Scribe plus grand que Racine, Robert plus fort que Phèdre
Par DavidLeMarrec, dimanche 4 décembre 2011 à :: Citations passantes - Opéra romantique français et Grand Opéra :: #1876 :: rss
Ensuite ils prièrent [Mme Bordin] de leur désigner un morceau.
Le choix l’embarrassait. Elle n’avait vu que trois pièces : Robert le Diable dans la capitale, le Jeune Mari à Rouen, et une autre à Falaise qui était bien amusante et qu’on appelait la Brouette du Vinaigrier.
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet (1881), chapitre V (celui dévolu à la littérature).
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Voilà un extrait à ajouter dans la notule consacrée à l'impact de Robert le Diable dans la culture européenne.
Dans le village de Chavignolles, cette veuve, propriétaire de terres, qui ne songe qu'à obtenir la parcelle des Écalles par tous les moyens, n'a vu qu'une seule pièce de théâtre "sérieuse" et à Paris : Robert le Diable (nous sommes dans les années quarante du XIXe siècle, elle a donc dû assister à une représentation des premières années). Moment éclairant sur l'aspect absolument central de cette oeuvre dans la culture lyrique, musicale et théâtrale française.
La juxtaposition saugrenue avec le commentaire positive sur La Brouette du Vinaigrier ne fait qu'accentuer l'impression que cette oeuvre appartenait à la culture commune, et que chacun, du moins au delà d'une certaine élévation sociale, était susceptible de la voir, quand bien même il n'aurait eu aucune idée des règles et enjeux qui y sont mis en oeuvre.
Plus encore, Mme Bordin découvre juste avant ces lignes Phèdre de Racine, et affirme immédiatement après notre extrait « on sait ce qu'est un Tartuffe » - sans avoir, manifestement, lu la pièce. Aussi, Robert (avec tout ce que cela peut contenir de moqueur évidemment) constitue ici la seule référence littéraire, et de façon plausible, dans le domaine du théâtre de prestige. Voilà qui est frappant (à défaut de prouver quoi que ce soit) sur sa place singulière - les auteurs utilisent récurremment Robert comme le type même de la pièce à succès que tout le monde va voir. Et c'est rarement fait avec une grande tendresse, d'abord pour les besoins des oeuvres (l'opéra n'y étant qu'un lieu ou une référence qui sert de support à l'intrigue), mais aussi en raison du statut de référence académique de Meyerbeer, déjà considéré de son vivant (et malgré son succès démentiel) avec circonspection, représentant l'ordre établi (alors même que les livrets de Scribe sont assez subversifs par certains aspects) - ce qui n'est jamais très sympathique à des romantiques.
Bref, une citation qui confirme, l'air de rien, la place singulière de Robert dans l'imaginaire collectif.
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Au passage, les ressources de la recherche numérisée permettraient d'opérer, d'une façon peu coûteuse en temps, une recherche à large échelle pour mesurer la façon dont l'oeuvre resurgit dans les textes du temps et d'après.
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Pour prolonger :
- Fortune de Robert le Diable ;
- Robert le Diable chez Rodenbach et Korngold ;
- Enjeux de mise en scène dans Robert le Diable ;
- La carrière de Meyerbeer ;
- Les causes du mépris actuel pour Meyerbeer.
Commentaires
1. Le dimanche 4 décembre 2011 à , par T-A-M de Glédel
2. Le dimanche 4 décembre 2011 à , par DavidLeMarrec
3. Le lundi 5 décembre 2011 à , par Guillaume
4. Le mercredi 7 décembre 2011 à , par DavidLeMarrec
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