluz est le premier ténor que j’aie entendu dans Bach : « Es begab sich aber zu der Zeit, dass ein Gebot von dem Kaiser Augusto ausging… »
Il a marqué à jamais mon idée de l’évangéliste idéal dans Bach : urgence, ferveur et mâles accents.

Quand j’entends Covey-Crump, je repense à cette méchante devinette : « What is the definition of a male quartet ? — Three men and a tenor. »
C’est sans doute très subjectif, mais voilà : son chant manque de testostérone. J’en dirais d’ailleurs autant de Nico van der Meel, que tu cites, même si j’ai pu en apprécier le talent comme diseur.

J’aime beaucoup Beekman dans le baroque français. J’ai eu la chance de l’entendre dans deux églises avec l’ensemble Pierre Robert (Utrecht, Arques-la-Bataille). Il était superbe. Comme évangéliste (entendu à la radio), il me fait penser un peu à van der Meel. Il lui manque la petite dose de folie d’Equiluz ou la noblesse virile de Prégardien (souvent très décevant en concert, lui, par contre).

Tiens ! j’y pense : connais-tu la SJ par Dombrecht, avec Ian Honeyman ? De l’évangéliste qui déchire ! On peut l’entendre dans un concert bien plus récent sur YT, mais je te le déconseille. Vingt ans après, il n’a plus du tout les moyens d’un tel expressionnisme.

S’agissant des « Yniobles » (jolie trouvaille !), j’y reviendrai peut-être une autre fois. J’avais bien compris que dans les chœurs ils ne te dérangeaient pas (au sens traditionnel du mot « chœur », soit d’un ensemble de chanteurs au moins relativement fourni). Je pensais toutefois que leur présence dans des effectifs beaucoup plus resserrés (du 2,25 par voix comme chez Parrott) avait toutes les chances de te rebuter, surtout avec le sonore Fliegner, dont la voix se détache à quelques reprises. J’avais donc mal compris le sens à donner à « chœur ». Je ne fais pas plus long… Un travail urgent à rendre, je dois me lever très tôt.

À bientôt !

8. Le jeudi 7 avril 2016 à , par DavidLeMarrec

Oui, le premier Harnoncourt a fort bien vieilli, et même le chœur non spécialiste (ces Viennois sont assez redoutables ailleurs, dans le Messie par exemple, ou même dans d'autres Bach) ne s'en tire pas trop mal. Je relevais simplement que les chorals (par Gillesberger, donc) étaient moins intéressants, plus tradis que le reste. Mais ça s'écoute toujours très bien, oui.


Ce que je reproche à Covey-Crump en évangéliste ? En gros, de ne pas être Kurt Equiluz :-)

Ah oui, forcément ; pour moi, Equiluz (que j'adore au demeurant) est un rien trop rond et chantant pour l'emploi, où je veux avant tout du Verbe. Donc les voix grêles mais affûtées comme De Mey, Schade ou van der Meel font très bien mon affaire.

Qui peux-tu écouter, finalement ?  Parce qu'ils ne sont pas si nombreux à avoir des voix aussi confortables. Parmi les gens intéressants, peut-être Ad. Kraus, Blochwitz, Crook, Breslik et dans une moindre mesure Padmore, Ainsley, Mulroy ?  Mais à part Crook dans un tout autre genre, tous sonnent ou pointus ou étroits par rapport à Equiluz (ce qui est plutôt un atout là-dedans, pour moi – Cuénod rulz).


Quand j’entends Covey-Crump, je repense à cette méchante devinette : « What is the definition of a male quartet ? — Three men and a tenor. »

Ce qui est une déformation de la véritable réponse : three men and a counter-tenor.
(autrement nommé grand-braillard)


C’est sans doute très subjectif, mais voilà : son chant manque de testostérone. J’en dirais
d’ailleurs autant de Nico van der Meel, que tu cites, même si j’ai pu en apprécier le talent comme diseur.

Oui, van der Meel, c'est vraiment étroit, il n'y a pas beaucoup de satisfaction à tirer du timbre (contrairement à quasiment tous les autres que j'ai cités, même Schade).


ou la noblesse virile de Prégardien (souvent très décevant en concert, lui, par contre).

Prégardien, c'est presque trop parfait pour moi : la voix est effectivement plus large, totalement maîtrisée aujourd'hui encore, mais il n'y a pas la fragilité et la netteté expressive, ni l'abandon non plus (bien qu'il soit tout à fait engagé), qu'on trouve chez d'autres moins dotés.


Tiens ! j’y pense : connais-tu la SJ par Dombrecht, avec Ian Honeyman ? De l’évangéliste qui déchire ! On peut l’entendre dans un concert bien plus récent sur YT, mais je te le déconseille. Vingt ans après, il n’a plus du tout les moyens d’un tel expressionnisme.

Ah, Honeyman, ma découverte du baroque français (Jubilate Deo omnis terra de Lalande, entendu à la radio)… Oui, ça m'intéresserait sacrément, parce que même à la réécoute des années après, je suis toujours fasciné. J'ai manqué ses Winterreise, ça m'aurait beaucoup intéressé aussi.


Je pensais toutefois que leur présence dans des effectifs beaucoup plus resserrés (du 2,25 par voix comme chez Parrott) avait toutes les chances de te rebuter, surtout avec le sonore Fliegner, dont la voix se détache à quelques reprises. J’avais donc mal compris le sens à donner à « chœur ». Je ne fais pas plus long… Un travail urgent à rendre, je dois me lever très tôt.

Mais non, mais non, un chœur, plus c'est petit, meilleur c'est. (Enfin, quand ce sont de véritables chœurs constitués et disciplinés, pas les horribles amalgames de solistes cachetonnants comme on en entend régulièrement dans les petits concerts à Paris – parfois constitués de noms très respectables, mais s'il n'y a pas d'habitudes de travail communes, autant écouter des amateurs dans de gros machins qui cachent les défauts.)

Ce qui me gêne, chez les petits braillards, c'est surtout le timbre individuel (dans un chœur, ça devient une couleur, et ça fait une belle continuité avec les contre-ténors) et le manque de maîtrise de l'articulation, du phrasé expressif – dans un chœur, les enjeux ne sont pas du tout comparables de ce côté-là.

Donc non, au contraire, chez Parrott, c'est assez parfait. Voilà.

Bon courage pour ces jours chargés !

9. Le samedi 9 avril 2016 à , par Benedictus

Parrott: Ton étonnement m'étonne. Non seulement, comme tu le dis, c'est très studio dans les moments d'action; mais il y a en outre pas mal de points qui, de manière tout à fait évidente, ne pouvaient que me rebuter:

- le clavecin du continuo: non seulement je trouve ça peu en situation, mais en plus l'instrument est ici assez moche (alors qu'un petit positif, un violoncelle ou une viole et éventuellement quelques cordes pincées, ça peut être tellement beau...);

- la présence vraiment peu discrète des petits braillards, qui ne se contentent pas d'être dans les chœurs, il me semble qu'il y aussi au moins un air d'alto et des petits rôles dans les récitatifs qui se trouvent accaparés par les chiards (et même dans les chœurs: comme le dit Thomas Savary, l'insupportable Fliegener a tendance à y tirer la couverture à lui);

- l'Évangéliste de Covey-Crump: certes, le travail sur la déclamation est tout à fait décent, mais ça reste assez impassible dans l'expression - et ce timbre blanchâtre qui fait penser à un contre-ténor, bof (surtout quand on a Crook ou Rolfe-Johnson en face);

- le reste de la distribution un peu à l'avenant, avec une mention spéciale pour la Kirkby-like Tessa Bonner: pour ceux qui aiment les sopranos à petites voix éthérées (Teodor, si tu nous lis...), ça doit être parfait, cela dit...


Fasolis: Je ne mettais évidemment pas ça sur le même plan que du Richter ou même du Rilling. Ce que j'y trouve de curieux, c'est la sensation d'y entendre un style totalement HIP (les intonations, les équilibres...) mais qui tendent à un type d'affects qui me semblent finalement beaucoup plus "cécilianistes" que "baroques" (pour le dire vite: une sorte de pathos très sobrement intériorisé, plutôt qu'une rhétorique sacrée). Mais c'est très subjectif, j'en conviens, il n'y a peut-être moi qui y entends ça.

