FRANCOEUR & REBEL - Pyrame et Thisbé, creuset de la tragédie lyrique - I - Contexte, livret, sources
Par DavidLeMarrec, lundi 2 juillet 2007 à :: Baroque français et tragédie lyrique :: #641 :: rss
Fin mai, on assistait à la recréation, sauf erreur, pour la première fois depuis plus de deux siècles, d'un opéra intégral de François Francoeur et François Rebel[1]. Contrairement à Destouches, par exemple, on ne publiait même plus de réductions piano des Francoeur & Rebel au début du vingtième siècle.
Or CSS, vous l'aurez noté, entretient une relation très enthousiaste avec la tragédie lyrique. Nous avions annoncé, en juillet de l'an dernier, les festivités de cette année. Le Destouches inconnu était Le Carnaval et la Folie, un divertissement joué l'an prochain à Toulouse et à l'Opéra-Comique.
Cette relation privilégiée s'explique sans doute par le rapport étroit au texte, le soin qui est apporté à son écriture, par ce sens de la danse aussi. Et ce goût de la convention, qui fait pleinement sien le caractère intrinsèquement artificiel du genre opéra - sans sacrifier, contrairement au seria italien, l'urgence dramatique.
fin de l'acte II, épisode sur lequel nous reviendrons
Au programme :
1. Contexte.
2. Livret.
3. Sources.
4. L'oeuvre : style et musique.
5. L'interprétation de Daniel Cuiller à Nantes et Angers 2007.
6. Lire
Notes
[1] Fils de Jean-Féry Rebel, dont on a recréé l' Ulysse en juin.
1. Contexte
Francoeur et Rebel s'inscrivent entre la deuxième et la troisième "école" de tragédie lyrique. C'est-à -dire entre la génération qui succède à Lully (Campra/Desmarest/Destouches) et le génération ramiste. Toute leur carrière lyrique se déroule en étroite collaboration, y compris pour la direction de l'Académie royale de musique. Pyrame et Thisbé est leur premier drame lyrique commun[1], et Daniel Cuiller en a retenu la première version, séduit par la violence extrême de la scène finale - une hécatombe façon Trouvère, où seul le villain, comme disent joliment nos amis anglo-saxons, demeure debout sur scène, vivant et terrifié. Chez notre librettiste, Jean-Louis-Ignace de la Serre, il est de plus rendu muet par l'horreur du tableau.
Bien que nous ne disposions d'aucune information probante à ce sujet, d'après la connaissance de leurs pièces individuelles, on attribe à Francoeur les moments tendres, et à Rebel les emportements, et ce, dès les contemporains.
La première version de l'oeuvre, en 1726, est ensuite retouchée par les compositeurs en 1740. Les ballets avaient à l'époque produit une forte impression - par la nature des danseuses présentes, il est vrai aussi. On a peine à imaginer aujourd'hui l'importance de cette partie du drame à la française. Il en était allé de même pour Callirhoé, au demeurant. L'opéra a connu un beau succès et de nombreuses reprises au cours du XVIIIe siècle, y compris en province (Lyon, Bordeaux, Montpellier) et jusque dans les années 1770. Signe également de sa présence régulière à l'affiche, trois parodies, détournant le texte en citant les airs, au Théâtre-Italien (l'année de la création ; autre version en 1759) ou à l'Opéra-Comique (1740). On voit à quel point les dates couvrent une large période.
Outre la réussite entière de l'oeuvre, CSS est assez fasciné, il faut bien le reconnaître, par la synthèse impressionnante qui se réalise dans cet opéra de toutes les écoles de l'art lyrique français sur deux siècles.
2. Livret
La trame. On la connaît, elle est simple et à la mode à cette époque, comme en témoignent les cantates de Montéclair et Clérambault, sensiblement contemporaines de l'opéra en question. Pyrame et Thisbé s'aiment, en sont empêchés, se donnent rendez-vous sur un tombeau. Thisbé arrive la première, et effrayée par une bête feroce, laisse tomber son voile, déchiré par la bête furilleuse :
Son voile tombé sur la rive
Du monstre assouvit la fureur.
Pyrame, retrouvant le voile, se tue de désespoir, et il ne reste plus à Thisbé qu'à faire de même.
Fort bien. La Serre introduit plusieurs modulations intéressantes sur cette trame.
- Le récit mythologique d'origine est conservé dans le seul acte V. C'est-à -dire que le librettiste va s'employer à créer une nécessité dramatique qui conduise à cet épisode connu.
- Le tombeau du roi Ninus sur lequel se retrouvent les amants n'est plus celui de Ninus. Ce nom connu devient celui non pas du roi défunt de l'Assyrie, mais du roi vivant. La Serre en fait à la fois l'ami et le rival de Pyrame, mais pour un résultat opposé au Castor et Pollux de Rameau (postérieur : première version en 1737) : pas de lieto fine, et surtout l'amitié bascule (de façon plus traditionnelle[2]) dans l'opposition frontale. A ce titre, le duo d'amitié de l'acte I est une excellente trouvaille qui permet de percevoir tout le détricotage relationnel que produit progressivement l'avancée de la logique tragique.
