Faux anglicisme
Par DavidLeMarrec, dimanche 2 août 2009 à :: Langue - En passant - brèves et jeux - Vaste monde et gentils :: #1330 :: rss
L'Ennemi est certes à nos frontières, mais si c'est l'Apocalypse, ce n'est pas toujours sa faute.
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Les frimeurs pédants adorent relever les errements d'orthographe ou d'usage de leurs semblables (la preuve). Et, accessoirement, les vaillants chargés de l'évangélisation l'alphabétisation des masses, de la maternelle à la faculté, insistent sur certaines déformations de notre bel idiome. Et pas forcément tous à mauvais escient, entendons-nous bien : un peu d'exactitude n'a jamais nui à personne.
Dans ce registre, on entend à tout bout de champ que l'oppression des peuples consiste dans le fait d'opprimer, et non d'oppresser une population. To oppress est en effet utilisé dans ce sens en anglais, et le Trésor de la Langue Française ne lui reconnaît pas officiellement cet emploi en français.
Pourtant, pourtant... voyez plutôt.
Il s'agit du serment de la conjuration de Fiesque, dans l'opéra d'Edouard Lalo. Vous entendez l'Orchestre National de Montpellier sous la direction d'Alain Altinoglu, ainsi que Roberto Alagna et Franck Ferrari pour les deux rôles les plus développés (respectivement Fiesque et Verrina). [Voir ici pour plus de détail sur l'oeuvre et sur Alagna.]
On entend nettement « Le tyran qui nous oppresse »... et l'oeuvre (premier opéra de Lalo, jamais représenté jusqu'à Montpellier 2008, qui n'était qu'une version de concert...) a été composée dans les années 1866-1868, à une période où la France était peu encline à se soumettre à l'impérialisme débridé de l'anglo-américain triomphant. La preuve, pas si longtemps auparavant (1843), Halévy proposait ceci (Charles VI, sous l'occupation anglaise de la France au début du XVe siècle) :
Le formidable Mathieu Lécroart (Raymond), puis Bruno Comparetti (le dauphin Charles), l'Orfeon Pamplones, Orchestre Français Albéric Magnard, le tout dirigé par Miquel Ortega. Compiègne, 10 avril 2005 (recréation mondiale).
On n'en est pas tout à fait à l'Entente Cordiale. En somme, le librettiste de Lalo, Charles Beauquier (d'après Die Verschwörung des Fiesco zu Genua de Schiller, sans doute via la pièce de Dumas), a utilisé le terme de façon figurée : les tyrans oppressent parce qu'ils font étouffer sous leur implacable pouvoir liberticide.
Bref, la confusion ou le sens double du mot n'ont pas eu besoin de l'anglais. Ce n'est peut-être pas si fautif que cela, puisqu'au sens figuré, oppresser se rapproche sensiblement de l'idée contenue par opprimer ; et si on veut absolument en bannir l'usage, inutile de mettre ça sur le compte d'une américanophilie déplacée.
Evidemment, il est certain que les journalistes imprégnés d'anglais commettent d'autant plus volontiers le crime de lèse-Richelieu, mais pour autant, ce n'est manifestement pas une explication tout à fait satisfaisante...
Commentaires
1. Le lundi 3 août 2009 à , par Morloch :: site
2. Le dimanche 16 août 2009 à , par DavidLeMarrec
3. Le mercredi 29 juin 2011 à , par tutti magazine :: site
4. Le jeudi 30 juin 2011 à , par DavidLeMarrec
5. Le jeudi 30 juin 2011 à , par tutti magazine :: site
6. Le jeudi 30 juin 2011 à , par DavidLeMarrec
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