Richard WAGNER - Die Walküre (La Walkyrie) - Rattle/Berlin, Aix-en-Provence 2007 (et l'esthétique éloquente de Braunschweig)
Par DavidLeMarrec, jeudi 23 août 2007 à :: Disques et représentations :: #667 :: rss
CSS a donc découvert cette production dont on avait fait tant de bruit. Jadis, nous avions été très séduits par le Rheingold de Baden-Baden (repris au Royal Albert Hall) où Simon Rattle dirigeait l'Orchestre de l'Age des Lumières. Un résultat sonore saisissant, d'une limpidité inouïe, d'où émergeaient l'éloquence lumineuse de Kate Royal (en Woglinde !) et la sobriété profonde de Willard White en Wotan.
Ici, le Philharmonique de Berlin est à l'oeuvre, et nous avons malheureusement manqué, l'an passé, le premier volet qui voyait Mireille Delunsch en Freia.
On évoque bien sûr l'interprétation musicale, mais d'abord les recettes théâtrales de Stéphane Braunschweig, qui ont plus que tout attiré notre attention - et expliqué notre présence devant un téléviseur.
Bis repetita placent : Notre premier intérêt était, il faut bien le dire, la mise en scène de Stéphane Braunschweig, qu'on a partout vu à un degré de présence théâtrale remarquable, sans jamais d'aide vainement accessoirisée.
On y retrouvera les mêmes éléments visuels qu'à l'accoutumée, ces nombreuses nuances de gris, ces vêtements modestes, avec la figure récurrente du pull en laine fait main... Au I, une toile tendue en double pente vers le fond, avec des coulisses (côté jardin[1], celle où Wotan manipule les jumeaux ; côté cour, symboliquement la cuisine et, hors scène, la chambre à coucher). Un environnement étouffant, où la promiscuité prévaut. Au II, un plateau nu, avec une simple table de travail (et un plan arrière de la scène qui peut s'élever). Au III, un grand escalier étroit qui descend vers le spectateur, avec l'entrée de Wotan tout en haut.
A son habitude, Braunschweig préfère resserrer le drame - comme hanté par l'adage qui trop embrasse mal étreint. Quitte à provoquer des superpositions étranges entre les fauteuils chippendale pourpres, les décors sans époque précise et le merveilleux mythologique qui n'est pas aboli.
Ce dépouillement laisse la place à une direction d'acteurs à la fois très présente et dépourvue d'histrionisme. Braunschweig trouve par exemple la clef de l'exposition des leitmotivs. Comment réussir à entrer en résonance avec la musique, alors
- que le propos des leitmotivs est souvent conceptuel ou narratif (donc abstrait) ;
- que le mimétisme du visuel par rapport au sonore, ou la redondance ne sont jamais féconds, et rarement esthétiques ?
Braunschweig choisit donc
- de faire réagir les personnages en décalage temporel avec l'événement musical, de façon à ce que le leitmotiv semble découler de l'attitude des acteurs, ou exposer par avance les causes de leur action ;
- de proposer un contenu de ces réactions qui diffère légèrement du sens du leitmotiv, de façon à ce que l'un colore l'autre d'une manière un rien distincte.
Un moyen très efficace de rester en contact avec la musique, sans lourdeur mimétique.
Certes, on pourra jouer les mauvais esprits et regretter le peu de traitement du personnage d'ordinaire enthousiasmant de Siegmund, guère aidé par la placidité scénique vaguement indifférente de Gambill ; insister sur la lourdeur du propos martelé comme quoi Sieglinde mène la barque, et avec plus ou moins d'élégance. Pourtant, on assiste à un grand travail, surtout à l'acte I, à la fois de près, par l'expression manifestement réglée des visages, que de loin, avec de grands gestes et déplacements tout aussi éloquents. Une rareté dans le milieu de l'opéra !
L'acte II est sans doute moins inspiré, avec son plateau nu, son mélange un peu étrange des époques des costumes, cette scène de la forêt cachée derrière le bureau renversé de Wotan, cet affrontement statique de Siegmund et Hunding sur la scène au lieu de débuter en coulisses... mais l'acte III s'achève véritablement sur des moments très touchants, avec une sobriété sans exil du metteur en scène (comme si souvent...). L'embrasement simplement projeté sur les murs, mais sans les dimensions ridicules qu'on lui voit parfois, la petite jupe guerrière de Brünnhilde qui descend à mi-chemin du sol depuis les trois fauteuils Chippendale où Wotan l'a délicatement déposée, l'éloignement de dos du dieu, sans se retourner, alors que le brasier le sépare à jamais de la fille bien-aimée... Sans être révolutionnaire ou indispensable, ce III frappe juste, là où nous sommes sensibles...
CSS et ses camarades lutins ont particulièrement été frappés par un geste si simple et si éloquent. Sieglinde, durant la narration de ses malheurs, ôte la nappe blanche de la table. Mais de façon particulièrement parlante, en en serrant deux paquets dans ses points au milieu de la table, la relevant lentement, puis la jetant au fond de la pièce. Avec ce geste simple, esthétique, cette animation de l'espace scénique, Braunschweig porte une triple symbolique :
- évidemment, le symbole de la virginité ravie par Hunding, et qui tourmente si fort Sieglinde dans ses délires du II ;
- le tournant, à ce moment du récit, de la personnalité et du destin de Sieglinde, qui choisit tout à la fois de renoncer à sa soumission domestique et d'entraîner vigoureusement Siegmund à sa suite dans leur course à l'amour et à l'abîme commune ;
- plus largement, l'écrasement passé de la personnalité de Sieglinde que porte la réalisation si singulière de ce geste.
