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dimanche 24 janvier 2010

Henrik IBSEN - Les Prétendants à la Couronne : espièglerie, grandeur et pathétique


1. Contexte succinct

Cela fait quelque temps que j'avais l'envie de fournir un petit extrait d'une oeuvre très mal connue et pourtant extrêmement inspirée d'Ibsen. Elle est de toute évidence, pour des raisons que je n'irai pas développer aujourd'hui, une réplique, presque un pastiche, du Hakon Jarl hin Rige (1805) d'Adam Gottlob Oehlenschläger ; il s'agit d'une lutte à mort pour le trône de Norvège, entre deux principes moraux opposés (celui qui s'égare dans la hiérarchie des valeurs, commet un forfait puis doute, est détruit). L'introduction du christianisme en Norvège pour Oehlenschläger (histoire d'Olaf Ier, à la fin du Xe siècle), qui avait précédemment consacré un poème épique au sujet ; la dispute de filiation de Håkon Håkonsson avec Skule Bårdsson pour Ibsen (histoire de Håkon IV, XIIIe siècle). On y retrouve les mêmes structures, les mêmes thématiques, de façon frappante. Et chacun s'inspire bien entendu de l'Histoire des rois de Norvège de Snorri Sturluson.

Chez Ibsen, on trouve (un demi-siècle plus tard, en 1863) en sus les préoccupations qui marquent toute son oeuvre.

Dans cet extrait du troisième des cinq actes (certains divisés en deux tableaux), on en verra plusieurs.
Les tours de passe-passe assez apparentés au vaudeville (la lettre du père Trond contient sa confession sur la paternité réelle de Håkon).
On y voit aussi le grotesque que peut revêtir le tragique le plus intense - une distanciation que ne connaissait pas Oehlenschläger en 1805 (où l'humour est simplement un allègement qui ne met pas le sérieux tragique en péril), mais qui apparaît plus nettement dans Correggio en 1808 (le grotesque y a un impact tragique sur l'action, avec un ton moins divertissant, il est vrai). La mort de l'évêque Nicolas est à la fois un pivot du drame (qui met à feu et à sang le pays, qui fait de Skule un Macbeth au grand coeur) et un moment de franche rigolade.

L'omniprésence religieuse s'y perçoit aussi, et toujours entourée de ce terrible scepticisme : comme si Ibsen regrettait de ne pouvoir croire. L'évêque Nicolas revient en effet au dernier acte, alors qu'il est mort, pour parler à Skule d'une façon mi-terrifiante (car il ne s'agit pas d'une hallucination dans le texte), mi-divertissante (à cause du caractère toujours un peu misérable de cet abbé machiavélique et petit bras).

Et toujours la question de la volonté, de la sûreté en soi, de la morale vertigineuse, avec des personnages qui, sous la pression d'un dévoilement, se révèlent à eux-mêmes tout en s'effondrant.

A cause de son sujet historique grandiose, de son souffle moins quotidien qu'à l'habitude, mais toujours de la même profondeur de vue sur les psychologies, et aussi à cause de son humour vraiment divertissant, c'est à mon sens l'un des plus grands Ibsen. Et aussi l'un de ceux qui tiennent le mieux la lecture.

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2. L'extrait

Je propose ici un extrait de l'antique traduction de Jacques Trigant-Geneste, libre de droits.

Rappel rapide : Håkon (on l'écrit sans le rond en chef en danois et généralement en français, alors que le norvégien bokmål employé par Ibsen l'utilise) est le roi légitime, dont on doute de la filiation, doté d'une confiance inébranlable en soi ; Skule est l'autre prétendant, le grand féodal qui le pense bâtard et s'estime légitimement maître de la Norvège. Tout le drame est centré sur le Jarl Skule, qui est cependant celui qui a tort. Procédé de focalisation négative commun au théâtre depuis longtemps (dans Hakon hin Rige, mais aussi dans El Burlador de Sevilla...), moins sans doute dans le roman à cette date.

Alors que Hakon Jarl hin Rige d'Oehlenschläger a été indirectement adapté par Hjalmar Borgstrøm (Thora på Rimol comporte en effet des détails qui ne sont pas chez Sturluson) - et avec quelle inspiration ! - on peut regretter qu'il n'en ait pas été de même pour ces Kongs-Emnerne d'Ibsen, qui auraient constitué un formidable sujet, un drame débordant d'effets et d'affects, admirablement huilé.

