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Anton BRUCKNER - Motets, Aequales, Messe pour vents (Saintes 2008) - Herreweghe, Collegium Vocale

Contexte

La place réservée aux concerts dans l'Abbaye-aux-Dames se révèle relativement réduite, puisque la scène se trouve avant même le transept. Seul le reste de la nef (et la tribune d'orgue désaffectée, pour les invités) permet de recevoir les spectateurs, qui emplissaient intégralement, ce soir-là, l'espace disponible.

L'acoustique s'en révèle très satisfaisante, puisque les coupoles sur pendentif étêtées (coupées à leur base par un plafond plat en bois) évitent une réverbération trop complète par la pierre. Bien sûr, les cuivres créent, dans le forte, une légère saturation, mais le son dans l'ensemble demeure extrêmement clair, pas du tout abîmé ou mêlé. Et bien sûr mis en valeur par la légère résonance.

Un programme bref, aussi rare que remarquable, était proposé par Philippe Herreweghe : un ensemble Bruckner, trois motets (Ave Maria, Os justi, Locus iste) en alternance avec les deux Aequales pour trois trombones, et la messe pour vents (en mi mineur).


L'environnement spatial et acoustique de la soirée.
A gauche, la profondeur de la nef depuis l'arrière-scène (avec la tribune d'orgue désaffectée, sous la fenêtre ouest - nécessairement en contre-jour à cette heure).
A droite, les coupoles coupées à la base par le plafond plat en bois.
Oeuvres

Les Aequales sont deux chorals, assez mahleriens (voyez celui qui ouvre Urlicht), judicieusement couplés avec les motets a capella qui utilisent les mêmes recettes musicales, à savoir un « tuilage », avec des tensions harmoniques qui se succèdent à partir d'accords enrichis consécutifs, sans relâcher la tension - comme chez Clara Wieck-Schumann (cf. Sie liebten sich beide, par exemple), comme chez Gustav Mahler (final de la Deuxième, de la Troisième, de la Huitième symphonies). Cette progression constante est extrêmement enthousiasmante à entendre - ces Motets constituent, en tout état de cause, l'un des corpus fondamentaux du répertoire a capella romantique, avec les Schubert, Mendelssohn et Brahms notamment.
La confrontation des deux types d'oeuvre permettait de mettre en valeur le timbre propre à chaque formation, en le ravivant, par contraste, à chaque alternance.

La Messe pour vents synthétise en réalité ces qualités avec, par moment, la majesté et les unissons propre au langage des symphonies. Deux hautbois, deux clarinettes (avec une alternance de modèles si bémol et la), quatre cors, deux trompettes et trois trombones forment désormais l'orchestre, qui entre, après un Kyrie a capella, pour le Gloria. La fusion entre le style des motets et celui des symphonies se réalise pleinement dans l'Agnus Dei (bissé), avec de nombreuses tensions délicieuses et continues qui témoignent d'une parfaite compréhension de la force de l'écriture chorale, un héritier de Mendelssohn qui lui aurait adjoint un savoir-faire de premier plan de l'élan.
Le plus beau moment de la partition réside vraisemblablement dans le Sanctus (quoique, la fin ineffable du Credo...), bâti sur des vagues vocales splendides, et dont l'harmonie rappelle, sinon les contemporains nordiques, du moins le vingtième siècle scandinave et finnois (de Lidholm à Rautavaara...).

Interprétation

On retiendra surtout la performance extraordinaire du Collegium Vocale de Gand (seize femmes, dix-sept hommes), d'une plénitude, d'une puissance, d'une profondeur de ton absolument confondantes. De surcroît, leur latin s'est révélé particulèrement articulé et expressif dans les motets. Lors de la reprise en bis de l'Ave Maria, le ton était assez bouleversant, et pas seulement par la qualité musicale de leurs phrasés.
A ce que l'on nomme cavata (une forme, flatteuse, d'ampleur vocale), on peut ajouter au sein de l'éloge le naturel vocal, la clarté sonore, les gradations dynamiques parfaites, la justesse jamais prise en défaut (malgré le choix de vibrer très peu, voire pas du tout dans l'aigu)...
Avec cela, ces gens étaient parfaitement ensemble, ce qui leur conférait un pouvoir expressif très fort, une fois concertés - leur Ave Maria s'achevait sur un 'n' qui a lui seul méritait des larmes.

Les Solisti del Vento, qui assuraient la partie instrumentale du concert, sont aussi à saluer, en particulier les trombones dont la plénitude des timbres atteignait un degré rare pour l'instrument, envoûtant dans les Aequales.

