« Non siam alla baraonda qui ! »
Par DavidLeMarrec, mardi 30 juin 2009 à :: En passant - brèves et jeux - Musique, domaine public - Opéra romantique et vériste italien :: #1295 :: rss
Son le stesse parole di Riccardo Muti...
1. Une histoire
Ce sont les propres paroles de Riccardo Muti, alors directeur musical dans ses meilleures années à La Scala, lors des représentations de son Trovatore révisé musicologiquement, en 2001, l'année fameuse du jubilé verdien.
Alors que le public, irrité par la suppression de l'aigu traditionnel (le contre-ut, ou le si aigu en cas d'abaissement de la tonalité pour les chanteurs) de l'air-tube Di quella pira, conspue Riccardo Muti, celui-ci se retourne depuis sa fosse et lance à la cantonnade : « Nous ne sommes pas au cirque ici ! ».
C'est en tout cas ainsi que la presse de l'époque l'a relaté.
[On peut peut-être préciser que ce Trouvère-là, dont les modifications, à l'exception de l'ut, se montraient peu spectaculaires, voire peu sensibles, était l'une des plus belles soirées connues avec cette partition : un très beau plateau, et surtout une direction qui révèle chez Verdi une poésie suspendue des atmosphères et surtout des couleurs qu'on ne pensait pas pouvoir y inventer !
C'était donc se montrer petit joueur, voire tout bêtement payé par les maffie locales, que de protester pour un petit aigu, que le chanteur (Salvatore Licitra) était tout à fait capable de produire avec aisance, et, surtout, qui produit un effet de suspension de l'action tout à fait bienvenu à ce moment. En effet, le sol n'est pas la tonique mais la dominante dans la tonalité de l'air (ut majeur), et, précisément, le rideau se baisse sur l'attente d'un combat dont on verra directement les conséquences à l'acte suivant.]
On a déjà dit notre sentiment sur le comportement de ces publics, voire gentiment ironisé sur la question, il n'est pas question d'y revenir.
Simplement, si nous ne sommes certainement pas au cirque sous Riccardo Muti, on peut parfois se demander si la Scala n'est pas un stade. Ici aussi, on en a apporté la preuve, et on en aurait de multiples autres occasions, mais pour le plaisir :
On entend les cris hystériques à la gloire de l'italie avant même le dernier couplet, scandés par les sifflets des autres claques (moins nombreuses) qui n'ont pas été payées. Vittorio Gui dont on entend pour l'occasion la voix bisse l'hymne en conséquence du délire général.
C'est d'un folklore assez étonnant, et qui sur une partie plus évocatrice que dramatique, a son charme - d'autant que ce n'est musicalement pas franchement passionnant. Et qu'on ne peut pas leur reprocher d'avoir brisé un rare moment de grâce.
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2. Un peu de domaine public
C'est donc tiré de la version de Nabucco de Giuseppe Verdi par Vittorio Gui, la plus ancienne intégrale enregistrée pour cette oeuvre (1949). Vous entendez le tempêtueux public napolitain, et surtout la direction d'un chef également wagnérien dont la précision des plans et la force démentielle de l'articulation laissait aisément sur place l'ensemble de ses contemporains dans ce répertoire (parce que contrairement à Toscanini, il connaissait aussi le legato lorsque nécessaire...).
Il n'y a d'ailleurs pas, à ma connaissance, d'intégrale plus électrique que celle-ci, où figurent Amalia Pini (Fenena), Silvana Tenti (Anna), Gino Sinimberghi (Ismaele), Luciano Neroni (Zaccaria), Igino Riccò (il Gran Sacerdote), Luciano della Pergola (Abdallo). Et bien sûr l'orchestre et les choeurs du San Carlo de Naples. Comme l'enregistrement est libre de droits, il a paru sous diverses étiquettes, dans des reports allant du supportable à l'abominable.
CSS vous en propose un bon report. Non pas que ce soit confortable, mais écoutable... et assurément enthousiasmant.
=> http://musicontempo.free.fr/nabucco_gui_callas_1949/
Le livret bilingue italien / espagnol est disponible sur Kareol, l'excellente et indispensable plateforme d'Eduardo Amalgro.
Gino Bechi (Nabucodonosor), bien que la voix soit encore modérément vibrée, correspond assez vocalement à la sensibilité contemporaine. Quelques excès vocaux, mais maîtrisés, tolérés par la tradition encore de nos jours, et le rôle s'y prête pour ne pas paraître uniquement belcantiste (ce que Nabucco n'est plus du tout). Une voix dense et robuste, assez rude mais non sans élégance. Un des Nabucco les plus convaincants de la discographie, en réalité. Peut-être même celui qui nous convaincrait le plus...
Maria Callas (Abigaille) est alors dans ses jeunes années, et ses moyens immenses et son (très relatif) embonpoint ne font pas, contrairement à la légende, une très grande différence avec ses prestations dix années plus tard. Les aigus les plus hauts sont déjà blancs et vibrés de manière forcée et douloureuse ; la voix est déjà tout aussi charismatique ; l'interprétation déjà tout autant engagée, totalement. Un de ses très grands rôles, elle excellait dans ces personnages négatifs grâce à son investissement terrifiant. Par ailleurs son Abigaille n'est absolument pas antipathique ni agressive.
Pour trouver plus fou, il faudra se pencher du côté d'Elena Souliotis avec Gavazzeni (avec Gardelli, c'est nettement plus sage), mais on reste, avec une lecture plus imprécatrice et moins altière, dans le même registre et vocal et dramatique.
Vittorio Gui, chef admirable dans l'intégrale (en italien) de Parsifal qu'il nous a laissée, ménage ici aussi quelques coupures (cabalette d'Abigaille sans reprise...), et surtout révèle un spectre rythmique d'une vigueur dansante sans nulle autre pareille. De la tragédie lyrique, ni plus ni moins, mais avec l'aspect vindicatif d'un Verdi endiablé. Les moyens de prise de son nous privent d'une partie du spectre sonore (on entend beaucoup les parties graves de l'orchestre), mais n'altèrent pas la force et la rigueur de cette lecture. Dire qu'elle est extraordinaire n'est certes pas excessif, et c'est là ce qui doit avant toute considération motiver l'écoute.
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Autres enregistrements libres de droits sur Carnets sur sol.
Commentaires
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