Au passage, vous noterez un jeu inhabituel chez Ibsen : ici le lecteur sait le dessein de l'évêque Nicolas que les autres ne semblent comprendre qu'avec difficulté - les monologues et surtout la connaissance de toute une âme sont rares chez Ibsen (tout simplement parce que les personnages s'abusent ou se mentent à eux-mêmes, et s'égarent en permanence), il s'agit vraiment en l'occurrence de nourrir un procédé comique de quiproquo (sur un sujet sérieux).

C'est l'une des plus belles représentations de la mort que j'aie lues, je crois.

L'EVEQUE NICOLAS
... Et les puissances d'En-Haut me demande à moi, misérable moitié d'homme, ce qu'on est en droit d'exiger seulement de l'être qui a reçu en partage assez de force pour accomplir l'oeuvre de sa vie ! Il fut un temps où je ne me sentais pas le courage de le leur reprocher. Je suis resté sur mon lit de douleur torturé par la crainte du jugement et de la peine ; j'ai aujourd'hui chassé de mon esprit un pareil sentiment. Dans le squelette de mon âme circule une moëlle nouvelle ! Je ne suis pas un pécheur ; je revendique le nom de victime ; je me pose en accusateur.

LE DUC SKULE, d'une voix étouffée
Monseigneur ! La lettre ! Vos instants sont comptés !

Suite de la notule.

Le Sette Chiese de Bruno MANTOVANI et Rituel de Pierre BOULEZ à la Cité de la Musique


Voir à la fin de la notule pour une liste de liens sur CSS autour des deux compositeurs.

Je reproduis ici le commentaire que je laisse sur chaque concert, sous cette notule, puisqu'il y est plus question que de coutume des oeuvres, et qu'on lira peut-être moins de commentaires à ce sujet que pour tel autre spectacle.

Soirée 23 : Le Sette Chiese de Bruno Mantovani et Rituel de Pierre Boulez

Première oeuvre par l'Ensemble Intercontemporain, seconde par l'Orchestre du Conservatoire de Paris, le tout à la Cité de la Musique.

(Samedi 23 janvier 2010.)

Un concert dont le programme semblait conçu à mon intention, et que je ne voulais absolument pas manquer.

Dans les faits, j'y ai vu un point d'orgue à mon progressif détournement de la musique contemporaine : que de complexités, que de moyens, que d'efforts de concentration pour un résultat tellement moins exaltant qu'une danse simple, qu'un chant dépouillé.

Il n'empêche, cela dit, que c'était un très beau concert, et Le Sette Chiese valaient vraiment d'être entendues, l'exécution était vraiment aussi réussie que la création par Jonathan Nott (l'un des dédicataires de l'oeuvre) à Strasbourg en 2002. (Je n'aime pas trop la sècheresse un peu rectiligne de la version Mälkki parue au disque.)
Les notes de programme permettent de mettre un programme assez précis sur cette musique, qui ôte à sa force poétique (les embouteillages stylisés du début), mais lui donne aussi du sens et du relief.
J'ai été frappé, comme j'ai déjà pu le dire, par la qualité des transitions timbrales, et par une variété, une poésie des textures. De beaux motifs très peu mélodiques mais très mémorisables, également : en particulier pour la première moitié de la quatrième section, l'évocation de la Basilique du Sépulcre, avec ses motifs descendants à grands intervalles consonants, distribués aux pianos en antiphonie.
Mantovani tire toujours aussi de très beaux effets de l'infratonalité (quarts de ton pour la deuxième section consacrée à l'église de saint Jean-Baptiste) et de l'usage des clarinettes.

La seconde partie de l'oeuvre connaît un certain nombre de longueurs, et aussi de duretés (les tutti sont assez bruyants à cause de la générosité en percussions), mais on entend tout de même une longue cadence pour trois percussionnistes (en grande partie sur les woodblocks qu'adore Mantovani, et moi aussi) à l'aspect déhanché, frénétique et invocatoire qui fait assez penser à un final de la Quatrième Symphonie de Nielsen... à la longueur décuplée.
La récapitulation finale des idées des sections précédentes est également réussie, on senti d'ailleurs très bien venir la fin, preuve que la construction en reste relativement intelligible - et le tout s'éteint avec une pulsation décalée entre violoncelle et alto, à la façon du souvenir s'effaçant de cloches.

L'effectif est assez limité (un instrument de chaque, à peu près, plus six instrumentistes surélevés en arc de cercle - et les trois percussionnistes au fond), et remarquablement utilisé ; clairement, quelqu'un qui sait écrire. Je serais très curieux d'entendre ses pastiches, parce qu'avec une telle maîtrise du matériau, il pourrait peut-être bien dépasser les originaux - en tout cas en matière d'orchestration !

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Venait ensuite Rituel de Boulez.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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