Guide pour les 'Victoires de la musique classique - 4 - "Révélations" instrumentales et lyriques de l'année
Par DavidLeMarrec, jeudi 7 février 2008 à :: Disques et représentations :: #843 :: rss
Révélation de l'année comme soliste instrumental
Ces révélations n'en sont jamais pour les observateurs attentifs, avec de belles carrières d'une dizaine d'années parfois ainsi récompensées, mais il est indéniable que l'impulsion donnée à une carrière est réelle.
Il vaudrait mieux lire : "jeune soliste instrumental de l'année".
Attention au disque d'extraits fourni : enregistré dans les conditions du direct, il ne met pas tous les interprètes à l'aise (particulièrement vrai pour les chanteurs). Et surtout, les extraits ne sont pas du tout représentatif du talent de ces musiciens. Calibrés pour un grand public, quitte à être totalement à côté de la personnalité interprétative des musiciens.
- Benjamin ALARD (Clavecin)
- En réalité, Benjamin Alard est également organiste. Comme claveciniste, il est à suivre avec beaucoup d'attention. Son sens du rubato très élégant constitue un atout précieux ; sans la légèreté affectation d'une Blandine Verlet, avec une vraie souplesse. Quelque chose de vraiment personnel, à saluer.
- David FRAY (Piano.. chez Virgin)
- Surtout ne pas se fier aux extraits fournis. David Fray a enregistré cette saison un album Bach / Boulez. Un son incroyablement présent et coloré. Le Bach se montre cependant extrêmement régulier, et l'indépendance des attaques (à comparer avec le genre Perahia / Barenboim) apparaît rapidement obsessive. Très réussi pour une version traditionnelle, mais peut-on réellement s'obstiner à jouer Bach sans irrégularité, avec cette perfection froide et carrée ? Son magnifique néanmoins, et une présence incontestable.
- Ses Notations de Boulez, en revanche, passent tout ce qu'il est possible d'imaginer dans ces pièces ! Le miroitement des différents plans, la profondeur de son, la variété du coloris en font une véritable référence. Aussi beau que la version orchestrale... On devine un très gros potentiel, avec une maîtrise technique des nuances et des attaques plus précieuse, en fin de compte, que la virtuosité des traits.
- Comment vouliez-vous juger de tout cela avec un morceau aussi limité dans ses possibles interprétations de l'Op.90 n°3 de Schubert...
- David GREILSAMMER (Piano... chez Naïve)
- Son Bach sait créer des atmosphères sonores très saisissantes, un nuage harmonique qui évolue comme une pièce orchestrale de Ligeti. Le reste est moins saisissant du point de vue de l'originalité d'exécution. En revanche, on ne peut qu'admirer le répertoire du pianiste, on nous a décidément choisi cette année des jeunes gens curieux : Tansman, Ligeti, Janáček (sa musique pour piano solo est l'une des littératures préférées de CSS pour l'instrument), Cage, Keren...
- Idem, l'originalité, le son, comment en rendre compte avec l'adagio de la "sonate facile" de Mozart...
Il serait en conséquence difficile de se prononcer pour CSS. Benjamin Alard sera sans doute celui que nous aurons le plus l'occasion d'entendre dans l'avenir. Mais le travail pour l'instant fourni par David Fray est réellement à couper le souffle. Et un salut cordial pour David Greilsammer et son répertoire qui apporter un peu d'air dans le monde confiné du répertoire pianistique standard, particulièrement chez les jeunes interprètes.
Merci aux organisateurs d'avoir proposé autre chose que des chopinolisztiens cette année. Même si la seule raison est que Virgin et Naïve n'ont pas produit d'album schubertoschumannien cette année.
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Révélation de l'année comme artiste lyrique :
Mêmes remarques que pour les solistes instrumentaux sur le caractère de "révélations" et sur la pertinence du disque d'extraits.
- Cyril AUVITY (Ténor)
- De longue date, un chouchou de CSS. On se souviendra sans peine de son Agénor. Voix très singulière, un peu engorgée, avec un engagement déclamatoire hors du commun. (Qui trouve sa pleine mesure dans le disque Clérambault-Rameau que nous avons déjà recommandé dans l'épisode 1 de ce guide.)
- De notre point de vue, la seule haute-contre à même de se hisser au niveau du génial Howard Crook.
- Dans les autres répertoires, malheureusement, la technique bien singulière de cette voix parfaitement mixée ne lui permet pas de projeter convenablement, si bien de ses personnages en sont fortement abîmés. Mozart marque une limite extrême, de ce point de vue, et même dans Méhul (il a chanté Irato ou l'Emporté à Cologne), la voix sort mal.
- C'est pour cela que les extraits du disque de présentation le desservent grandement. Si l'on est déjà sensible à ses charmes ailleurs, on appréciera cet Ottavio limité mais très atypique - volontaire et fragile. On peut même goûter ce Bizet fort étrange, chanté comme de la tragédie lyrique, avec de longues tenues sans vibrato, et hélas pas très propre techniquement - la voix plafonne vite, le souffle est court, le cantabile très difficile. Etrange choix, sans doute pour parler à un large public qui connaît fort bien "Je crois entendre encore", mais Vanzo que chacun conserve dans l'oreille sans le savoir ne peut qu'être fatal dans le jugement porté sur le candidat.