- Etrangement, le point le plus conflictuel du drame se situe à la fin de l'acte II (et non au III), lors du duo d'affrontement Zoraïde/Ninus, les deux personnages absents de la tradition...
- On sent un voile jeté sur la divinité, qui semble susciter la suspicion. Alors que dans l'opéra lullyste l'invocation du dieu fait apparaître son incarnation visible (ou ses mandataires), ici, le culte de Cérès ne peut convoquer qu'un mage - Zoroastre, et encore, parce que père de Zoraïde. De surcroît, cet ersatz de deus ex machina est impuissant à renverser le cours des choses.
- Il ne peut que favoriser la fuite des amants pour punir Ninus, et non le contraindre à respecter sa parole d'épouser Zoraïde. Son monstrelet n'est manifestement pas en mesure d'effrayer suffisamment le roi, contrairement à ce que produisent les interventions divines dans Cadmus & Hermione, Phaëton ou Persée (Quinault/Lully).
- Son propre plan est bien maladroit, puisque la rencontre du monstre (et non plus de la lionne de la légende) est l'occasion du quiproquo mortel bien connu. Le démiurge apparaît loin de l'omniscience et de l'omnipotence.
- En cela, ce livret est à rebours de l'évolution vers des intrigues plus superficielles, prétextes à effets et ballets, scandées par les descentes divines depuis les cintres. Ces résolutions artificielles, absentes chez Lully, se développent à partir de la génération Destouches (la première version de Callirhoé était dénouée par l'intervention Dionysos), en parallèle, étrangement, d'une mise à distance intégrale de l'intercession divine dans d'autres pièces.
- Le merveilleux dans Pyrame & Thisbé, qui emprunte sa disposition dramaturgique à Quinault (l'invocation à l'acte III interrompue par le refus), n'est de surcroît plus divin, seulement magique. Pour couronner le tout, cette magie ne peut agir qu'à la marge, concrètement (un monstre, une fuite), en rien contraindre. Le tout s'achève par son échec cuisant. Une étrange façon de redonner tout son imprévu au déroulement dramatique, sans renoncer à l'esthétique du merveilleux qui est celle du genre de la tragédie lyrique.
3. Sources
On est volontairement resté évasif ; cependant certains éléments traditionnels ne sont pas retenus par La Serre.
Tout d'abord la durée de cet amour et la grande jeunesse de Pyrame et Thisbé. Ce qui est parfaitement résumé chez Clérambault :
Pyrame pour Thisbé dès la plus tendre enfance
Du Dieu qui fait aimer éprouva le pouvoir ;
L'hymen allait enfin couronner leur constance,
Quand les auteurs de leur naissance
Leur défendirent tout espoir.
John William WATERHOUSE[3] , Thisbé'' (1909).
On voit ici Thisbé, chez ses parents, écoutant Pyrame au travers d'une fente de leur mur mitoyen.''
Dans notre opéra, c'est la jalousie du roi qui les sépare, et Pyrame est en âge de remporter des succès militaires.
Le point de rendez-vous, aussi : Le mûrier aux fruits blanc - teinté du sang des amants, jusqu'à nos jours.
Dans les sources de l'oeuvre, il existe en réalité deux légendes indépendantes. L'une où Thisbé, enceinte avant le mariage, se suicide. Et celle qui est la nôtre ; qui est par ailleurs l'inspiratrice du Romeo and Juliet shakespearien. Sans compter la scène de représentation de la légende dans A midsummer night's dream.
Notes
[1] Les compositeurs étaient alors tous deux vingtenaires.
[2] Et pour longtemps !
[3] Un peintre assez littéral, voire pompier, qui a le mérite d'illustrer utilement bien des scènes mythologiques, ce qui lui vaut d'être assez abondamment utilisé - cette Thisbé n'est pas son oeuvre la moins connue. Nous avions par ailleurs déjà employé ses services précédemment.
Commentaires
1. Le jeudi 5 juillet 2007 à , par Bajazet
2. Le jeudi 5 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec
3. Le vendredi 6 juillet 2007 à , par Bajazet
4. Le vendredi 6 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec
5. Le vendredi 6 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec
6. Le samedi 7 juillet 2007 à , par Bajazet
7. Le samedi 7 juillet 2007 à , par Guichet des Lutins
8. Le dimanche 8 juillet 2007 à , par Bajazet
9. Le dimanche 8 juillet 2007 à , par David Le Marrec
10. Le dimanche 8 juillet 2007 à , par jdm
11. Le lundi 9 juillet 2007 à , par David Le Marrec
12. Le lundi 18 janvier 2016 à , par Georg-Friedrich
13. Le lundi 18 janvier 2016 à , par David Le Marrec
14. Le mercredi 20 janvier 2016 à , par Georg-Friedrich
15. Le mercredi 20 janvier 2016 à , par David Le Marrec
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