Plácido Domingo en baryton : Simone Boccanegra (Verdi)
Par DavidLeMarrec, jeudi 29 octobre 2009 à :: Disques et représentations - Portraits - Opéra romantique et vériste italien :: #1393 :: rss
Manière de contenter la part la plus glottophile du public de CSS, on en dit deux lignes, puisque dans les mois à venir, les rubriques musicales des journaux vont être tout entière emplies de commentaires sur le sujet. Comme cela, ce sera fait.
Et ce sera aussi une manière de portrait, finalement, en ce glorieux crépuscule.
Une fausse nouveauté.
Domingo n'en est pas à son premier essai, puisqu'il a débuté, tout le monde le sait, dans un petit rôle de baryton dans la troupe de zarzuela de ses parents. Il a aussi laissé un Figaro (du Barbier de Rossini) au disque, dans le second studio de Claudio Abbado. Assez pâle, ne serait-ce que parce que la voix manquait de tension dans cette tessiture.
Beaucoup d'autres chanteurs ont pu changer de tessiture, et en particulier devenir ou redevenir baryton, au premier rang desquels Ramón Vinay qui a hésité toute sa carrière, avec une tessiture et une couleur réellement intermédiaire. Il a donc aussi bien chanté (à tous les sens du terme) Otello (ténor dramatique) que Iago (baryton aigu mais sombre) dans le même opéra de Verdi.
Etat des lieux.
Sa forme vocale, même si le la3 lui devient de plus en plus difficile, est épatante, d'autant qu'il serait vraisemblablement né cinq ans plus tôt que la date officielle (1936 au lieu de 1941), ce qui le fait débuter très tôt et terminer à plus de soixante-dix ans, dans une forme vocale amplement plus qu'honorable.
Certes, ces dernières années (à partir de 2005, disons), ses aigus se sont doucement amoindris, jusqu'à devenir difficiles vers 2008, et désormais le sol3 tenu lui demande un petit effort, ce qui le fait objectivement barytonner.
Bilan
Cependant, quoi qu'il advienne désormais, il demeure le chanteur de tous les temps qui a chanté le plus de rôles (plus de 110), dans une très large part des langues opératiques (y compris le hongrois et le coréen) - même s'il doit lui manquer le lithuanien et le slovaque.
De surcroît, en tant que double directeur d'opéra, il a contribué au renouvellement du répertoire étriqué nord-américain.
Promoteur de talents avisé, aussi.
Et on ne parle même pas de ce qu'il produit comme chef d'orchestre (jusqu'à assumer des créations...), avec de très beaux élans lyriques et une attention sensible aux solistes.
Le style de Domingo
Il est vrai que s'il a régné sur le 'grand répertoire' italien, puis sur Wagner ces vingt dernières années, il a chanté chaque langue avec le même accent, les mêmes voyelles, la même couleur, faisant fi des spécifités de chacune, et dans un style très 'international'. Il est en quelque sorte le symbole du meilleur de ce chant des années 70-80, qui se cherche après l'abolition des écoles nationales : alors qu'on chantait dans sa langue maternelle des oeuvres devant le public qui les comprenait, on devait chanter en langue originale devant des publics qui la comprenaient pas. Cela peut sans doute expliquer en partie le développement de ce style vaillant, braillard et opaque propre à ces années-là . Ce problème demeure, mais les techniques plus proches de la voix naturelle des baroqueux ont apporté un souffle d'air frais sur les questions de diction.
Car si Domingo chante certes toutes les langues en espagnol et tous les opéras en style verdo-vériste, il le fait avec un feu permanent, un investissement de chaque instant.
C'est aussi l'expression d'un tournant dans les goûts du public : on aimait chez les Italiens les voix plus limpides, plus agréablement timbrées, alors que celle-ci respire l'effort permanent. Et il est vrai que cette impression d'effort malsain participe désormais du plaisir de l'auditeur d'opéra, finalement, même s'il fait frémir les professeurs de chant et les amis du belcanto.
Et ce Simon Boccanegra ?
Sans surprise. La tenue vocale est toujours excellente, le chant toujours habité. Néanmoins, le fait que la tessiture soit très confortable pour lui qui chantait encore Adorno au début des années 90 et Otello dans les années 2000, ôte à l'électricité qui fait à la fois le relief d'un rôle verdien (en particulier de baryton, les basses et les ténors peuvent être plus aisants), et la spécificité de Domingo.
C'est donc très loin d'être une incarnation de Boccanegra de référence, on peut trouver amplement mieux sur les scènes... mais c'est néanmoins amplement plus que correct, et considérant son âge et sa tessiture de départ, on ne peut qu'être admiratif du résultat parfaitement professionnel et plutôt inspiré.
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C'est pourquoi il ne faudra croire ni les hommages un peu sensationnalistes de la presse généraliste, qui saluera le monument, ni les remarques acrimonieuses qui ont déjà débuté chez les glottophiles passionnés, qui regretteront que Domingo ne soit pas aussi intensément génial que d'habitude (ce qui est bien sûr scandaleux non mais ho il se croit où).
Heureusement qu'il est possible d'être informé grâce aux revues sérieuses. Lisez Carnets sur sol et consommez cinq fruits et légumes par jour.
Commentaires
1. Le samedi 31 octobre 2009 à , par lou :: site
2. Le dimanche 1 novembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
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