10. Le vendredi 15 avril 2016 à , par Thomas Savary :: site

@ le maître des lieux

Pour moi, Equiluz, c’est le Verbe incarné, justement (celui qui était avec Dieu, paraît-il). Sauf problème de vocabulaire de mon côté, je comprends quasiment tout ce qu’il chante sans avoir besoin du livret. En somme, je n’ai jamais entendu un évangéliste aussi convaincant à la voix aussi belle.

Au cas où tu aurais raté cet entretien du harpiste (si, si !) :

https://www.youtube.com/watch?v=zNyZoYILcTU

(je crois que tu es bon germaniste, ça ne devrait pas te poser de problème, sinon l’accent autrichien, à couper au couteau)

Three men and a (counter-)tenor

Merci, je ne savais pas. Cela dit, il y a bien un quatuor vocal masculin qui a choisi de se baptiser ainsi.

https://www.youtube.com/user/threemenandatenor

Christoph Prégardien : au disque, magnifique, et pour moi le meilleur évangéliste après Equiluz. Manque d’abandon ? Ce n’est pas vraiment un problème pour moi. La musique baroque n’est-elle pas un théâtre fait de conventions parfaitement assumées ? En concert, je ne l’ai entendu que deux fois, et à chaque fois j’ai été assez déçu. Timbre admirable, certes, mais projection erratique, multiples pains et « Frösche ». Ici, c’était plutôt sa voix qui l’abandonnait. Et nous étions en 1998 ou 1999 si je me souviens bien… Méforme ponctuelle ? J’ai peur que non. Sur YT, j’ai regardé d’autres vidéos passé 2000 qui tendent à confirmer cette impression.

« De Mey, Schade ou van der Meel font très bien mon affaire. »

Je n’ai pas grand-chose avec Guy de Mey ou Michael Schade. Dans la MP d’Harnoncourt III (? celle de 2000), ce dernier m’avait plu comme ténor I, c’est tout ce que je peux dire. Guy de Mey dans les cantates par Koopman, bof. Quant à van der Meel, c’est un excellent évangéliste… qui aurait à mon sens mérité une autre voix.

« Qui peux-tu écouter, finalement ? Parce qu'ils ne sont pas si nombreux à avoir des voix aussi confortables. Parmi les gens intéressants, peut-être Ad. Kraus, Blochwitz, Crook, Breslik et dans une moindre mesure Padmore, Ainsley, Mulroy ? »

Kraus, magnifique, oui, hélas avec Rilling — j’ai beaucoup de mal à supporter les « instruments modernes » dans Bach, même si je reconnais que Rilling s’est montré parfois plus inspiré qu’Harnoncourt ou Leonhardt. Blochwitz ? Jamais entendu dans Bach, mais si j’en juge par ses Schubert il est fort possible que j’aimerais. Crook, jamais entendu en évangéliste non plus, seulement dans des cantates ou le Magnificat. Pourquoi pas ? Breslik, là, je ne le connais même pas. Je vais chercher sur la Toile.
Pour les trois autres, bingo ! Surtout Mulroy. J’adore son timbre, qui me rappelle un peu celui de Nigel Rogers, comme je te l’avais déjà dit. Son seul défaut pour moi est de ne pas sonner du tout allemand, du moins dans l’idée que je m’en fais, car sa prononciation n’est pas en cause. Crook avec McCreesh et Gardiner, pas trop mal, mais là aussi très anglais. Ainsley m’a paru très bien et moins typé British, mais tout de même un peu coincé (avec Cleobury).


@ Benedictus
J’aurais adoré que chacun des deux « chiards », comme tu dis, chantât au moins un air. Hélas, ce n’est pas le cas. J’adore Fliegner (avec Leonhardt dans la SM et plus tard dans les Petits Concerts spirituels de Schütz avec Schmidt-Gaden), mais il est vrai qu’il ne se prenait visiblement pas pour une merde, et que cela s’entend dans la SJ de Parrott. Ces dames n’avaient toutefois qu’à chanter plus fort, après tout… Non, je plaisante, j’imagine que Parrott a dû lui faire plusieurs fois les gros yeux, et à juste titre. C’est hélas le seul des garçons à avoir une intervention soliste : « Bist du nicht dieses Menschen Jünger einer ? » Face à une telle servante, prête de tout évidence à distribuer les coups de boule, je comprends que Pierre n’ait pas osé répondre par l’affirmative :-)

Fliegner a pas mal enregistré. Au contraire de Christian Günther, l’alto. Parrott aurait pu lui laisser « Von den Stricken », tout de même… Günther fut mon alto préféré du Tölzer Knabenchor. Certes moins bon techniquement que Panajotis Iconomou, il était toutefois encore plus habité que ce dernier, chantant comme si sa vie en dépendait. Je pense qu’il aurait été plus convaincant que Caroline Trevor, même si je reconnais que celle-ci imite aussi bien qu’il est possible un alto garçon à la Tölz de l’époque, la flamme de Günther en moins.

SWV 335, Was betrübst du dich, meine Seele
https://www.youtube.com/watch?v=drU0nHZgr5k

Fliegner la Mélia en furie et Günther, pauvre Apollon, dans le très dispensable Apollo et Hyacinthus de Mozart :
https://www.youtube.com/watch?v=M3bUR6wxyA8
(Fliegner était en train de muer et ses aigus à l’arrache sont pour le moins désagréables, toutefois le métal de sa voix est vraiment remarquable — sans doute donne-t-il ici idée de ce que pouvaient être les jeunes castrats ; Günther était quant à lui un peu mollasson dans cet enregistrement, mais il faut dire que cette musique ne devait pas énormément le motiver ; j’ai quelques enregistrements amateurs de Günther en concert : il fut génial dans l’Actus tragicus et le Magnificat de Bach)

Mais le plus bel enregistrement officiel d’un alto garçon dans Bach que je connaisse est encore celui-ci (Iconomou) :
https://www.youtube.com/watch?v=LjxMqXoQB-c#t=6m31s

Oui, je sais, ce n’est pas parfait, mais quelle émotion et quelle beauté ! Un timbre bien plus riche que celui des neuf dixièmes des falsettistes, et une diction parfaite : quand un alto garçon chante, je n’ai quasiment jamais besoin du livret ; avec un falsettiste, presque toujours lorsque je ne connais pas déjà le texte par cœur.

Il est pour moi très vraisemblable que Bach dut préférer les bons altos garçons comme Iconomou ou Günther aux falsettistes. Pour une musique où le texte tient une si grande place, quelle personne saine d’esprit préférerait la bouillie vocalique que nous servent la plupart des « grands-braillards™ » ?

Pour le clavecin de Parrott, j’ai eu moi aussi du mal à m’y faire au début. Pourtant, il est tout à fait justifié. La SJ est précisément une des œuvres où la présence du clavecin au continuo est attestée, au moins dans la version de 1749 choisie par Parrott : « Bach’s use of the harpsichord in church music has been a subject of controversy. The 1749 version is one of the few works for which a part is actually labelled “cembalo” and thorough-bass figures are added for every movement. Bach’s complaints about the state of the harpsichord for the first performance further suggest that the harpsichord always belonged with the forces of this work. » (John Butt, « Johannes-Passion », J. S. Bach, Oxford University Press, coll. « Oxford Composer Companions »)

Quant au verbe « accaparer » que tu emploies, je l’aurais pour ma part réservé aux chanteuses… Je n’ai rien contre les voix féminines dans la musique sacrée ancienne autrefois dévolue aux seules voix masculines, pas plus que je ne m’élèverais contre les pianistes dans Bach ou Couperin. Chacun fait comme il veut. Les pianistes dans Bach ou Couperin ne m’intéressent pas, tout simplement. Quant aux chanteuses dans la musique sacrée ancienne masculine, je fais avec, comme pis-aller. Et il est de superbes pis-aller, du reste. J’adore l’ensemble Huelgas de Paul van Nevel, par exemple. J’aime aussi beaucoup le Monteverdi Choir ou l’ensemble Tenebræ. Ma version préférée de la cantate 84 n’est surtout pas celle de Nikolaus Harnoncourt avec le jeune Wilhelm Wiedl, mais bien celle de Philippe Herreweghe avec Dorothee Mields.
Il n’en reste pas moins que, musicologiquement, c’est intenable. À quoi bon s’étriper sur le nombre de chanteurs par partie dans Bach si c’est pour faire chanter les parties de soprano et d’alto par des femmes ? Tout à fait ridicule.

Alors, je sais, l’âge de la mue, blabla. Sauf que c’est en grande partie du pipeau.

