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Francesco Bartolomeo CONTI - Don Quichotte de la Manche dans la Sierra Morena - René Jacobs

Suite à la production impromptue d'une courte note sur le sujet, on en propose une version un peu étoffée pour CSS.


Un autre Florentin.

Florence 1681 - Vienne 1732.

On connaît essentiellement de Conti son Don Chisciotte della Mancia in Sierra Morena (« Don Quichotte de la Manche dans la Sierra Morena »), créé à la cour de Vienne en 1719. C'est un opéra seria un peu particulier, puisqu'il comporte quasiment des finals en fin d'acte, une suite de "numéros" [1] et d'ensembles en particulier, ou au minimum un "numéro" libre et développé, à la manière de l'opéra classique, tel qu'on le connaît par exemple chez Martin y Soler ou dans les Da Ponte de Mozart. (Donc passablement moderne !)

L'argument est tiré de l'épisode de la traversée (puis de la retraite, au sens religieux du terme) de la montagne espagnole par Don Quichotte. C'est un épisode célèbre du premier livre de ses aventures, qui comprend les fameuses Folies de Cardenio mises en musique par Lalande, et qui raconte dans un récit inséré l'histoire de Dorothée. C'est là où Don Quichotte, qui se prépare à mourir d'inanition exposé au soleil en songeant à Dulcinée, est ramené chez lui sous prétexte de remettre la fantasmagorique Micomicona sur son trône.

C'est une oeuvre intéressante à plusieurs titres.


Le duetto final de l'acte I, quasiment un final tout court. Dans le récitatif, Sancho (Christophoros Stamboglis) oppose à toutes les raisons séductrices de Maritorne (Maria Cristina Kiehr) le leitmotiv du muletier qui peut revenir le rosser... et l'obsession du gouvernement d'île qu'on lui a promis, et qui est également utilisée par Boismortier et Massenet dans leurs opéras quichottesques respectifs.
Bois rigolards, castagnettes, coups de talon à la façon du flamenco, continuo déchaîné... A Innsbruck, René Jacobs et l'Academie für Alte Musik Berlin violemment inspirés. L'orchestration, si elle est d'origine, évoque également les derniers feux du seria, avec tous ces bois en particulier - soit quelque chose comme soixante ans d'avance !


Lire la suite.

Notes

[1] C'est-à-dire une partie chantée valorisée et close, un air ou un duo par exemple.

Tout d'abord, tous ces éléments, à l'exception peut-être de l'état misérable de Don Quichotte, se retrouvent dans le livret d'Apostolo Zeno et Pietro Pariati. [Zeno était le librettiste à la mode avant Métastase.] La folie brutale de Cardenio (chanté logiquement, vu sa distinction, par une voix aiguë et délicate), la cour de Maritornes (servante d'auberge repoussante) à Sancho (et non plus à un muletier contre qui Don Quichotte veut la défendre dans un des moments les plus grotesques - et peut-être faciles - du roman)...

Ensuite, on a affaire à une oeuvre musicale tout à fait piquante. Les airs n'y sont pas particulièrement spectaculaires ou inspirés musicalement, mais dressent des portraits très individualisés des personnages, quasiment des airs de caractère, et non plus des numéros individuels un peu interchangeables. Enfin, on y retrouve les folies d'Espagne, en particulier lors du final totalement fou du premier acte, où la grande confusion (entre Maritornes qui minaude et Micomicona qui feint, on n'est pas sorti de l'auberge) bâtit une succession des variations les plus dansantes et convaincantes jamais écrites sur ce thème. Le joyeux désordre va ainsi de pair avec une invention musicale réjouissante.

Surtout peut-être, René Jacobs, qui l'a donné à plusieurs reprises (1992 Innsbruck, Beaune 2005, Innsbruck 2005), se montre dans sa dernière série de représentations capable d'inventer une orchestration hors du commun, avec une richesse du continuo (les cordes grattées en particulier), une alliance magnifique des timbres, une inspiration totalement débridée qui ne peuvent que susciter l'admiration la plus invense. Les récitatfs comiques deviennent quasiment symphoniques... quand ce n'est pas de la musique contemporaine à clusters (avec cor faux, bruits de chaînes arythmiques et dépareillés, etc.). Incontestablement, dans ce répertoire, l'interprète peut prendre la place de co-compositeur, car Conti ne séduirait pas ainsi, littéralement interprété.

Un délice absolu, une réjouissance riante. De plus, le rôle-titre était interprété par Nicolas Rivenq et sa présence dramatique toujours aussi persuasive, son timbre si caractéristique aussi. Et la mise en scène de Stephen Lawless semblait assez sympathique (illustration en tête de notule).

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L'oeuvre n'a manifestement pas été publiée depuis la radiodiffusion. Mais à venir, peut-être, et on peut l'espérer en vidéo, ce qui représenterait en l'occurrence une réelle plus-value.

Dans l'attente, le final de l'acte I, pour le plaisir de cette curiosité, ci-dessus.


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Commentaires

1. Le vendredi 10 juillet 2009 à , par Licida :: site

Bien d'accord pour louer cette oeuvre! Jacobs va justement la donner la saison prochaine à Bruxelles avec une distribution luxueuse qui laisse augurer le meilleur!

http://www.lamonnaie.be/demunt-1.0/programma/productie.jsp?id=11229&seizoen=2009&section=rolbezetting

2. Le vendredi 10 juillet 2009 à , par DavidLeMarrec

Je vous attendais, Licidino. :-)

Wanroij, c'est extrêmement appétissant, mais pas sûr que Marcos Fink (un garçon très sensible, d'ailleurs, il chante à merveille les mélodies slovènes) ait entièrement l'abattage de Christophoros Stamboglis. Le jeu, c'est possible.

