Ma rendi pur contento - mise en contexte, écoute et traduction - Vincenzo BELLINI, Pietro METASTASIO
Par DavidLeMarrec, vendredi 10 août 2007 à :: Poésie, lied & lieder :: #685 :: rss
A nouveau dans notre série "aide aux jeunes chanteurs désemparés" (mise en action il y a quelque temps pour ce morceau aussi...), voici toujours, à tout hasard, cette traduction d'une ariette de Bellini sur un texte de Métastase.
1. Texte et contexte
Texte franchement fade, dira-t-on, mais destiné à être inclus dans un drame, une des fameuses arie en deux strophes et huit vers.
En réalité, et on ne le souligne sans doute pas assez, comme on l'a vu dans nos précédentes considérations sur les sources des Métastase de Schubert, toujours fécondes à considérer pour le sens de l'ensemble et la démarche du compositeur, il s'agit ici d'un extrait de la tragédie Ipermestra - deux fois mises en musique par Pasquale Cafaro pour le San Carlo Naples, en 1751 et 1761 (chaque fois en décembre, d'ailleurs).
Il s'agit ici, bien sûr, de l'Hypermnestre fille de Danaos, et non celle fille de Thestios. L'aînée des Danaïdes, qui sauve son promis Lyncée, qui avait renoncé à consommer le mariage, du massacre. Déclarée innocente par la Cour convoquée par son père, elle règne finalement sur Argos avec Lyncée lorsque celui-ci a rempli sa vengeance ; mais ce ne sera pas la version retenue par Metastasio, lieto fine oblige.
En tout état de cause, le supplice du Tartare qui fait leur célébrité n'apparaît que dans les versions tardives du mythe.
Parmi les auteurs qui ont traité le sujet (Eschyle dans le Suppliantes, Hygin, Nonnos de Panopolis, Ovide dans les Héroïdes, Strabon...), Métastase se réfère explicitement à la très commode Bibliothèque Apollodore, en la citant dans son bref argument précédant le drame.
Voici ce qu'en dit le deuxième livre de la Bibliothèque (1,5) :
Les fils d'Égyptos arrivèrent eux aussi à Argos ; ils demandèrent à Danaos de renoncer à leur vieille hostilité, et de leur donner ses filles en mariage. Mais Danaos se méfiait de leurs offres et, en son âme, il éprouvait encore de la rancour à cause de l'exil subi. Malgré tout, il accepta de donner ses filles, et il en attribua une à chacun d'eux. Hypermnestre, l'aîné, alla à Lyncée, et Gorgophoné à Protée ; de fait, ces deux jeunes gens était nés de l'union d'Égyptos et d'une femme de sang royal, Argyphia. Busiris, Encelade, Lycos et Daiphron eurent les filles que Danaos avait eues d'Europe, Automate, Amymoné, Agavé et Scaia ; leur mère, donc, était de sang royal, alors que Gorgophoné et Hypermnestre était nées d'Éléphantis.
[...]
Après que les couples furent ainsi décidés, au cours du banquet de noces, Danaos donna un poignard à chacune de ses filles. Et quand elles allèrent dormir avec leurs maris, elles les tuèrent tous. Seule Hypermnestre épargna Lyncée, parce qu'il avait laissé intacte sa virginité : mais, pour cette raison, Danaos la fit enchaîner et enfermer. Ses autres filles enterrèrent la tête coupée des maris à Lerne, et les corps reçurent les honneurs funèbres devant la cité ; Athéna et Hermès, ensuite, sur ordre de Zeus, purifièrent les jeunes filles. Quelques temps plus tard, Danaos permit qu'Hypermnestre et Lyncée vivent ensemble ; et ses autres filles épousèrent les vainqueurs d'un concours athlétique.
Notre Metastasio met en outre en exergue l'enjeu du double devoir d'Ipermestra : désirant sauver Lyncée, mais lui révélant la trame dans l'idée de susciter sa magnanimité vis-à-vis de son père...
2. Situation et musique
Acte I, scène 6.
Il s'agit ici d'un monologue de Plistene, ami de Linceo (et épris de la nièce de Danao). Une rêverie amoureuse.
Bellini isole seulement les vers 221 à 228, ceux qui correspondent à l' aria. Pour plus de contexte, on s'est fait le plaisir de traduire ce qui précède (le "récitatif"), et qui n'est pas mis en musique par Bellini.
Il s'agit de la sixième des Ariette di camera (ariettes de chambre), dont la première est la délicieuse Malinconia, ninfa gentile, toujours pourvue de cette grande fraîcheur lyrique.[1]
=> Voici ce qu'en donne le compositeur. Interprété par Oleg Ryabets, sopraniste, et A. Konstanidi, piano. Un sopraniste manifestement assez puissant, qui travaille une voix mixte plus qu'intégrablement falsettisée. Au point qu'il semblerait entendre une voix de femme mal assurée (le soutien !), plus qu'une voix de falsettiste. Séduisant, même si la diction est totalement floue.
Cet extrait nous provient des Classical Music Archives, site déjà ancien, que nous recommandions tout à la fois pour la musique légale et pour les partitions.
3. Traduction
Se di toglier proccuro all' idol mio / Si je parviens à ôter à ma belle idole
la pena di temer, quante ragioni / la peine de craindre, que de raisons d'espérer
onde sperar mi suggerisce amore ! / me souffle l'amour !
Se il timido mio core / Si je parviens à affermir
d'assicurar proccuro, / mon coeur timide,
quanti allor, quanti rischi io mi figuro! / Que de lauriers, que de périls puis-je me figurer !
Attention, on a privilégié le rendu français, puisque ce moment n'est pas mis en musique par Bellini. Le vers à vers, souplesse de l'italien oblige, n'est donc pas concordant.
Ici, en revanche, nous versons dans la littéralité la plus prosaïque, il s'agissait d'aider les jeunes chanteurs à dire correctement leur texte :
Ma rendi pur contento / Mais rends cependant content
Della mia bella il core / De ma belle le coeur
E ti perdono, amore, / Et je te pardonne, amour,
Se lieto il mio non è. / Si le mien n'est pas heureux.
Gli affanni suoi pavento / Je crains ses afflictions
Più degli affanni miei, / Plus que mes afflictions, (coucou Don Ottavio)
Perché più vivo in lei / Car je vis plus en elle
Di quel ch'io vivo in me. / Que je ne vis en moi. [2]
Oui, don Ottavio : S'ella sospira / Sospiro anch'io ("Si elle soupire / Je soupire à mon tour"). Rappelez-vous.
Notes
[1] A défaut de profondeur, dira-t-on à tort : ce n'est pas son objet !
[2] On pourrait défendre l'idée qu'il vaudrait mieux déplacer "plus" au début du dernier vers pour rendre l'insistance du texte italien. Mais comme la tournure est aussi plus banale en français, on a laissé les choses en l'état.
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