L’âge de la mue a nettement reculé au cours du vingtième siècle, tout le monde est d’accord, mais par rapport à quelle époque ? Le dix-neuvième siècle, l’âge de l’industrialisation et du travail des enfants. On n’a pas de statistiques plus anciennes. Mais quelques bribes d’information tout de même. On sait par exemple que Bach a mué peu après quinze ans.

En première, en 1989-1990, il y avait dans ma classe un garçon de seize ans qui mua en cours d’année. Dans le cadre des stages de troisième en entrerprise, j’ai vu passer en dix ans trois garçons qui n’avaient pas mué à presque quinze ans, voire à quinze ans passés. Récemment, au Tölzer Knabenchor, Stefan Pangratz, Andreas Burkhart, Daniel Krähmer ont mué après leur quinzième anniversaire… Alois Mühlbacher, des Sankt Florianer Sängerknaben, à la veille de ses dix-sept ans.

Bach était-il une exception, un « mutant » précoce ? On connait l’âge de la mue de certains compositeurs. Beaucoup entre quinze et seize ans, mais curieusement les plus « récents » (Haydn, Schubert). Tye aurait quant à lui mué à treize ans, Purcell et Greene avant leur quatorzième anniversaire. Sur le site Bach Cantatas, Boyd Pehrson mentionne des travaux sur la cathédrale de Séville au XVIe s. ainsi que sur Notre-Dame de Paris, qui permettraient de conclure que l’âge moyen de la mue se situait alors à Paris comme à Séville autour de quinze ans ; il cite ensuite un article non publié de Peter LeHuray sur la cathédrale de Chichester aux XVIe et XVIIe siècles évaluant l’âge de la mue comme compris entre treize ans et demi et quinze ans, sur la base des âges de sortie du chœur ; enfin, un article de Roger Bowers sur la musique polyphonique anglaise de la première moitié du XVIe siècle, où ce dernier, sur la base des chantry certificates, conclut que la mue survenait vers quatorze-quinze ans. Voilà pour l’Espagne, la France et l’Angleterre des XVIe et XVIIe siècles. Mais l’Allemagne du XVIIIe ?

« Wie es zugehe daß bey unverschnittenen Mannspersonen ohngefähr um das vierzehnte Lebensjahr die hohe Stimme sich in eine tiefere verwandelt [...] » — « Comme chez les garçons non castrés il advient qu’autour de la quatorzième année environ [souligné par moi] la voix aiguë se transforme en une voix plus grave [...]. » Il s’agit en l’occurrence d’un commentaire rédigé par Johann Friedrich Agricola, sept ans après la mort de Johann Sebastian Bach, dont il avait été élève , dans une note de sa traduction du livre de Pier Francesco Tosi, Opinioni de’ Cantor (1723), parue en Allemagne sous le titre d’Anleitung zur Singkunst (Berlin, 1757, p. 28-29). Faut-il commenter ?…

Oui, peut-être. La quatorzième année, pour ceux qui savent encore compter, c’est entre le treizième et le quatorzième anniversaire, soit l’âge auquel muent encore aujourd’hui la majorité des garçons. Mettons qu’Agricola n’ait pas su compter et ait voulu écrire « autour de la quinzième année » (entre quatorze et quinze ans révolus), on est encore loin de ces fameux sopranistes de dix-sept ou dix-huit ans qu’ont longtemps brandi à tout bout de « chant » les baroqueux soi-disant « historically informed ».

Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Évincer les garçons de la musique sacrée ancienne, voilà à quoi a servi l’argument en grande partie bidon de l’âge actuel de la mue des garçons. Il est vraisemblable que la grande majorité des sopranos garçons de dix-sept ou dix-huit ans furent ou bien des exceptions comme Alois Mühlbacher ou bien de jeunes falsettistes.

Les exemples récents de garçons falsettistes ne manquent pas : Max Emanuel Cenčić (https://www.youtube.com/watch?v=5LmjHkiqG6E, vers 14 ans, à comparer avec sa voix d’enfant : https://www.youtube.com/watch?v=SCFuGG8MAWo, vers 11-12 ans), Alexander Nader — https://www.youtube.com/watch?v=SSJIjwVUwkE#t=30m2s (le grand, bien sûr, à 16 ans ici) —, Stefan Roberts — https://www.youtube.com/watch?v=Lw-VlaIMov8 (15 ans), les mezzos des Petits Chanteurs de Versailles de Frémont, une partie des choristes de l’Escolania de Montserrat, Alois Mühlbacher aujourd’hui…

Alors qu’en conclure ? Que la plupart des baroqueux actuels ignorent à peu près tout du sujet des voix de garçons ou bien qu’ils sont de mauvaise foi.

Qu’aujourd’hui beaucoup de chœurs de garçons soient mauvais ou peu intéressants, j’en conviens volontiers. Mais c’est parce qu’on les a abandonnés. Dans la majorité du répertoire religieux ancien, les baroqueux intègres sont peu nombreux. À vrai dire, je n’en connais plus que deux : Gunar Letzbor et Holger Eichhorn.

Et heureusement qu’il existe quelques chefs de chœur d’exception et des formateurs vocaux remarquables. Je pense en particulier à Edward Higginbottom et à Bronwen Mills : https://www.youtube.com/watch?v=0UIbZCZafNE
On doit également à Gerhard Schmidt-Gaden quelques enregistrements géniaux, ses Schütz (en particulier la Geistliche Chormusik, https://www.youtube.com/watch?v=KsgR_tkjzWE) ou son premier Lassus (
http://www.qobuz.com/fr-fr/album/lasso-o-psalms-6-32-and-38-orlando-di-lasso-bible-old-testament/0845221004884).

Au seizième siècle, on enlevait les petits chanteurs doués. La légende voudrait que Lassus ait été lui-même enlevé à trois reprises… Aujourd’hui, tout le monde ou presque s’en fiche, et me voilà mûr pour le dîner de cons… :-)

11. Le samedi 16 avril 2016 à , par Benedictus

Ah, mais, ça, sur l'aspect musicologique de la chose, je suis bien d'accord (ou plus exactement: je fais par principe confiance à plus érudit que moi en la matière).

Ce que je disais était purement affaire de goût personnel: je n'aime pas du tout les voix de petits garçons, sans doute encore moins que celles de falsettistes, c'est dire. De la même manière, je n'aime pas beaucoup le clavecin en continuo en général (et celui utilisé dans chez Parrott en particulier).

12. Le samedi 16 avril 2016 à , par DavidLeMarrec

@ Benedictus :

Chez Parrott, le clavecin à la réalisation un peu fruste, du type Chicago-Solti (pour le Messie du moins, je ne suis plus sûr de l'instrument utilisé pour la Matthieu, pourtant réécoutée il y a peu), ne me dérange pas du tout. Et puis pour moi, règle quasiment absolue : théorbe > clavecin > orgue. Le problème de l'orgue est qu'on n'entend pas le détail, uniquement un fond (ce qui est très dommage) ; et en plus, en concert ça tend à occulter d'autres parties du spectre, comme les théorbes justement. Donc pour moi le clavecin, même en musique sacrée, c'est super (j'aime beaucoup ça chez Rilling 78 pour Matthieu, ce clavecin un peu dur et droit…).

Je suis manifestement isolé pour Covey-Crump, mais comme je l'ai réécouté récemment (à l'occasion de cette notule, justement), je précise que je n'ai pas du tout entendu ce que vous dites : pour moi une bonne voix de ténor clair à la mode britannique, et assez habité. L'écart avec Rolfe-Johnson que tu cites ne me paraît pas si incommensurable – ARJ a certes plus de moyens et de personnalité, mais je ne les sens vraiment pas comme opposés ou si distants.


- le reste de la distribution un peu à l'avenant, avec une mention spéciale pour la Kirkby-like Tessa Bonner: pour ceux qui aiment les sopranos à petites voix éthérées (Teodor, si tu nous lis...),

-<]:o)


Ce que j'y trouve de curieux, c'est la sensation d'y entendre un style totalement HIP (les intonations, les équilibres...) mais qui tendent à un type d'affects qui me semblent finalement beaucoup plus "cécilianistes" que "baroques" (pour le dire vite: une sorte de pathos très sobrement intériorisé, plutôt qu'une rhétorique sacrée). Mais c'est très subjectif, j'en conviens, il n'y a peut-être moi qui y entends ça.

