Carnets sur sol

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Pardonnez-nous nos offenses

Lundi dernier, nous nous étions rendus assister à l'un des concerts de l'Académie Internationale pour les vents, dans l'acoustique assez magique - et pour tout dire parfaite de la cour Mably, près de Notre-Dame, notre bijou local : une église baroque qui reprend les recettes romanes, voûte en berceau et voûtes d'arêtes, et les combine avec l'architecture profane bordelaise, notamment les balcons intérieurs et le fer forgé.

Son ancien cloître (devenu la cour Mably) présente des caractéristiques acoustiques remarquables : aucune réverbération parasite, mais une amplification parfaitement naturelle des timbres.


Rien n'était prévu pour recevoir les exécutants et les spectateurs, tous durent se résoudre à se tenir debout.

Et là - pardonnez-nous, car nous avons péché -, nous entendons ceci, aimablement interprété.

Du Spohr, ou quelque diable qui lui ressemble, nous disions-nous, quelque part vers Rejcha, Hummel et quelques autres compositeurs galants d'un premier romantisme encore classique - qui nous séduit beaucoup. Mais tout de même, plusieurs accidents, ou plutôt, plusieurs changements de mode soudains au milieu d'une séquence, comme si, le temps d'une note, nous empruntions en un insolite chromatisme à une autre forme de la même gamme. Qui oserait cela ? Un romantique classique un peu attardé, comme Hamerik ? Même pas, il n'oserait. Peut-être un académique un peu libre et imaginatif, comme le remarquable Czerny, qui a tout de même produit de la musique de chambre galante dans des formats tout à fait inventifs.

Nous en étions resté là pour qualifier ce Spohr aventureux, peut-être bien quelque Czerny, lorsque, répondant à notre interrogation - rien n'était désannoncé -, la clarinettiste nous jette gracieusement :

La sonate pour clarinette et basson

(jusque là, tout va bien)

de Poulenc, Monsieur.

Le rouge au visage, nous la remerciâmes poliment pour nous enfuir ricaner ailleurs. Le malheureux, que nous avions classé comme un bon Spohr plutôt en forme !

Si vous vous demandiez pourquoi, lundi à dix-huit heures trente, vos histoires de la musique se sont brutalement refermées, le ciel s'est obscurci, le tonnerre a grondé et vos crucifix ont versé du sang, vous savez à présent.

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L'écoute a l'aveugle a manifestement plusieurs mérites incontestables, comme remettre les certitudes à leur place (ne pas reconnaître Poulenc, c'est un peu honteux) et réviser gentiment les hiérarchies préexistantes.

Car, pour du vingtième, on trouverait ça un peu gentil, manquant d'ambition sans doute - alors qu'en tant que compositeur encore Sturm und Drang, on l'aurait trouvé d'une inventivité et d'une personnalité assez supérieures à ses contemporains.

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C'est toute la question des modes de hiérarchisation en art qui se trouvait reposée au détour des travées d'un cloître et du sourire affable d'une clarinettiste.


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Commentaires

1. Le jeudi 24 juillet 2008 à , par Morloch

Moi, je trouve ça un peu dur pour Spohr et Czerny. Ils étaient tout de même imaginatifs et inventifs, eux.

2. Le dimanche 27 juillet 2008 à , par DavidLeMarrec

Va savoir pourquoi, j'avais parié sur ta réaction en ce sens. Non, c'était vraiment un bijou, et à la réécoute, il était vraiment indécelable qu'il s'agissait de vingtième. On aurait vraiment dit un romantique attardé de la fin du XIXe qui imitait encore la manière galante du début du siècle tout en ajoutant de petites libertés légèrement modulantes ou chromatiques.

3. Le dimanche 27 juillet 2008 à , par Morloch

Bon, je dois aussi avouer que je n'ai pas écouté de Francis Poulenc avec attention depuis un bon moment, mais j'avais eu de mauvais moments de profond ennui avec lui. Il est peut-être temps de lui donner une nouvelle chance. Westbroek dit du bien du Dialogue des Carmélites, une possibilité de réconciliation ? (j'avais détesté il y a quelques années, mais je crois que j'ai beaucoup évolué dans ce que j'écoute).


Argh ! J'en suis réduit à suivre les avis de chanteuses d'opéra, c'est la fin...

4. Le lundi 28 juillet 2008 à , par DavidLeMarrec

Oui, Dialogues c'est bien. Je trouve les harmonies et surtout la prosodie très grisaille, mais c'est incontestablement une oeuvre intéressante.

De Poulenc, je retiendrais surtout la musique de chambre, en réalité. Et quelques bouquets de mélodies (célèbres) comme les Banalités ou Le Bestiaire.

5. Le lundi 28 juillet 2008 à , par Morloch

Là où je m'en veux, c'est que tu avais attaché une chèvre à un piquet, et que m'approchant je suis tombé dans une fosse garnie de pieux.

C'en est rageant :)

Tu décris exactement la musique de Poulenc comme je l'avais ressentie, et c'est justement cette attitude que j'avais perçue comme arrière-gardiste qui m'avait énervé. J'étais un pur esprit intransigeant à l'époque. Bon, je suis toujours un pur esprit intransigeant, mais à force de tomber dans des fosses à pieux, je suis devenu plus réceptif à des musiques différentes. C'est beau l'ouverture d'esprit.

6. Le mercredi 6 août 2008 à , par [ Ben ] :: site

Je ne connais pas cette sonate et devrais m'y pencher le jour où je trouverais un comparse. C'est peut-être tout trouvé.
J'ai adoré la sonate pour deux clarinettes et la sonate pour clarinette et piano, alors pourquoi pas celle-là ?

7. Le mercredi 6 août 2008 à , par DavidLeMarrec

Ce mouvement lent est un peu différent de l'esprit mélancolique mais pas classique de celui de la clarinette & piano, mais sinon, on y trouve le même charme très intimiste et dépouillé.

C'est extrêmement séduisant : peu de surprises, juste assez pour maintenir l'attention et ne pas laisser deviner la suite.

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