Alma SCHINDLER-MAHLER - Autobiographie et publication du premier cahier de lieder (1910)
Par DavidLeMarrec, dimanche 30 août 2009 à :: Alma Schindler-Mahler - Poésie, lied & lieder :: #1346 :: rss
Suite à une conversation avec Jérôme en commentaires de la notule 'essai de discographie essentielle pour le lied', quelques précisions sur la nature de l'ouvrage autobiographique d'Alma disponible dans le commerce.
Accessoirement, son avis (sanglant) sur Schreker.


Oui, 'biographie', il est écrit...
La réponse en contexte se trouve ici. Je la reproduis sous forme de notule afin qu'on puisse éventuellement y accéder par le moteur de recherche de la colonne de droite.
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Alors, à propos d'Alma et de ses publications. Je suis allé voir dans Ma vie, qui n'est qu'un condensé assez médiocrement récrit et franchement superficiel de son journal intime (qui n'est manifestement pas publié). Ca rejoint du coup ce que nous disait Vartan sur l'affabulation : sa manière de raconter est franchement suspecte, en citant des bouts de son journal quand ça l'arrange. A la lire, on dirait un parangon de vertu (et qui aurait adulé Mahler jusqu'au bout - je n'ai pas vu dans ce que j'ai parcouru qu'elle ait raconté qu'elle avait demandé le divorce juste avant sa mort).
En réalité, elle survole tous les faits intéressants (sa psychologie, et surtout sur son versant créateur, ou à la rigueur son commerce détaillé avec les grands hommes qui l'entouraient) pour ne produire qu'un carnet mondain, où elle semble chercher à prouver qu'elle a connu tout le monde... et personne ne trouve grâce à ses yeux (sauf lorsque ça l'arrange comme pour Mahler, mais dans ce cas ce n'est même pas vrai...).
Elle met clairement le 'grand homme' au sommet des priorités, aussi bien dans sa conception du monde (le décès de Curie bien plus tragique que le tremblement de terre de San Francisco, parce que c'est un homme supérieur) que dans son choix de vie (sorte de muse infidèle et touche-à-tout).
On comprend mieux la répulsion au personnage (comme les leçons de morale de Françoise Giroud) chez ceux qui ont lu sa vie et pas écouté sa musique - qui ne traduit pas du tout la même chose.
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Est significatif à cet égard le portrait qu'elle fait de Schreker. Pas parce que c'est Schreker, mais parce qu'elle traite le personnage avec une condescendance vertigineuse... tandis qu'en fin de compte elle ne lui reproche strictement rien (contrairement aux autres qui sont précipités dans ces pages). Apparemment, celui-là ne lui aurait pas fait d'avances, mais elle le qualifie de poète doué mais très inabouti (quand on compare Schreker à Werfel, pourtant...), et se flatte de s'être séparée de son chemin à temps (?). Apparemment, le fait qu'il appartienne à la "classe pauvre" (son père et sa mère, de bonne famille, s'étant enfuis pour s'épouser) nourrit un peu son dédain.
Elle raconte même un peu n'importe quoi en parlant d'une dégénérescence de l'inspiration après son chef-d'oeuvre Der Ferne Klang (alors que Die Gezeichneten ont ensuite été très bien reçus, de même que Der Schatzgräber, même si le niveau d'inspiration n'est pas franchement identique passé le court Prologue). Elle parle, pour ces pièces postérieures à Ferne Klang, de charmants opéras, ce qui est quand même un qualificatif bizarre pour qualifier ce type de théâtre...
Toujours dans la même veine fielleuse et vaguement prétentieuse, elle rapporte qu'il aurait voulu lui dédier Der Spielwerk und die Prinzessin et que Kokoschka l'aurait défendu ; et surtout qu'il aurait supplié (!) Franz Werfel (le troisième mari d'Alma, donc) de lui écrire le livre d'Irrelohe. Requête rejetée en raison de la morbidité du sujet, berk.
A mon grand effroi, ça rejoint assez l'image donnée par Elias Canetti, d'une collectionneuse de trophées manipulatrice et aigrie... Bref, il vaut mieux lire la jeune Alma directement dans son journal, à l'époque où elle pouvait hésiter entre 'Alex' Zemlinsky et l'étranger fascinant Gustav Mahler, en se jugeant et sans les juger...
Donc La Grange est infiniment plus objectif - pas du tout complaisant avec Mahler d'ailleurs, contrairement à Alma - et instructif, notamment grâce à ses citations du journal intime d'Alma, en faisant même un crochet par ses compositions... Il manque bien sûr des choses puisque son sujet est Gustav, mais ce dont on dispose est précis, évocateur, relativement abondant... et plus sympathique que ce qu'elle donne elle-même à connaître !
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Pour ce qui nous concerne, sur les lieder. Pas de mention sur l'accueil de ses publications (manifestement, elle fait un choix délibéré pour se faire une place dans l'Histoire qui n'est pas celui de la compositrice géniale...).
En revanche, ce qu'elle raconte est saisissant. A Toblach, en 1910 (année de la parution du premier des trois cahiers publiés), elle entend Mahler jouer ses lieder, et il vient lui dire en prenant sa part de culpabilité que c'est absolument merveilleux (elle cite ceci : "Qu'ai-je fait ! Ce que tu as composé est excellent !"), qu'il faut chercher dans ses archives pour en publier un petit groupe. C'est donc bien lui qui lance l'affaire (on se doutait bien qu'il fallait son assentiment, vu l'engagement pris), mais pas simplement par complaisance en sachant qu'elle ne deviendrait plus compositrice, c'est apparement, si on la croit (et sur ce sujet elle n'a pas spécialement lieu de mentir vu sa stratégie générale), par réel enthousiasme.
Ce qui est très intéressant, c'est que cela signifie que les lieder de 1910 sont vraiment des lieder de prime jeunesse, composés avant son mariage ! Quand on voit leur modernité - et, concernant Die stille Stadt et Laue Sommernacht, la densité ininterrompue de leur inspiration, ça laisse rêveur sur ce que nous avons perdu...
Alma est peut-être bien le seul compositeur, avec Schubert, où l'arrêt de la composition me fait vraiment miroiter une tragédie pour l'histoire du patrimoine musical. Il y en a certains sur lesquels on peut spéculer, comme Rott, Lekeu ou Lili Boulanger, mais sans disposer réellement d'une envergure décisive à l'heure où leur mort les a interrompus ; il y en a d'autres dont on sait qu'ils auraient poursuivi une carrière exceptionnelle, comme Mozart (c'est vrai que Mozart en 1805, on donnerait cher pour entendre ça...). Mais de ceux dont on a la certitude que quelques jours d'écriture de plus auraient produit une avalanche d'Everest musicaux nouveaux, même Chopin, finalement, il n'est pas sûr qu'il aurait encore tellement dépassé le point où il avait amené l'innovation musicale...
Voilà pour les nouvelles du front schindlerien !
Commentaires
1. Le dimanche 30 août 2009 à , par jerome
2. Le dimanche 30 août 2009 à , par DavidLeMarrec
3. Le dimanche 30 août 2009 à , par jerome
4. Le dimanche 30 août 2009 à , par DavidLeMarrec
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