Si, si, j'entends ça aussi, peut-être pas de la même façon : j'entends surtout l'effet pratique de timbres non conçus pour ce répertoire, malgré la direction très informée. Mais oui, tu as raison, en dehors du chœur d'ouverture, pas du tout d'effets dramatiques, comme une longue prière murmurée, certes un peu triste, mais pas du tout contrastée. J'aime beaucoup.

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@ Thomas :

Pour moi, Equiluz, c’est le Verbe incarné, justement (celui qui était avec Dieu, paraît-il). Sauf problème de vocabulaire de mon côté, je comprends quasiment tout ce qu’il chante sans avoir besoin du livret. En somme, je n’ai jamais entendu un évangéliste aussi convaincant à la voix aussi belle.


Ah, dans le détail des inflexions, ça reste très lyrique tout de même, il y a beaucoup plus détaillé. Mais c'est superbe évidemment.


je crois que tu es bon germaniste

Je ne le suis pas, hélas, donc le suivi risque d'être un peu compliqué.


Merci, je ne savais pas. Cela dit, il y a bien un quatuor vocal masculin qui a choisi de se baptiser ainsi.

Je plaisantais (autour de ma – pas si célèbre – perplexité vis-à-vis de ce qu'on fait aujourd'hui des contre-ténors).

--

Pour Prégardien, probablement méforme (ou divergence entre le disque et la « réalité ») : je l'ai entendu en 2003 dans du lied et c'était excellent, si l'on excepte cette légère réserve expressive justement. En revanche, la voix est très différente en vrai, beaucoup moins moelleuse qu'au disque (ses plus récents inclus), on entend vraiment le métal de l'émission lyrique, qui se passe pas, étrangement, la frontière des micros. Ce peut peut-être expliquer pourquoi tu n'as pas retrouvé ce que tu aimais.

La voix de Guy de Mey est toujours blanchâtre, donc en ténor, ça n'a pas le même intérêt qu'en Évangéliste, où il est beaucoup plus expressif qu'à l'accoutumée (car il n'est par ailleurs pas le prince du drame, d'ordinaire).

C'est justement parce que van der Meel choisit une émission étroite qu'il peut être aussi précis musicalement et verbalement… On ne peut pas avoir à la fois la largeur de Hotter et la finesse de Cuénod…

Je trouve que Rilling, même dans ses enregistrements anciens, touche d'assez près au style juste (là où Richter, Solti, Bernstein parviennent à trouver un équilibre, mais qui n'est pas celui de l'œuvre à l'origine). Tu es gêné par les instruments modernes, même quand ça ne sonne pas du tout ainsi (Chailly) ?  Parce que les Rilling des années 90 commencent à ressembler sérieusement à des versions sur instruments anciens, je trouve.

Blochwitz, c'est uniquement avec Solti me semble-t-il, donc tu vas être gêné. Et puis c'est comme Aler dans ce répertoire, il sonne étrangement large, pour la première fois de sa carrière. Mais dans le genre épanoui, je le trouve plus intéressant qu'Equiluz, plus précis dans ses appuis.

Crook, particulièrement chez Matthieu, c'est miraculeux.

Breslik l'a énormément chanté ces dernières années, avec un immense succès, mais il ne l'a pas enregistré chez un label prestigieux (il y a sans doute une petite bande qui traîne sur un label de festival, vu le nombre qu'il en a donné…). 

Oui, Mulroy est effectivement une sorte de Rogers british (Rogers sonnant totalement italien !), avec un petit moelleux supplémentaire, pas du tout allemand en effet, mais plutôt pour le meilleur. Rolfe-Johnson, Padmore, Ainsley, Bostridge, Chester ne sonnent pas du tout allemands non plus, et ce n'est pas du tout gênant pour certains (un peu plus quand c'est très doux comme Padmore ou bizarrement pâteux comme Bostridge, mais je mégote !).

Ainsley n'est pas empesé dans les bonnes versions ; en revanche, ce n'est pas le plus extraverti (mais le phrasé est souple quand il est avec des chefs compétents).

--

Maintenant, les petits geignards :

Fliegner la Mélia en furie et Günther, pauvre Apollon, dans le très dispensable Apollo et Hyacinthus de Mozart :
https://www.youtube.com/watch?v=M3bUR6wxyA8

Impressionnant, c'est vrai, mais inarticulé et impavide quand même. Il faut déjà être un converti, je crois.


Mais le plus bel enregistrement officiel d’un alto garçon dans Bach que je connaisse est encore celui-ci (Iconomou) :
https://www.youtube.com/watch?v=LjxMqXoQB-c#t=6m31s
Oui, je sais, ce n’est pas parfait, mais quelle émotion et quelle beauté ! Un timbre bien plus riche que celui des neuf dixièmes des falsettistes, et une diction parfaite : quand un alto garçon chante, je n’ai quasiment jamais besoin du livret ; avec un falsettiste, presque toujours lorsque je ne connais pas déjà le texte par cœur.

Moi j'ai besoin du livret, dans tous les cas, et puis on sent tellement que les appuis ne sont pas naturels, que le texte n'est pas ressenti… C'est comme entendre une fable de La Fontaine par le premier la classe : c'est mignon, mais on ne peut pas dire qu'on ne passe un peu à côté de l'affaire.

Et puis ça détonne beaucoup, quand même. Moins bien qu'un falsettiste décent, pour moi. (Et dans ce type de répertoire sacré, ils fonctionnent bien en général – Es ist vollbracht, peu de femmes peuvent lui donner la tension nécessaire, trop bas.)


la bouillie vocalique que nous servent la plupart des « grands-braillards™ » ?

J'achète. :)
(mais ce seraient plutôt les grands-poissons, vu qu'on n'entend rien)


Il n’en reste pas moins que, musicologiquement, c’est intenable. À quoi bon s’étriper sur le nombre de chanteurs par partie dans Bach si c’est pour faire chanter les parties de soprano et d’alto par des femmes ? Tout à fait ridicule.

Moi c'est plutôt le diapason qui me paraît un débat fragile (vu que les techniques des chanteurs en question sont héritées du XIXe…) ; le nombre de personnes (ou leur identité sexuelle) n'est pas un détail, assurément. (Après, son authenticité, pas très important, mais avoir une représentation de la façon de le jouer à l'origine est tout sauf inutile.)

et altos falsettistesPour ma part, c'est entre les deux que j'aime mon chœur, à la mode françoiſe : sopranos féminins. Cela dit, dans les chorals allemands et dans les grands chœurs haendeliens, je m'accommode avec beaucoup de plaisir des enfants, mais interdiction de sortir du rang non accompagnés !


Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.

Parfaitement. Et tous les moyens sont bons pour lutter contre le Mal.

On m'a toujours raconté que les Communistes mangeaient des nourrissons au petit déjeuner (mais comment faisaient-il, avec ce couteau en travers de la mâchoire ?), et ça a fait de moi le clairvoyant citoyen que je suis.

Il en va de même pour les petits ygnobles : tous les moyens sont bons pour nous en garantir.


Que la plupart des baroqueux actuels ignorent à peu près tout du sujet des voix de garçons ou bien qu’ils sont de mauvaise foi.

C'est la même chose pour les falsettistes, pour la technique vocale en général, pour les effectifs dans bien des cas : ce sont des convictions personnelles ou des contingences matérielles qui sont habillées d'arguments mal affûtés, ce n'est pas propre aux redoutables garçons.

13. Le dimanche 17 avril 2016 à , par Thomas Savary :: site

@ Benedictus

Merci pour ta réponse à mon (trop) long commentaire. Tu partages ce dégoût avec David (pour les parties solistes, en ce qui le concerne) et je sais bien que l’on n’est que très partiellement maître de ses goûts, et surtout de ses dégoûts.

Ce que je trouve curieux, c’est la fréquence de cette aversion pour les voix de garçon dans le monde musical. Plusieurs éléments peuvent concourir à l’expliquer :
— l’élévation de la qualité des chœurs dont témoigne le disque ;
— la perfection technique à laquelle ce dernier nous a du reste accoutumés ;
— la baisse, voire l’effondrement du niveau de nombreuses maîtrises ou chœurs de garçons ainsi que de leurs solistes (qu’il conviendrait cela de relativiser ces dernières années).

