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Le retour de Don Giovanni - Prague & Vienne, Don Ottavio, le dramma giocoso et la thèse du 'Tutto buffo'

Deux ans après la fameuse Querelle des Giocosi sur la nature bouffe de Don Giovanni, une année après nos circonvolutions non plus sur Ottavio, mais sur les coupures et choix de versions dans Don Giovanni, il reste encore de quoi s'occuper.


Emmanuel nous le prouve en commentaires en rectifiant la répartition vulgarisée entre version de Prague et version de Vienne, qui s'avère non seulement simplifiée mais fautive.




Note explicative :

La Querelle des Giocosi s'est particulièrement développée autour de la fameuse thèse du tutto buffo, qui s'appuie sur l'absence de distinction générique précise hors seria. Il est dès lors difficile de déterminer, en évacuant toute subjectivité, le niveau précis de buffo.

Notre perception est d'emblée très déformée par le romantisme[1] et certaines interprétations peuvent ainsi postuler, à rebours, que le Commandeur, vieille figure du théâtre de marionnettes, n'effraierait plus personne ; qu'Ottavio ne présente qu'une image totalement dégradée du noble valeureux[2], aux confins du bouffon ; qu'Elvira est ridiculisée par ses emprunts à l'écriture baroque, aussi dépassée que ses conceptions morales ; bref, que chaque élément apparemment serio soit dégradable par sa sortie du contexte de l' opera seria.

L'autre interprétation est évidemment celle du mélange. D'une part, l'univers bouffe des serviteurs et paysans (Leporello, Zerlina, Masetto) ; d'autre part, les sentiments nobles et sérieux, issus du seria, des aristocrates (Anna, Ottavio, Commendatore). Don Giovanni et Donna Elvira sont les seuls à assurer le pont entre les deux mondes. Cette conception va à l'encontre du couple Don Giovanni/Leporello comme moteur de l'action, mais il est vrai qu'Elvira représente le principe d'union de la société face au nuisible, avec une constance déconcertante. On notera au passage qu'elle ne peut s'appareiller à la fin de la pièce (mais c'est aussi le cas de Leporello).

L'avis de CSS se situe entre ces deux pôles. C'est-à-dire que l'on croit au mélange, car :

  1. rien n'oblige un dramma giocoso[3] à être exclusivement buffo. Certains passages sont destinés à émouvoir, comme il se doit, mais il n'est pas interdit que ce soit au moyen de personnages élevés, en théorie. Simplement, le mélange des genres l'exclut du genre du seria ;
  2. il est difficile de concevoir que le Trio des Masques, que Donna Anna constituent des éléments véritablement comiques. Même Elvira, dans la version de Vienne (où apparaissent le récitatif et l'air : In quali eccessi, o Numi ! / Mi tradì quell’alma ingrata), ne peut y demeurer pleinement harpie, avec cette élévation religieuse qui rappelle le modèle moliéresque.

Mais aussi que nous ne croyons pas que cette répartition entre aristocratie et plèbe soit imperméable, le giocoso ne l'exige pas. Il est donc tout à fait vraisemblable qu'Ottavio soit à considérer comme un ersatz de noblesse, pas intrinsèquement comique, mais tout juste bon à jouer les utilités dans un dramma giocoso, ou que le Commandeur soit un clin d'oeil à une vieille tradition usée. Ce qui n'implique donc pas non plus la ridiculisation systématique de l'ensemble ; lorsqu'on songe que Paris pleurait aux malheurs de l'Iphigénie de Gluck huit annés plus tôt, on a peine à croire que le tableau pathétique de la mort du Commandeur et la scène très dramatique de son retour n'aient pas impressionné le public. [Voir à ce propos les précisions d'Emmanuel sur les possibles désirs de Mozart de chercher à accroître l'effet sur scène.]

En somme, nous ne croyons pas à une unité de ton buffa, mais il ne faudrait pas non plus répartir de façon stricte les personnages, qui portent en eux-mêmes, en plus de leur couleur principale, des aspects potentiellement discordants.

Notes

[1] Qui fait de Don Giovanni un drame de l'Humain et de l'Absolu, où règne fortement le Tragique.

[2] CSS, sans défendre nécessairement la thèse du comique d'Ottavio, est très sensible à cet aspect. Ottavio arrive pour verser son sang opportunément après que le père ne puisse - l'indicatif nous chagrinerait ici - plus reprendre sa parole pour l'union avec Anna ; ne peut menacer Don Giovanni qu'à distance, au pistolet ; craint pour la pureté d'Anna qui lui échoira plus que pour elle, lors du récit de la nuit d'horreur ; enfin ne fait valoir son droit qu'au travers du bras de la justice, sans jamais oser défier Don Giovanni. Son air Dalla sua pace le dépeint véritablement soupirant et velléitaire, tentant vainement de se convaincre de la nécessité de la vengeance : E mia quell'ira. Un personnage que l'on peut, à partir de ces éléments, présenter alternativement comme falot, manipulateur (pour conserver Donna Anna) ou piteusement comique.

[3] ou un opera buffa, la distinction entre les deux n'est pas théorisée


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Commentaires

1. Le mercredi 4 juillet 2007 à , par Bajazet

Lascia, o caro, la rimembranza amara…

Merci pour la synthèse, à laquelle je souscris largement. Je ne vais pas recommencer à gloser les gestes d'Ottavio, d'ailleurs je n'aime pas les anniversaires.^^Sauf quand avec de vrais morts.

Une question cependant : tu écris qu'Elvire « ne peut s'appareiller à la fin de la pièce ». Doit-on lancer une souscription à son profit ? « Aidez le semi-seria : donnez ! » La technologie a fait de grands progrès certes, mais surtout les prix ont beaucoup baissé ces derniers mois. J'ose espérer du moins que de cette surdité "les mollesses coquines d'un hédonisme solitaire" ne sont pas heureusement coupables.

2. Le mercredi 4 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec

Lascia, o caro, la rimembranza amara…

Amère, pourquoi donc ? Il ne faut pas bouder les souvenirs agréables !


Merci pour la synthèse, à laquelle je souscris largement. Je ne vais pas recommencer à gloser les gestes d'Ottavio, d'ailleurs je n'aime pas les anniversaires.^^

Quand je disais deux ans, c'était à louche, il me semble bien qu'il s'agissait de l'été 2005. C'était juste une introduction assez journalistique aux développements précieux apportés par Emmanuel. Manière de dire que DG, on n'en sort pas, bien qu'on en parle sans cesse.

Du coup, j'en ai profité pour parler brièvement de ces points qui n'avaient jamais été présentés clairement ici.

Le reste...


Une question cependant : tu écris qu'Elvire « ne peut s'appareiller à la fin de la pièce ».

Chacun aura bien sûr reconnu la glorilleuse prononciation locale d'apparier, Môssieur du Mauvais Esprit.

Ces exégèses achevées, je lève l'ancre pour atteindre le port du labeur compterendin.

3. Le jeudi 5 juillet 2007 à , par Bajazet

Ben justement, Elvire elle ne peut pas appareiller non plus. Ya vraiment des gens qui n'ont pas de chance. Réduite à s'échouer "in un ritiro". Poverina ! poooooverina !

Bon, qui est Emmanuel ? Ou plutôt où lit-on sa prose ? Je n'ai pas bien suivi. Je suis un peu distrait : j'écoute un truc tombé du Ciel, un Rigoletto viennois de 1973 avec Edda Moser. Quelle Gilda, mon Dieu !

4. Le jeudi 5 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec

En cliquant sur le lien, homme avisé !

[rires étouffés]

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