Quant à Philippe Herreweghe, qui mérite toutes les couronnes pour avoir proposé un tel programme et travaillé si finement les nuances (à tel point que les bis ne sont que des redites, tous les efforts ont porté sur le programme lui-même), on le reconnaît fidèle à lui-même. Sa sensibilité 'musicologiquement attentive' se ressent dans l'absence de pathos superflu et dans les tenues finales, toujours strictement égales à la notation écrite, ce qui même après des années de baroquisme surprend toujours l'auditeur ingénu (ou pas) ; sa tendance à profiter pleinement du son, de l'instant, quitte à suspendre toute urgence (très sensible dans les chorals de ses Passions de Bach, par exemple), se manifeste également dans le Gloria de la Messe pour vents.
Mais ce seront surtout l'équilibre très travaillé entre les différents pupitres, et pas seulement vocaux, les échos entre instrumentistes et chanteurs, la minutie infinie des gradations, le soin des nuances dynamiques qui forceront l'admiration.
Ses gestes respiraient, au demeurant, la compréhension de la logique 'tensionnelle' de ces pièces, particulièrement durant l'Agnus Dei de la Messe.

Ce savoir-faire, ce soin, allié à la qualité hors du commun d'un choeur doté de la précision d'un choeur de chambre à une ou deux parties (!), de l'impact physique et de la rondeur des meilleurs solistes, ne pouvait que produire, dans un programme aussi précieux et rare, une soirée en tout point mémorable.

En plus, nous étions très bien accompagné.

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Est-il utile de préciser que nous fûmes très chaleureux aux saluts ?

Et surtout un grand merci à notre hôte de nous avoir convié (et invité) à ce concert assez merveilleux...


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Commentaires

1. Le jeudi 17 juillet 2008 à , par Morloch

Les acoustiques d'église sont toujours un mystère : la présence du public, de bois, les décorations, les angles, tant de paramètres qui doivent être impossibles à modéliser.

Quand l'acoustique fonctionne, c'est un bonheur (parfois c'est l'horreur absolue).

leur Ave Maria s'achevait sur un 'n' qui a lui seul méritait des larmes



C'était donc un cantique à Sainte Léopoldine ?

Il faudra qu'un jour je m'intéresse à Bruckner, mes essais n'ont pas été concluants pour l'instant. Ce programme paraît attrayant, au moins par son mystère. C'est très peu joué non ? (du moins en France)

2. Le jeudi 17 juillet 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Le fait de refuser de jouer depuis l'abside est salvateur, ça évite que tout ne réverbère dans la voûte en cul-de-four, pour se perdre dans la (remarquable) coupole sur trompes du transept, et ne renvoie que quelques miettes déformées aux spectateurs de la nef. Surtout que la présence de bois en abondance limite très fortement les nuisances de la pierre.

Non, mécréant, ce n'était pas un cantique à sainte Léopoldine, mais l'Ave Maria se conclut, y compris dans sa traduction française usuelle, par un très-rituel amen.


Concernant Bruckner, ses symphonies sont massives, abstraites et mal orchestrées, ce qui n'est donc pas à mettre entre toutes les oreilles. Cependant, tu peux d'ores et déjà jeter un coup d'oreille sur des merveilles de mouvements lents (celui de Sixième, et, surtout, celui de la Troisième), voire quelques scherzi amusants (la Quatrième surtout, et plus mémorablement que ludique, celui de la Huitième).
Personnellement, ce que j'admire vraiment chez Bruckner, c'est la musique religieuse. Les messes, tout en employant les mêmes recettes orchestrales, au besoin, que les symphonies, respirent beaucoup plus (nécessité de la liturgie et de son expression...). Et l'écriture vocale dépouillée en est très, très touchante.

Sur les Motets, je n'insiste pas, j'ai déjà évoqué la filiation depuis Mendelssohn - le 'tuilage' en plus. Vraiment un jalon majeur de la musique religieuse et du répertoire a capella.

Mais si tu tiens absolument à commencer par les symphonies, je te conseille la réduction d'Eisler de la Septième, délicieusement décadente, avec des instruments incongrus. On perd du sérieux hiératique du postromantisme néobachisant, et on gagne en qualité d'orchestration.

Il existe aussi une réduction pour deux pianos de la Troisième, également publiée chez Gold MDG, mais le mouvement lent perd trop, je préfère l'original, cette fois-ci.


Tiens-moi au courant, si tu t'y mets. :-)

3. Le samedi 19 juillet 2008 à , par Bajazet :: site



Tout ça, c'est bien joli, mais qu'est-ce que vous faites concrètement pour la planète ?

Hein ?

4. Le samedi 19 juillet 2008 à , par DavidLeMarrec

Je n'utilise pas les ronds-points, et de ce fait je limite leur justification et leur reproduction.

Non, ne me remerciez pas, c'est tout naturel.

5. Le samedi 19 juillet 2008 à , par Bajazet :: site


Pouvez-vous me garantir qu'aucun animal n'a été maltraité pour l'exécution de "Locus iste" ?

6. Le samedi 19 juillet 2008 à , par DavidLeMarrec

Mieux que cela, c'est même un concert militant : en réduisant le vibrato et en raccourcissant les tenues, on réduit l'expulsion de CO² des interprètes.

7. Le samedi 19 juillet 2008 à , par Bajazet :: site


Moi qui croyais qu'à Saintes on programmait des chanteurs au vibrato pré-réduit !

8. Le samedi 19 juillet 2008 à , par DavidLeMarrec

Non, ça c'est juste pour les cordes dans Richard Strauss.

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