Sans doute aussi qu’après l’abandon du vieil interdit du Mulieres in ecclesiis taceant et l’accès des chanteuses à l’ensemble de la musique sacrée antérieure au dix-neuvième siècle les oreilles s’y sont accoutumées et les attentes des auditeurs en matière de technique ou d’expressivité ont évolué. Ce à quoi il conviendrait sans doute d’ajouter la « sécularisation » de la musique religieuse, qu’aujourd’hui on écoute non seulement avant tout en dehors des offices (chez soi ou lors de concerts, fût-ce à l’église), mais surtout comme de la musique pure, en en négligeant la dimension religieuse et la symbolique pouvant lui être associée.
Dès lors, il est logique d’aborder une passion de Bach avec les mêmes attentes que pour un opéra de Hændel ou de Vivaldi. Rares seront les garçons sopranos ou altos pouvant y satisfaire totalement. Et même s’agissant de ceux-là on trouvera facilement mieux encore, sur un plan technique, du côté des chanteuses.

Et pourtant on ne mesure pas tout ce qui a été perdu par l’éviction des garçons de ce répertoire.

Les baroqueux de la deuxième génération ont joué ici un rôle déterminant… et désolant. Les reniements d’Harnoncourt n’ont fait qu’enfoncer le clou. J’en discutais quelques jours avant la mort de ce dernier avec un musicien ayant joué avec lui : « Ein Verräter. Ich hasse ihn. » (« Un traître. Je le déteste. ») Je partage ce ressentiment, encore que sous une forme moins extrême, puisque j’ai malgré tout beaucoup aimé les dernières SJ et SM d’Harnoncourt (moins son WO) ; et je reste reconnaissant à Harnoncourt pour ses cantates avec les Wiener Sängerknaben et le Tölzer Knabenchor, même si certaines ont fort mal vieilli et que certains solistes garçons ne furent vraiment pas à la hauteur, c’est vrai.

Pour en revenir à ce dégoût que tu partages avec David, sous une forme encore plus radicale, apparemment, il a sans doute toujours existé. Louis XIV, de toute évidence, n’aimait pas les voix d’enfants et ne s’est pas privé de faire appel à des castrats. L’existence même et le succès de la castration à des fins musicales témoigne d’ailleurs du désir d’entendre autre chose que de jeunes garçons chanter les voix aiguës de la musique sacrée (les castrats chantant à l’opéra ne constituant qu’une faible minorité, on l’oublie souvent).

David a raison d’estimer que les falsettistes offrent généralement un piètre succédané à la voix de castrat et qu’il conviendrait le plus souvent si ce n’est toujours de leur préférer des chanteuses.

Il n’en reste pas moins que la voix la plus proche de celle des castrats reste de toute évidence celle des garçons ayant reçu la formation vocale adaptée. Il suffit d’écouter Alessandro Moreschi pour s’en convaincre.
https://www.youtube.com/watch?v=GyodNzbjVkw

Deux garçons, Alois Mühlbacher et Laurence Kilsby :
https://www.youtube.com/watch?v=cTDLFpm_cbw
https://www.youtube.com/watch?v=imH8kCL0OeU

S’il est bien sûr exclu, sauf miracle de la nature, de faire appel à un garçon pour chanter les airs virtuoses de castrat, je ne comprends pas pourquoi si peu d’efforts ont été faits pour la musique religieuse du côté des « baroqueux » (répertoire médiéval et renaissant inclus).

Une chanteuse dans Bach par des baroqueux, pour moi, c’est un peu, toutes proportions gardées, comme de faire jouer une trompette moderne au milieu d’instruments anciens : déséquilibrant, étrange et incohérent. En tout cas, il manquera toujours quelque chose.

Bach aurait-il aimé disposer de chanteuses à la place de ses garçons ? La question est pour moi sans intérêt. Nolens volens, il a fait avec, composant sa musique en fonction des moyens dont il disposait. S’agissant des garçons, il n’est qu’à écouter les airs et analyser les textes pour s’en convaincre. Le moindre de ses airs de ténor ou de basse est plus difficile (et souvent bien plus) que les trois quarts de ses airs de soprano et qu’une bonne partie des airs d’alto. Les textes des airs et récitatifs de soprano et d’alto sont en outre bien plus souvent attachés à l’idée de faiblesse (schwach, Schwacheit, schlecht) que ceux des airs de ténor et de basse. Sans parler de tous les ich, armes Kind ou apparentés. En matière d’exécution, voire d’interprétation, le « mieux » théorique (technique, maturité) peut être l’ennemi du bien.

Alors, oui, je sais, l’« authenticité » est une chimère, ce dont les musiciens sont les premiers conscients. L’idée derrière le mouvement de la musique ancienne est tout de même de jouer cette musique avec les moyens dont on disposait à l’époque, sur la base de ce que nous pouvons savoir de la façon dont on la jouait alors. Le recours à des chanteuses entre en contradiction avec cette démarche dans la très grande majorité du répertoire sacré ancien.

Il y a certes de nombreux obstacles pratiques au recours aux garçons. Cela dit, quand on veut, on peut. C’est vraiment, à la base, un choix. Et un choix qui selon moi repose sur cette aversion que tu partages.

Une aversion dont la fréquence reste pour moi un mystère.

Qu’elle ait pu naître à l’écoute d’horreurs comme celles qui vont suivre, je le comprends. Mais j’ai l’impression que c’est plus profond que cela, puisqu’elle subsiste même en présence de jeunes chanteurs bien plus doués. Un mystère, pour moi, donc…

https://www.youtube.com/watch?v=s6ePmrZDTfw
https://www.youtube.com/watch?v=kzfc5KuquIU

@ David

Merci pour tes compléments sur les évangélistes. Le problème avec Crook, c’est Herreweghe. Je n’aime généralement pas ses Bach. J’ai été le premier surpris d’adorer son enregistrement de la BWV 84, mais Mields y est évidemment pour beaucoup. Cela dit, sur le même disque, je déteste la BWV 27, où je le trouve souvent à côté de la plaque.

Enfin, pour découvrir un évangéliste d’un tel talent, je ferai bien un effort et un ami me prêtera ses passions herreweghiennes.

Pour les Rilling récents, oui, je suis d’accord. Pas pour les anciens, en général (enfin, la dizaine de cantates que j’ai pu supporter d’écouter). Je trouve qu’il a enregistré son intégrale des cantates de Bach bien trop tôt. Ce qu’il fait est beaucoup mieux aujourd’hui.

Pour Chailly, oui, pas mal… J’ai acheté sa SM en tant que collectionneur des enregistrements du Tölzer Knabenchor. Tempo idéal pour le chœur d’entrée. Bon, mais j’ai dû l’écouter deux ou trois fois et ne plus y revenir ensuite, malgré Quasthoff, qui cela dit n’était déjà plus au mieux de sa forme. Je préférerai toujours les instruments anciens.

(Iconomou) :
https://www.youtube.com/watch?v=LjxMqXoQB-c#t=6m31s

« […] et puis on sent tellement que les appuis ne sont pas naturels, que le texte n'est pas ressenti… C'est comme entendre une fable de La Fontaine par le premier la classe : c'est mignon, mais on ne peut pas dire qu'on ne passe un peu à côté de l'affaire. »


Comme pour Covey-Crump, nous n’entendons décidément pas du tout la même chose. Pour moi, au contraire, le texte est parfaitement compris et ressenti (ses « Voraus, wenn ich muss hier davon » ! et l’évidence de ses ornements, qui sont bien de lui, non d’Harnoncourt). Je trouve l’interprétation d’Iconomou à la fois d’une maturité incroyable et d’un naturel désarmant, profondément touchant, bien plus que Stutzmann ou Jacobs, ou même Damien Guillon, que j’aime pourtant beaucoup.

Cela dit, oui, il détonne souvent. Il vaut mieux l’écouter sur des enceintes qu’au casque, c’est moins gênant. Mais la beauté de sa voix, la qualité de son articulation et la maturité de son interprétation (pour moi) compensent largement ce défaut.

Bon, je suppose que l’enregistrement de Christian Günther dans l’Actus Tragicus ne te convaincra pas davantage.


« Et tous les moyens sont bons pour lutter contre le Mal. »

Le petit mâle, tu veux dire ? :-)


Que la plupart des baroqueux actuels ignorent à peu près tout du sujet des voix de garçons ou bien qu’ils sont de mauvaise foi.