Et surtout, il manquera Rivenq qui a toute l'allure et le décalage nécessaires en Don Quichotte, sans parler de la force des mots, du style parfait (et de la silhouette tout à fait adéquate). Degout me tente moins, surtout dans ce répertoire.

3. Le vendredi 10 juillet 2009 à , par Licida

Marcos Fink est le chouchou de Jacobs en ce moment, il sera dans sa Zauberflöte je crois et était déjà le Socrate de Telemann. Question abattage, il s'y défendait très bien.

J'attends vraiment Degout au tournant, ce sera la première fois qu'on l'entendra dans un rôle un peu "décalé" et parodique. Mais ce sont surtout Kalna, Joshua, Dumaux et Mehta qui me font saliver (et Wanroj bof, pas fan de sa Belinda).

4. Le vendredi 10 juillet 2009 à , par DavidLeMarrec

Ce n'est pas sur sa Belinda que je me fonde, voyons, mais sur sa Thisbé ! L'articulation du français étant plus proche de l'italien que l'anglais bien plus postérieur dans la bouche.

Mais en changeant de langue, on a souvent des surprises il est vrai. Je suis très confiant dans Wanroij.

Pour Degout, comme tu dis, ce sera un test intéressant. Pour ma part, j'ai un peu abandonné le suivi de sa carrière depuis que je l'ai entendu en vrai, très déçu par la voix dont on n'entendait bizarrement que le formant et pas le timbre (du métal seulement, alors qu'il est si phonogénique !). Un peu l'inverse de Bernadi ou Varnier, qui sont terriblement impressionnants en vrai, mais gros, poussifs ou râpeux par micros interposés.
Et effectivement, comme tu le laisses supposer, il n'y a pas toujours dans sa voix (dans son jeu, si) beaucoup de mobilité expressive ou de dérision. Ca paraît un peu concentré, disons (prudent serait exagéré).

5. Le vendredi 10 juillet 2009 à , par DavidLeMarrec

Sinon, Fink est effectivement attachant, et on sait combien le relationnel peut avoir de place dans le métier...

Ton quatuor me fait sans doute moins rêver que toi (à l'exception de Kalna qui n'est pas non plus un boeuf immense, des voix aigrelettes pas follement expressives), mais c'est quand même de la belle équipe, j'en conviens.


Ce sera malheureusement une version de concert, alors que la production d'Innsbruck m'avait l'air très sympathique et que l'oeuvre doit bien tenir la scène malgré la structure à numéros.

6. Le vendredi 10 juillet 2009 à , par DavidLeMarrec

Mark Tucker, en revanche, c'était un fort bon Enée dans la Didon de Desmarest par Rousset. Et surtout, je remarque la présence de Johannette Zomer ! :-D

Ok, les rôles sont ce qu'ils sont... mais ils sont.

7. Le vendredi 10 juillet 2009 à , par Licida

Pas d'accord mais alors pas du tout pour trouver que Joshua, Dumaux et Metha ne sont pas "des voix follement expressives"! Et Kalna est une vache sacrée, qu'on se le dise! :o)

Sinon la Johanette, je demande encore à entendre: son petit role dans Athalia cette saison ne m'avait pas transporté du tout, alors que tout le monde encense cette chanteuse.

8. Le vendredi 10 juillet 2009 à , par DavidLeMarrec

Dans le lien que j'ai mis, tu peux l'entendre comme liedersängerin XVIIe, c'est admirable. :-)

Pour les autres, c'est mignonnet, y compris Kalna qui chante à la perfection et de façon habitée, mais je n'y trouve nullement le relief de voix plus typées dans ce répertoire.

Les trois qui restent, je n'ai jamais été électrisé non plus. Les contre-ténors sont excusés : plus le temps passe, plus je suis convaincu que c'est un non-sens complet de faire chanter ainsi. Ce n'est ni efficace, ni authentique, et ça limite considérablement la projection, la variété des couleurs et la fermeté d'expression. Une bizarrerie qui sera peut-être regardée de façon rigolarde dans quelques années.

Les trolls ne sont pas au rabais chez DLM.

9. Le vendredi 17 juillet 2009 à , par Zip

Je viens de recevoir la brochure 2009-20010 du Nederlandse Opera (où Jacobs va aussi monter cet oeuvre , mais avec en version scénique) et Nicolas Rivenq était annoncé au départ dans le rôle-titre. :-(
Heureusement, l'auditeur frustré par le trop bref extrait de cette note ne se rendra pas vraiment compte qu'il perd au change sans lui. ;) Et puis il reste Jacobs, dont l'apport à ce Don Chisciotte est essentiel, à te lire.

Deux créations, quelques tubes et plusieurs (semi-)raretés bien distribuées: très sympa, ce que propose Amsterdam.

10. Le vendredi 17 juillet 2009 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Zip ! :-)

Amsterdam a de toute façon une des plus belles et des plus variées programmations au monde... et quels orchestres !

11. Le vendredi 17 juillet 2009 à , par DavidLeMarrec

Flûte, j'ai écrasé mon second commentaire pour te répondre. Disons simplement qu'effectivement Rivenq est absent de ma sélection, qu'il est exceptionnel d'éloquence comme d'habitude, mais qu'il était difficile de faire plus long, sachant que l'enregistrement, quoique non publié commercialement, n'est pas libre de droits.

Pour faire mieux, il faut une diffusion dans le cadre du cercle familial... (notion juridique qui mériterait peut-être redéfinition pour ne pas produire des lois de Tartuffe, mais c'est une autre histoire)

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