Capriccio de Strauss à l'Opéra Garnier (Carsen, Jordan, Kaune, 2012)
Par DavidLeMarrec, lundi 10 septembre 2012 à :: Saison 2012-2013 - Vienne décade, et Richard Strauss :: #2071 :: rss
Pour les considérations sur l'oeuvre elle-même et sur la mise en scène de Carsen, je renvoie à la notule précédente.
Pour ce qui est de l'écume des jours et des représentations, voici :
=> L'inconfort de Garnier empêche vraiment de goûter pleinement au spectacle : dans les replis des loges tendues de tissus épais, les chanteurs paraissent (auditivement) assez lointains, même si l'impact physique demeure raisonnable ; et les douleurs physiques (selon les endroits, genoux en sang, dos torturé, voisins envahissants...) rendent la fin du spectacle au moins aussi souriante que le spectacle lui-même.
=> L'oeuvre est saisissante par son propos, qui fait très habilement (et assez complètement) le tour de la question du rapport texte-musique, sans rien trancher. En revanche, en tant que théâtre musical, elle n'atteint pas, à mon avis, l'aboutissement d' Arabella pour son versant lyrique, ni d'Intermezzo pour son aspect conversationnel.
La fragmentation extrême du discours, les citations très fugaces (à l'opposé du théâtre à leitmotive, finalement), les lignes peu mélodiques rendent l'ensemble un peu aride. En réalité, je crois que dans Capriccio, je suis avant tout fasciné par le texte, et assez peu par la musique. Même l'octuor ou la scène finale me paraissent être des reflets minorés de modèles déjà écrits - la tirade de l'escalier des Waldner servant de modèle évident au monologue de la Comtesse, par exemple.
D'une manière générale, l'oeuvre, bien que de très haute facture, me paraît inférieure à la plupart des autres Strauss sur le plan musical (pour le livret, clairement, il en va autrement, surtout si l'on considère la période post-Hofmannsthal !).
=> Malgré tous les mérites que je détaillais pour la mise en scène de Carsen, je ne suis pas plus convaincu qu'en vidéo : cela manque de direction d'acteurs, de présence, de nerf. Même si les décors sont somptueux, les maladresses et les vides empêchent le drame de prendre pleinement. Cela reste une mise en scène très belle visuellement, assez impressionnante conceptuellement, et plutôt opérante en général ; mais pour une oeuvre qui convenait tant à Carsen et qui dispose d'un débit si naturel, j'aurais espéré, je le confesse, un peu davantage.
=> Vocalement, on est à la fête.
Rien que le choix de Jérôme Varnier en Haushofmeister en dit long sur le soin de la distribution ! On n'en a pas de cette stature tous les jours, capables de l'élever au rang des personnages principaux.
Bo Skovhus (le Comte) est sans doute le moins convaincant vocalement (avec sa voix très projetée, mais sèche et sans legato), mais sa composition scénique de philosophe bourru fonctionne très bien, beaucoup plus abouti de ce point de vue que Henschel dans la précédente série (qui avait d'autres qualités de chant).
Michaela Schuster (la Clairon) m'a étonné par sa toute petite voix, elle qui chante avec succès les très grands mezzos dramatiques sur les meilleures scènes ! Je suppose que le rôle devait être trop grave pour elle. Alors que son chant son terne et court dans cette tessiture, elle se révèle en revanche une diseuse extrêmement impressionnante, sa voix parlée étant bien plus belle, timbrée et projetée que sa voix chantée ! Elle incarne ainsi parfaitement la grande tragédienne dont le génie éclate au détour d'une scène improvisée dans un salon.
Peter Rose (La Roche) ne m'avait jamais convaincu jusqu'ici (en retranmission). Dans la salle, la qualité de l'assise grave et la facilité du grain sonore impressionnent beaucoup. C'est un La Roche plein de facilité et de naturel qu'on entend ici.
J'attendais beaucoup Michaela Kaune (la Comtesse Madeleine), que j'avais tant admirée, que ce soit en français (Freischütz berliozien), en allemand (Der arme Heinrich de Pfitzner) ou dans le lied - son récital Schumann est l'un des plus beaux disques de lied que j'aie jamais entendus. La voix "criaille" légèrement en début de soirée, et la diction n'est pas tout à fait nette, mais la beauté de la voix et la qualité de phrasé compensent cela ; au fil de l'oeuvre, l'instrument gagne en facilité, et, la tessiture s'élevant, les aigus suspendus, dynamiques, radieux et doucement vibrés évoquent assez la technique Mattila (parenté que je n'avais jamais remarquée). Le lyrisme de la scène finale lui sied particulièrement bien. Grande chanteuse.
Le meilleur se trouvait pour moi dans le couple des créateurs. Adrian Eröd (Olivier) n'a pas une large voix, mais la qualité du timbre et la précision de l'articulation évoquent immédiatement le liedersänger, qualité tout de même délectable pour un personnage de poète. Quant à Joseph Kaiser (Flamand), il faut une fois de plus le voir triompher avec sa voix limpide et sa douce éloquence coutumières.
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En somme, une bonne soirée, mais je suppose qu'orchestre et chanteurs devraient devenir plus mobiles, comme à l'habitude, au fil des représentations. Ce naturel et cet entrain étant précisément ce qui manquaient un peu samedi soir, je gage que la fin de série devrait être particulièrement exaltante !
Commentaires
1. Le mercredi 12 septembre 2012 à , par Jules Biron
2. Le mercredi 12 septembre 2012 à , par DavidLeMarrec
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