« C'est la même chose pour les falsettistes, pour la technique vocale en général, pour les effectifs dans bien des cas : ce sont des convictions personnelles ou des contingences matérielles qui sont habillées d'arguments mal affûtés, ce n'est pas propre aux redoutables garçons. »


Oui, certes. Mais je pense que c’est encore plus vrai pour les yniobles. Le simple fait de croire soprano garçon de seize ou dix-sept ans = garçon n’ayant pas mué en dit long sur l’ignorance abyssale des musiciens historically « informed » en matière de chant et d’histoire.

Tiens, encore un, Austin Haynes, quinze ans (je n’aime pas trop, mais c’est à titre d’exemple) :
https://www.youtube.com/watch?v=jEX7EspC9_A
(une fois n’est pas coutume, je préfère même le sopraniste adulte)

14. Le lundi 18 avril 2016 à , par DavidLeMarrec

Parmi les raisons du rejet, il y aussi les contraintes mêmes de ces voix : faible volume (même bien projetées, c'est plus à partir d'harmoniques proches du cri que d'une voix bien timbrée), timbre très étroit (impression récurrente de constriction lorsqu'il faut faire chanter ces petits larynx sans amplification), et puis toutes les questions d'appropriation du texte et de la musique que je soulevais précédemment ; ils peuvent être travaillés, mais ne sont pas sentis avec naturel.

L'intelligibilité étant souvent mauvaise, la fiabilité en justesse et en rythme variable, ça commence à faire beaucoup, indépendamment des paramètres évolutifs que tu évoques.

Mais oui, une bonne maîtrise, ce peut être très convaincant – celle de Radio-France dans ses diverses versions des Petites Liturgies de Messiaen, c'est quelque chose !  Mais quitte à prendre des jeunes, les chœurs de jeunes filles (la quinzaine) sont toujours plus intéressants : même clarté, mais timbre beaucoup plus achevé et ample, maturité expressive aussi – à partir de cet âge, la différence d'interprétation avec les adultes se réduit drastiquement.


Sans doute aussi qu’après l’abandon du vieil interdit du Mulieres in ecclesiis taceant et l’accès des chanteuses à l’ensemble de la musique sacrée antérieure au dix-neuvième siècle les oreilles s’y sont accoutumées et les attentes des auditeurs en matière de technique ou d’expressivité ont évolué.

Si l'on va jusqu'à ces explications, on peut aussi postuler que la technique  a totalement changé (et nos oreilles aussi), même pas besoin de convoquer la question du bannissement des femmes.


Ce à quoi il conviendrait sans doute d’ajouter la « sécularisation » de la musique religieuse, qu’aujourd’hui on écoute non seulement avant tout en dehors des offices (chez soi ou lors de concerts, fût-ce à l’église), mais surtout comme de la musique pure, en en négligeant la dimension religieuse et la symbolique pouvant lui être associée.

Certes, mais au lieu que l'enfant incarne la pureté angélique (ça fonctionne assez bien dans les chœurs), s'il trébuche sur chaque mot, on perd beaucoup de son aspect divin, justement.

Je vois bien l'intérêt qu'il peut y avoir à montrer un enfant dire toute nue la parole divine, mais il n'en demeure pas moins que 1) pour les écoutes musicales (ce dont on parle quand on en est à comparer et à parler de musicologie), c'est moche ; 2) le texte, réduit en bouillie, n'est pas exactement exalté.


David a raison d’estimer que les falsettistes offrent généralement un piètre succédané à la voix de castrat et qu’il conviendrait le plus souvent si ce n’est toujours de leur préférer des chanteuses.

Indépendamment de l'absence absolue de justification historique et technique, il y a de vrais problèmes pratiques pour les falsettistes à l'opéra, notamment en matière d'agilité, de volume, d'intelligibilité.
En revanche, en musique sacrée, les enjeux ne sont pas les mêmes, et dans une acoustique réverbérée où le relief du texte cède à la musique, ce peut très bien sonner. C'était d'ailleurs, sans surprise, leur usage historique.


S’il est bien sûr exclu, sauf miracle de la nature, de faire appel à un garçon pour chanter les airs virtuoses de castrat, je ne comprends pas pourquoi si peu d’efforts ont été faits pour la musique religieuse du côté des « baroqueux » (répertoire médiéval et renaissant inclus).

S'occuper d'enfants est logistiquement compliqué, tout de même. On ne peut pas leur faire faire des tournées comme des professionnels, alors que c'est le modèle économique de ces ensembles. Ça explique sans doute pas mal de choses. Par ailleurs, dans un métier où le carnet d'adresses est un réflexe permanent, ça impose de partir sans cesse à la chasse aux talents, de ne pas avoir des collaborateurs réguliers à qui l'on peut recourir.

Sans parler de la gestion des horaires, de supporter de travailler avec un amateur, de souffrir les parents, etc. Beaucoup de contraintes, a fortiori si ni le chef ni le public n'aiment le résultat !


Une chanteuse dans Bach par des baroqueux, pour moi, c’est un peu, toutes proportions gardées, comme de faire jouer une trompette moderne au milieu d’instruments anciens : déséquilibrant, étrange et incohérent. En tout cas, il manquera toujours quelque chose.

Oh, j'adore la stridence et la lisibilité de la trompette moderne dans les grands solos baroques, et notamment chez Haendel. :)  La trompette baroque est très efficace pour camper une atmosphère lorsque les lignes sont brèves (entrée d'Argante dans Rinaldo, début des Oratorios de Noël ou Pâques de Bach…), mais dans les cas où il y a beaucoup à dire, la trompette moderne, c'est quelque chose !


Une aversion dont la fréquence reste pour moi un mystère.

Quand même, des voix étroites, aigres et fausses, ça n'a pas de quoi ravir le chaland. À cela, ajoute le fait qu'il n'est pas possible de stariser le milieu, puisque la maturité artistique de ces petits les pousse à l'âge de la mue, donc de la perte de leur voix d'origine. Ces carrières se font sur un lustre… difficile d'obtenir la célébrité en si peu de temps, quand les autres en ont dix !

--

Pour les Évangélistes : j'aime beaucoup les Bach de Herreweghe, mais ses premières moutures des Passions, c'est effectivement du Herreweghe au carré, très policé, même un peu raide. Néanmoins, c'est à essayer, au moins les premiers récitatifs chez Matthieu, pour mesurer l'envergure de Crook.


Enfin, pour découvrir un évangéliste d’un tel talent, je ferai bien un effort et un ami me prêtera ses passions herreweghiennes.


Ça se trouve aussi en médiathèque ou en ligne, pas besoin de remuer ciel et terre, si j'ose dire.


Pour les Rilling récents, oui, je suis d’accord. Pas pour les anciens, en général (enfin, la dizaine de cantates que j’ai pu supporter d’écouter). Je trouve qu’il a enregistré son intégrale des cantates de Bach bien trop tôt. Ce qu’il fait est beaucoup mieux aujourd’hui.

Oui, je parlais plutôt des grands ensembles ; pour les cantates, c'est – légèrement – terne et inégal (même si infiniment mieux que Schreier, dans la même perspective !), effectivement encore un peu trop de l'ancien monde.


Pour Chailly, oui, pas mal… J’ai acheté sa SM en tant que collectionneur des enregistrements du Tölzer Knabenchor. Tempo idéal pour le chœur d’entrée. Bon, mais j’ai dû l’écouter deux ou trois fois et ne plus y revenir ensuite, malgré Quasthoff, qui cela dit n’était déjà plus au mieux de sa forme. Je préférerai toujours les instruments anciens.

Je proposais Chailly parce que je ne trouve quasiment pas perceptible qu'il ne s'agit pas d'instruments anciens.


Je trouve l’interprétation d’Iconomou à la fois d’une maturité incroyable et d’un naturel désarmant, profondément touchant, bien plus que Stutzmann ou Jacobs, ou même Damien Guillon, que j’aime pourtant beaucoup.

Évidemment, avec cette liste, je serais (presque, parce qu'ils sont tous quand même moins horribles) d'accord, forcément… je voulais dire par rapport à des interprètes intéressants, bien sûr.


Bon, je suppose que l’enregistrement de Christian Günther dans l’Actus Tragicus ne te convaincra pas davantage.

Déjà que je n'ai pas beaucoup de raisons d'écouter ça – j'avoue avoir pioché simplement les airs de Nimsgern quelquefois… :)  Alors pour m'infliger précisément ce que je n'aime pas, je ne suis pas trop pressé.

Il y a de très belles choses dans ces cantates, mais le temps étant ce qu'il est, ce n'est vraiment pas ça que j'écoute lorsque j'ai un peu de temps à moi ! 