Et sans la moindre once de vulgarité. Il n'y a pas à dire, CSS est admiratif.
Côté interprétation musicale, on s'avoue très mitigé sur le travail de Simon Rattle, qui fait le choix de la force permanente. Chaque accord discret du I est joué à pleine force, menaçant, au point que la fin de l'acte ne parvient pas à imposer une nécessaire urgence supplémentaire. Cette intensité permanente est assez originale et ne nous paraît pas déplaisante - on est certes plus qu'éloigné de l'indignité ! - ; pourtant, elle soulève plusieurs problèmes auxquels nous avons été particulièrement sensibles :
- un décalage stylistique avec le propos musical, qui impose très clairement des récitatifs discrètement secondés ou ponctués, et une gradation au sein de chaque acte ;
- une tendance à l'uniformité du propos : toujours tendu, menaçant, sonore, mais en somme peu instructif sur l'action, peu touchant aussi.
Surtout, la tendance à exposer chaque pupitre lors des soli non comme un élément organique de l'orchestre, mais comme un soliste à part entière, produisant à chaque fois le même phrasé emphatique et stéréotypé (en élargissant le tempo, naturellement...) qui attire immanquablement l'attention sur l'instrumentiste plutôt que sur le propos conceptuel du leitmotiv ou sur la beauté intrinsèque de la musique. Jusqu'à la vulgarité, parfois. Violoncelle, hautbois, percussions claires, flûtes (jusque dans l'enchantement final)... ils ne sombraient pas tous, mais tous étaient frappés.
A certains instants précieux, la chose peut devenir irritante à force de répétition.
Enfin, on évoquera très rapidement les chanteurs : sur le sujet, on le sait bien, chacun peut se faire plus aisément une opinion. Pas de faiblesses, non, vraiment pas. Un peu d'inquiétude peut-être pour Eva Johansson (Brünnhilde) qui ayant abordé le rôle de 2002, ne parvient déjà plus à émettre ses aigus qu'au prix d'efforts confinant au cri. Néanmoins, une belle interprétation, avec des efforts de nuance.
Bien que le timbre de Willard White (Wotan) se soit émoussé au cours des ans, on ne retrouve pas ici sa rugosité habituelle, ses intonations toujours bourrues ; sans se montrer le plus diseur du monde, sa solidité participe d'un personnage lu comme un roc fragile, ce qui fonctionne fort bien - même si l'on est en droit de préférer les lectures plus poétiques. La voix acquiert même, par moment (la partie lente des Adieux, notamment), une plénitude qu'on n'avait jamais connue chez cet organe brut.
En Siegmund, Robert Gambill surprend, méconnaissable. Toujours barytonnant, certes, mais pourquoi cette voix droite et translucide, presque "baroqueuse", et pourquoi cette apparente indifférence à ce qu'il chante ? Ca ne ressemble pas à de la fatigue vocale. Etrange chose, très surprenante, mais pas déplaisante au demeurant, n'était cette placidité interprétative qui jette un peu de discrédit sur le reste.
Quant aux deux interprètes restantes, l'admiration le dispute à la vénération.
Mikhaïl Petrenko, Hunding à la langue étrange, campe tout à la fois vocalement et scéniquement un personnage d'une noirceur aussi prégnante que travaillée, avec de belles nuances.
Eva-Maria Westbroek, voix fluide, médium dense qui semblent parfois un peu polis à la radio, révèle au regard un investissement scénique d'une application extrêmement convaincante. Si les traits lyriques n'ont pas l'aisance insolente ou le panache sauvage d'autres Sieglinde, la fascination l'emporte en permanence, et particulièrement lorsque les récitatifs mettent en valeur sa grande éloquence et son médium dense et doux, où l'on se noie. [A prolonger par sa Lady Macbeth de Mtsensk (Janssons), everestique de profondeur, si l'on peut dire - un océan de poésie dans cet univers si prosaïque.]
Enfin Lili Paasikivi, qui passe tout ce que l'on a pu entendre en Fricka : arrogance du port, mordant, densité rougeoyante du timbre, allemand très soigné, véhémence précise du discours... [Voilà de quoi effacer à jamais le pénible souvenir de son allemand déformé dans ce terrible hors piste stylistique qu'avait représenté chez Ondine l'intégrale des lieder d'Alma Schindler-Mahler, orchestrés (façon guimauve) de façon à en gommer le plus possible la modernité.]
Assurément, côté mise en scène, une soirée très instructive. Et dans des conditions d'interprétation qu'on ne boudera certes pas.
On remerciera à toute force l'assistance technique généreuse de Sauron (et, en amont, Ouannier).
Notes
[1] c'est-Ã -dire sur la gauche du spectateur
Commentaires
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2. Le mardi 13 novembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
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