Jean-Féry REBEL, Henry Guichard - ULYSSE (version Reyne) – II – Le livret : faiblesses et trouvailles
Par DavidLeMarrec, lundi 7 janvier 2008 à :: Baroque français et tragédie lyrique :: #816 :: rss
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3. Le livret
Le livret d’Henry Guichard n’est pas, il faut bien le concéder, le poème dramatique le plus inspiré qu’ait produit l’esprit français. Il se compose d’une étrange juxtaposition de moments obligés, dans une alternance répétée systématique qui parviendra à lasser le spectateur le plus tolérant à l’esthétique rhapsodique.
Il se trouve également émaillé de facilités linguistiques, parfois proches de l’amateurisme ou du prosaïsme. A la réécoute, notre réception qui n’a plus l’émerveillement de la découverte se fait encore plus tiède sur ce point.
Qu’on en juge :
=> côté prosaïsme :
C’est moy, qui de Circé, viens d’armer la fureur.
Non, les inversions ne sont absolument pas contraintes.
=> côté platitude :
Inhumaine Junon ! vous me l’avez ravie ;
Achevez, hâtez-vous de me priver du jour ;
C’est un nouveau tourment de me laisser la vie,
Après m’avoir ôté l’Objet de mon amour.
On s’abstiendra de détailler le nombre astronomique de clichés dans ce seul quatrain, parfois à la limite du cocasse (Inhumaine Junon – et pour cause), mais qu’on observe simplement la facilité à peine possible à oser des rimes ravie/vie et jour/amour, ou la paresse de l’expression du désespoir par l’appel de la mort, inévitable, mais présentée avec si peu d’originalité que la platitude en éclate avec tout le lustre de la médiocrité.
Et Dieu sait que la fréquentation des livrets italiens, la tendresse même pour ceux-ci a pu rendre CSS indulgent sans effort sur un texte théâtral un tant soit peu efficace…
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Inutile de détailler la trame, qui alterne invariablement moments élégiaques, airs de fureur et duos d’amour entre les trois mêmes personnages. En revanche, on pourra se réjouir d’une certaine complexité apporté aux caractères.
Alors même qu’ils se réduisent globalement à des types (la magicienne jalouse, la femme constante souffrante, le héros enchanté), la petite galerie de personnages propose quelques angles de description atypiques de leurs psychologies. La plus belle réussite en est sans nul doute le caractère contrasté de Pénélope, qui par la force des enchantements peut être, contrairement à son statut proverbial, ébranlée et temporairement égarée par les prestiges de la séduction. A certains égards, que ce soit chez Homère, chez Badoaro / Monteverdi ou chez Fauchois / Fauré, Pénélope pouvait paraître comme affaiblie, mais toujours de façon purement passive : désarmée, elle pouvait être perçue comme sur le point de se résigner à se remarier, force de disposer d’autres cartes à jouer au bout de vingt ans de résistance.
Ici, au contraire, Pénélope opère sous l’influence de Circé un mouvement qui tient plus de l’égarement, voire de la trahison – à la façon de Renaud enchaîné par les charmes d’Armide, on verra que la comparaison a lieu d’être faite ici et ailleurs. Enchantée, elle rêve au prétendant Urilas au milieu de jardins favorables.
Evidemment, la résolution de ce genre de situation n’est pas très habile : deux Deae ex machina pour un seul drame et des situations somme toutes solubles dramatiquement, cela semble un rien exagéré, même si la mode court à l’époque. La fin originale de Callirhoé de Roy / Destouches comportait par exemple l’intervention de Bacchus, mais pour dénouer une situation qui ne connaît pas d’issue humaine possible – qu’on songe à Philoctète de Sophocle. Et la révision de l’œuvre fera adopter une fin où, précisément, le nœud insoluble n’est rompu que par la vertu et la mort conjuguées – une autre forme de surnaturel.
Ainsi, notre Pénélope n’est sauvé, dès l’acte II, que par l’invocation de Junon qui est toute diligence. Là où Fricka met une bonne heure pour venger Hunding, et encore dans la mesure où son intérêt personnel l’y pousse également (et non sans pots cassés), le panthéon grec livre le salut en un instant, encore tout chaud.
L’ensemble du livret et à cette image, tout de retournement artificiels et surtout très excessifs – dont l’ampleur n’est que rarement justifiée par la nécessité dramatique.
Pourtant, Pénélope, avec ses doutes, ses faiblesses, puis ses pieux remords (manifestés par une invocation infernale, mais pour soutenir la vertu !), est pleinement touchante ici. Surtout dans l’incarnation de Stéphanie Révidat, qui s’efforce d’habiter avec le plus de naturel et de présence un rôle discret, et dans une tessiture grave pour elle. On ne peut qu’en saluer le résultat convaincant, et cette voix soyeuse, ces graves soignés.
Ulysse connaît le même type de traitement, lui aussi enchanté, avec plus d’abandon et moins de remords. Dans les traditions plus tardives, on se souvient qu’il a même eu un fils de Circé – par qui il reçoit en fin de compte la mort. Evidemment, le rabibochage n’en est que plus aisé. Le personnage est sans doute moins attachant également en raison de lignes vocales assez discrètes, qui tiennent plutôt de la voix intermédiaire dans un chœur. Un peu à la façon de l’écriture vocale de Campra, on a pour ce personnage l’impression que la ligne mélodique « plafonne », se trouve maintenue dans un cadre étroit où la musicalité et l’éloquence sont un peu contraintes, loin de l’évidence prosodique de Lully ou de Destouches.
Le chœur aussi, qui représente ici, à la manière antique – ce qui n’est en fin de compte pas souvent le cas de façon aussi sensible dans la tragédie lyrique –, un groupe homogène et précis, se trouve traité comme personnage avant d’assurer simplement la couleur pittoresque des tableaux dansés. La scène de l’enchantement des marins, dans une écriture chorale presque romantique qui, depuis notre vingt-et-unième siècle, rappelle furieusement Schubert (et singulièrement « O teures Vaterland » de Fierrabras), dote cette collectivité d’une subjectivité propre. Ils ne sont pas victimes, comme à l’accoutumée (voir par exemple l’acte III de Zoroastre), de maux étendus à un peuple entier, mais bien d’un châtiment infligé à un groupe précis.
Et leur plainte n’a pas pour enjeu de rehausser le pathétique des péripéties endurées par les personnages principaux – mais vaut bien pour elle-même, et touche plus que la plupart des scènes convenues, copiées, brutales ou artificielles qui jonchent le poème de Guichard.
Chœur des marins aveuglés par Circé.
Chœur des pairs de France prisonniers des Mores dans Fierrabras de Schubert.
Commentaires
1. Le lundi 7 janvier 2008 à , par sk†ns
2. Le lundi 7 janvier 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le mardi 8 janvier 2008 à , par sk†ns
4. Le mardi 8 janvier 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le mercredi 16 janvier 2008 à , par sk†ns
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