15. Le mardi 19 avril 2016 à , par Thomas Savary :: site

@ David

« Évidemment, avec cette liste [Iconomou vs Stutzmann, Jacobs et Guillon], je serais (presque, parce qu'ils sont tous quand même moins horribles) d'accord, forcément… je voulais dire par rapport à des interprètes intéressants, bien sûr. »

Et moi qui me trouvais parfois méchant ! Il me reste décidément tout à apprendre :-)

J’aurais pu ajouter Blaze et Buwalda, mais je gage qu’ils auraient connu le même sort. Sinon, je ne connais pas les enregistrements de Kuijken ou de Koopman, avec des mezzos si j’en crois Bach Cantatas. Je ne vois pas d’autre versions baroques au disque.

La version Gardiner-Stutzmann est tellement proche d’Harnoncourt-Iconomou, en un peu plus sombre tout de même, que je me demande s’ils n’ont pas commencé par l’écouter en long et en large, en dépit du dédain affiché par sir John envers feu M. le comte. Ou alors la fameuse rencontre des grands esprits ?

En fait, j’aime beaucoup Jacobs ici, qui souvent m’insupporte dans Bach — encore que jamais autant que dans ses Charpentier… Je le trouve dans cette cantate moins précieux et affecté que trop souvent par ailleurs.

Sinon, comme ça, tu n’aimes pas Damien Guillon… Je le comparerais quant à moi volontiers à un clavecin bien joué. Voix au timbre plaisant (ce qui n’est pas si fréquent chez les falsettistes), mais aux possibilités dynamiques indiscutablement réduites, obligeant l’interprétation à se jouer sur des « détails » comme l’attention portée au texte et aux accents. Malgré une diction nettement supérieure à la moyenne de celle des autres falsettistes (on comprend presque tout… presque), en la matière il est surclassé par Iconomou — et à vrai dire par n’importe quel alto garçon.

Nous n’avons décidément pas les mêmes oreilles (pour Chailly, même si le Gewandhausorchester n’est plus celui de Ramin ou même Rotzsch, heureusement, les hautbois modernes du chœur d’entrée me sautent aux oreilles, ainsi que l’articulation plus molle des violons). Ou alors j’interprète mal le sens que tu donnes ici à intelligibilité.

Si pour les garçons tu parles de volume, je n’ai certes jamais entendu de garçon wagnérien, mais des garçons chantant plus fort qu’une Agnès Mellon, une Ruth Holton ou une Ann Monoyios à plein régime, cette fois un assez grand nombre, et sans forcément pousser excessivement leur voix comme le font parfois les Tölzer. Le faible volume de certaines sopranos baroqueuses ne les a pas empêchées de faire carrière. Du reste, la musique sacrée est censée se jouer à l’église, pas dans une grande salle — encore qu’à la Philharmonie de Cologne j’aie entendu quelques solistes de Tölz qui ne passaient pas trop mal et qu’il existe quantité d’églises à l’acoustique revêche, j’en ai fait l’amère expérience à Brême, en étant mal situé : j’entendais très mal le soprano Stefan Pangratz, qui était pourtant tout à fait audible à Cologne.

Si tu parles de leur prononciation, pour les sopranos, j’admets que c’est souvent vrai. J’ajoute toutefois que je ne comprends généralement pas beaucoup mieux quand c’est une femme : livret obligatoire. Il y a tout de même là aussi bien des exceptions, chez les garçons comme chez les femmes.

Pour les altos, au contraire, je trouve que personne n’est aussi intelligible dans ce registre qu’un garçon, parce qu’à la fois le registre et leur timbre sont très proches de ceux de leur voix parlée. Dans la musique baroque, où le texte est tout de même est censé avoir une grande importance (primo le parole, tout ça), je considère que garçons et hautes-contres sont les interprètes idéaux des parties d’alto dans la musique sacrée. Et cela vaut aussi en ce qui me concerne dans les chœurs.

Je verrais bien, pour ma part, les falsettistes cantonnés à la musique médiévale et renaissante, où pour le coup je les adore. Dans la musique sacrée renaissante, où généralement le texte n’a à peu près aucune espèce d’importance (avant l’apparition des madrigaux spirituels), la bouillie vocalique des falsettistes souligne même cette dimension de musique pure. Non seulement la musique baroque accorde une importance bien plus grande au texte, mais elle me paraît nettement sexuée. Pour parler d’autant plus vulgairement qu’il s’agit en l’occurrence de musique religieuse, elle appelle à mon sens (enfin, à mon goût) des interprètes qui aient des couilles, au moins la musique luthérienne. Or ce n’est pas l’impression première que donne le chant des falsettistes, excepté un Gérard Lesne, peut-être.

Ce n’est du reste pas seulement une métaphore. La musique religieuse ancienne dans son écrasante majorité est une musique sexuée, et bien évidemment masculine — Hildegard von Bingen, la musique française pour les couvents, oui, oui, oui, je sais ; de même que l’association fausset-chapon a sans doute quelques relents d’homophobie héritée du dix-neuvième siècle. Il n’empêche que la musique religieuse fut pendant des siècles l’affaire d’hommes et de garçons avant tout. Voilà qui forcément laisse des traces dans les esprits, les représentations symboliques, etc.

C’est en tout cas cette dimension masculine qui est à peu près complètement passée à la trappe avec la deuxième génération des baroqueux, le point aveugle de la pratique soi-disant « fondée historiquement ».

J’ai bien conscience de tous les problèmes que pose le fait pour des musiciens professionnels de travailler avec des enfants et des adolescents. Mais encore une fois, quand on veut on peut. Letzbor, Eichhorn, Erhardt (dans une certaine mesure) le font bien, alors pourquoi pas d’autres ?

Il est évident que le maintien du Mulieres taceant aurait été ignoble et que les femmes et les filles ont aussi leur mot à chanter dans ce répertoire, que les falsettistes sont généralement musicologically correct dans la musique sacrée, qu’il n’existe pas suffisamment de chœurs et de solistes garçons d’un niveau décent pour multiplier les concerts et enregistrements qui feraient appel à eux. La question néanmoins pour moi n’est pas là, mais dans ce patent manque de volonté de faire le moindre effort dans le seul sens pourtant logique et cohérent en matière de HIP. Comme si cela n’avait aucune importance. Comme si la trompette moderne ou les traversières en métal au milieu d’instruments anciens allaient de soi, au fond.

Je répète qu’au seizième siècle, pourtant riche en falsettistes made in Spain (notamment), on s’arrachait les petits chanteurs doués, quitte à les faire enlever. Était-ce parce que décidément, même à l’époque, beaucoup trouvaient en fait les falsettistes insupportables et que tous les moyens étaient bons pour s’en passer, ou bien plutôt parce que l’on goûtait particulièrement le chant des garçons pour lui-même ?

Même si évidemment je n’en sais rien, je penche pour la deuxième explication.

Quant à l’interprétation du texte, tu l’as deviné, nos avis sont inconciliables. Pour les meilleurs d’entre eux, les petits chanteurs — j’ai horreur de cette expression, qui m’évoque une chorale de nains — sont tout à fait capables de sentir et d’habiter le texte chanté, de le vivre, mais sans doute d’une manière qui ne te touche pas ou te déplaît, voilà tout. Sans compter que les textes religieux sont généralement assez basiques en matière de contenu, en tout cas chez Bach, pour les airs et récits de soprano, tout à fait à la portée d’un garçon un minimum sensible et cultivé.

L’âge de quinze ans que tu évoques me paraît arbitraire, surtout pour les solistes. Je reprends l’exemple de Stefan Pangratz : le déclic pour lui en matière de maturité artistique a eu lieu vers treize ans. Avant, il faisait effectivement gamin, un gamin certes doué, mais qui chantait Bach ou Purcell comme il aurait pu chanter Das Wandern ist des Müllers Lust (la chanson traditionnelle, pas le lied de Schubert). Il se trouve qu’il a mué un peu après quinze ans, comme Bach, donc. Eh bien, à la veille de sa mue, il n’était pas à mon sens spectaculairement plus mûr qu’à treize. Éveil artistique précoce (ma version) ou sale gosse attardé (la tienne, que j’anticipe ;-)  ?