- D'après nos échos, sa réception a d'ailleurs été plutôt négative, ce qu'on devinait sans peine. Pourquoi ne pas avoir proposé un extrait de tragédie lyrique ou de cantate, fût-ce avec piano ? Ou même de Haendel ? Pourquoi ne pas avoir plutôt tenté une mélodie française chantée à sa manière qu'un grand air lyrique hors de ses chemins techniques et stylistiques ? Après tout, pour le public, Les Berceaux sont tout aussi célèbres que Les Pêcheurs de Perles...
- Erreur de jugement de sa part ou pression des organisteurs qui lui coûteront la victoire, c'est évident.
- Thomas DOLIÉ (Baryton)
- On a déjà eu l'occasion, sur CSS, de saluer sa prestation en Pyrame chez Francoeur & Rebel. Débuts en Papageno avec Minkowski. Son Jupiter dans la Sémélé de Marais, qu'on peut désormais entendre au disque chez Glossa, de même que les pièces en récital que nous avons pu entendre et le disque d'extrait, confirment nos impressions d'alors.
- Une voix pleine, très riche, un bas médium extrêmement fourni, comme apparaissent enfin de jeunes basses baroques charnues - et non plus sèches comme longtemps. On peut penser à Bertrand Chuberre ou, pour la génération précédente, à Jérôme Corréas (lequel reste évidemment inapproché, aussi bien pour le timbre que pour l'intelligence textuelle, mais qui pourrait ?).
- Ici, les extraits se montrent instructifs. Un Papageno plein de sérieux. Un très bon choix de « L'Ile Inconnue » des Nuits d'Eté, afin de mettre en valeur sa très bonne diction française, mais qui semble énoncée de loin, dans l'abstraction, sans être habitée. Ce sera donc la très rebattue sérénade du Schwanengesang qui séduira le plus : bonne diction de l'allemand, des intentions bien réalisées (le jeu sur les pronoms personnels), un timbre toujours riche. On ne peut pas, dans ces extraits chantés dans une tessiture de basse (idem pour les rôles chez Marais et Francoeur & Rebel), connaître le potentiel de l'aigu, qui sera sans doute déterminant pour le reste de sa carrière - par la prudence du jeune chanteur, la voix reste pour l'instant extrêmement couverte, sans doute trop pour l'épanouissement du registre aigu, c'est à confirmer ou infirmer à l'écoute.
- On confirme cependant non pas une indifférence, mais une certaine neutralité par rapport au texte : on sent que le chanteur réfléchit plus à sa voix qu'à son jeu, et c'est un peu fâcheux. Ce sont hélas généralement des choses qui varient peu, une fois le tempérament révélé, mais il faut espérer (pour nous) que Thomas Dolié saura triompher de ce tempérament un peu sage. Le Pyrame laissait de grandes perspectives ouvertes. Mais encore à exploiter, en laissant cette vaine précaution vocale de côté, si jamais l'on croit que l'art lyrique est avant tout au service du théâtre ou de la poésie. Ce serait d'autant plus salutaire qu'un timbre riche et très homogène comme le sien lasse à l'usage, passé le premier émerveillement, s'il ne parle qu'à l'oreille.
- Le caractère immédiablement favorable de son timbre riche lui vaudra, si les votes sont bien le seul critère de désignation, de remporter la victoire haut la main. Ce type de voix est structurellement favorisé dans une compétition de ce genre.
- Oui, CSS est comme l'antique : jusque dans la victoire pas particulièrement usurpée, nous lui soufflons : souviens-toi que tu
n'es qu'un hommeas des progrès d'investissement à faire.
- Kareen DURAND (Soprano)
- Pour ces jeunes chanteurs, c'est décidément la veine baroque dans laquelle on pioche. Il est vrai qu'on dispose de beaucoup de merveilles issues de cette école. Kareen Durand a notamment, dans les derniers temps, collaboré avec Malgoire, Christie ou Niquet. Elle nous est à ce jour inconnue, et les extraits de son disque ne permettent pas de se faire une idée : la valse de Juliette, trop entendue, met bien en valeur une voix fraîche et bien faite comme la sienne. Mais la diction n'apparaît ni extrêmement précise (tout à fait correcte cependant), ni particulièrement expressive. Et l'on ne sent pas non plus une aisance particulièrement hors du commun. Bref, une voix de soprano lyrique assez léger, bien faite, comme il en sort beaucoup des conservatoires. Quelle est la motivation pour la nommer plus qu'une autre, sa caractéristique ? On le saura peut-être quand cette nomination aura produit de l'effet sur sa carrière de concerts et ses enregistrements de disques.
- A l'écoute des extraits (trompeurs), donc, pas de vertige particulier.
Pour nous, et à l'aune de nos connaissances limitées, Cyril Auvity, interprète majeur de ces dernières années, mérite sans peine la palme. Mais la mention de Thomas Dolié ne nous paraît pas injustifiée, même si on aurait peut-être, de notre côté, plutôt suggéré un Phillip Addis [1] pour son engagement réel en plus de sa voix bellement timbrée - et de façon assez naturelle.
Evidemment, si on demande l'avis de CSS, on peut reciter quelques-uns des jeunes chanteurs que nous suggérions tout de bon comme chanteurs de l'année : Anne-Catherine Gillet et Blandine Staskiewicz évidemment, voire Delphine Gillot, Philippe Do... et Cyril Auvity. On aurait pu penser à Xavier Mas aussi, mais nous ne l'avons pas entendu depuis quelque temps.
Mais le choix des organisateurs, contrairement à l'habitude, est tout à fait pertinent dans cette catégorie.
Notes
[1] On découvre, intrigué par le prénom, qu'il est en réalité canadien, donc exclu de fait de la compétition.
Commentaires
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