Je citerai aussi volontiers l’exemple de la maîtrise d’Eton College, sur laquelle un article a un jour attiré mon attention : les sopranos sont des garçons de plus de treize ans n’ayant pas encore mué, débarqués de maîtrises obligées contractuellement de laisser filer les garçons à la fin de l’équivalent de la classe de cinquième, qu’ils aient mué ou non. Indéniablement, le son ou l’interprétation sont plus mûrs que dans une maîtrise britannique standard. Et pourtant, sous Higginbottom, le chœur de New College avec ses garçons de 9 à 13 ans leur damait le pion en matière de technique vocale comme d’interprétation.

Tu as entendu Kissin à quatorze ans dans le concerto pour piano et trompette de Chostakovitch dirigé par Spivakov ? Indéniablement, c’est l’interprétation, assez frappée, d’un tout jeune musicien (dans le dernier mouvement, son accord « Ferme ta gueule ! » en réponse à la trompette m’a bien fait rire ; d’ailleurs, il lève ensuite les yeux en direction de Spivakov, l’air de dire « Ouais, j’en ai peut-être trop fait, là, je vais me faire engueuler ! »), mais ce n’est assurément pas une interprétation puérile, je l’apprécie énormément, tout en lui préférant celle des Chostakovitch (Maxime et Dimitri). Je regrette d’ailleurs que Kissin n’ait par la suite pas davantage enregistré dans Chostakovitch, où il excellait, vu que la majorité de son répertoire me botte à peu près autant que la messe en si par Karajan.

Mais, bref, les Kissin du chant, j’estime en avoir entendu quelques-uns, encore tout récemment Inigo Jones de New College (chant « accrocheur et fruité avec une touche de fragilité », « un baume pour l’oreille », scripsit Benoît Fauchet dans Diapason, que je cite pour me sentir moins seul en ces terres hostiles aux chanteurs de petite taille), Laurence Kilsby de la Tewkesbury Schola Cantorum — tous deux élèves de Bronwen Mills, ce n’est pas un hasard, même si dans des styles très différents. Inattendu, l’enregistrement de 1987 du mezzo James Rainbird dans Sure on this Shining Night de Barber continue d’éclipser à mes oreilles les deux autres versions que je connais (Hampson et Finley), en jouant certes une carte très particulière, celle de l’émerveillement désarmé, et c’est poignant (apparemment pas que pour moi : j’ai fait le test avec quelques personnes pas du tout sensibilisées aux sopranos garçons a priori, mais qui en sont restées sur le cul, malgré la prise de son merdique, « la gorge nouée », dixit un ami).

À propos de la maîtrise de Radio France, j’ai eu la chance de travailler dans l’école de l’impasse Robert-Estienne, où se trouvaient rattachées les recrues débutantes de la maîtrise. J’ai ainsi pu échanger à plusieurs reprises avec le regretté Toni Ramon et assisté à pas mal de répétitions. Oui, c’est un chœur que j’aime aussi beaucoup. Les garçons y sont si rares que l’on peut effectivement parler d’un chœur de filles.
Ancien petit chanteur de l’Escolania de Montserrat, Toni Ramon me faisait pourtant part de son souhait de recruter davantage de garçons. Il me parlait aussi de sa tentative de rendre le chant des filles plus tonique (non, ce n’est pas un calembour), afin de rapprocher le son de celui d’un chœur de garçons. Je ne lui ai pas dit que je pensais que c’était peine perdue, et pas forcément souhaitable, du reste. Par la suite, à l’époque où je travaillais chez Alpha, je l’avais recontacté pour lui suggérer de proposer des projets à Jean-Paul Combet ; il souhaitait enregistrer la musique pour Port-Royal de Charpentier. Il est mort hélas avant que l’enregistrement voie le jour.

Bon, promis, cette fois, j’arrête de troller pour un petit moment. Je te laisse le derniet mot si tu le souhaites. Non que je sois bien élevé, mais je commence à avoir un sacré retard à rattraper dans le boulot :-)

16. Le samedi 23 avril 2016 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Thomas !

Le dernier mot, je peux bien l'oser, mais je n'ai de toute façon pas grand'chose à apporter à ton tableau érudit, sur un univers qui n'est, comme tu as pu le mesurer, pas vraiment le mien.
De toute façon, en tant qu'hôte, je peux difficilement laisser un message aussi complet sans réaction.

Aussi, sur quelques détails seulement :


Sinon, comme ça, tu n’aimes pas Damien Guillon…

En fait, je n'ai rien contre Guillon (rien particulièrement pour non plus), mais ma réponse n'était pas drôle alors…


J’aurais pu ajouter Blaze et Buwalda, mais je gage qu’ils auraient connu le même sort.

Si, si, j'aime bien Blaze !  Pas irréprochable techniquement, mais assez attachant.


Sinon, je ne connais pas les enregistrements de Kuijken ou de Koopman, avec des mezzos si j’en crois Bach Cantatas. Je ne vois pas d’autre versions baroques au disque.

On parle bien de la Jean ?  Mais il y en a des tombereaux, très bien référencées sur Bach-Cantatas d'ailleurs ! 


Non seulement la musique baroque accorde une importance bien plus grande au texte, mais elle me paraît nettement sexuée. Pour parler d’autant plus vulgairement qu’il s’agit en l’occurrence de musique religieuse, elle appelle à mon sens (enfin, à mon goût) des interprètes qui aient des couilles, au moins la musique luthérienne. Or ce n’est pas l’impression première que donne le chant des falsettistes, excepté un Gérard Lesne, peut-être.

Très juste, les falsettistes, avec leur émission « partielle » qui ne résonne pas pleinement dans tout le corps, ont quelque chose de désincarné, contradictoire avec nombre d'emplois – même religieux, considérant la place de l'Incarnation dans ces œuvres.

Lesne est un cas particulier, puisqu'il utilise aussi le registre de ténor au besoin… Mais on peut chanter un fausset viril, comme Deller… ce n'est d'ailleurs pas un geste vocal si compliqué, je me demande pourquoi les gens ne cherchent pas à l'imiter. J'ai entendu récemment un contre-ténor très sonore avec un timbre façon Esswood, Paul-Antoine Benos, impressionnant même dans les parties de haute-contre, et assez convaincant dans le lied (contrairement à Esswood d'ailleurs).


Mais encore une fois, quand on veut on peut. Letzbor, Eichhorn, Erhardt (dans une certaine mesure) le font bien, alors pourquoi pas d’autres ?

On en revient alors à la question du goût personnel : Benedictus et moi ne devons, de toute évidence, pas être les seuls à les trouver hideux.


Était-ce parce que décidément, même à l’époque, beaucoup trouvaient en fait les falsettistes insupportables et que tous les moyens étaient bons pour s’en passer

J'aime assez cette hypothèse, je dois dire. :)


L’âge de quinze ans que tu évoques me paraît arbitraire, surtout pour les solistes.

Je prenais le chiffre arbitrairement pour illustrer mon propos, pas pour défendre un âge précis. :)


Tu as entendu Kissin à quatorze ans dans le concerto pour piano et trompette de Chostakovitch dirigé par Spivakov ?

Non, je l'ai découvert un peu plus âgé – dans un répertoire toujours identique et des interprétations très valables mais plutôt grises. Je suis vite allé explorer d'autres phalanges.


Les garçons y sont si rares que l’on peut effectivement parler d’un chœur de filles.

Oh, c'est exagéré, elles sont majoritaires, mais pas à ce point. Je parlais du chœur de jeunes filles qui est un ensemble spécifique de la Maîtrise, et là, à quinze ou seize ans, on entend à la fois la maturité artistique et de jeunes voix pas encore contraintes par l'usage quotidien ou une technique lourde. Dans les Litanies de Poulenc, je suis vraiment tombé de mon siège, ça change tout par rapport aux pupitres de chœurs professionnels, où figurent des femmes mûres formées pour l'opéra.


Par la suite, à l’époque où je travaillais chez Alpha, je l’avais recontacté pour lui suggérer de proposer des projets à Jean-Paul Combet ; il souhaitait enregistrer la musique pour Port-Royal de Charpentier. Il est mort hélas avant que l’enregistrement voie le jour.

Ah oui, ça aurait été intéressant, ça, surtout par un chœur décent. (Parce que Dieu nous garde, je l'espère, des Tölzer là-dedans).


Et moi qui me trouvais parfois méchant ! Il me reste décidément tout à apprendre :-)

C'est que j'ai étudié auprès des meilleurs maîtres glottophiles (l'UE Dénigrement lyrique représentait la moitié des coefficients). 

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David Le Marrec

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