Les plus belles oeuvres de KURTÁG György par le Quatuor Keller
Par DavidLeMarrec, samedi 22 septembre 2012 à :: Musicontempo - Quatuor à cordes - Saison 2012-2013 :: #2079 :: rss
Les oeuvres
L'oeuvre de Kurtág constitue un univers de miniatures assez fascinant, dont on a déjà évoqué (par touches, comme il se doit), quelques aspects :
- 0
- 0,75 - Début biographique, usage et prononciation, notoriété
- 1 - Démarches musicales de jeunesse
- 2 - Bartók
- 3 - Années d'apprentissage
- 4 - 'Titres'
- 5 - Identité sonore,6,7).
- Les Microludes (et la version Avanti!)
- Hipartita
- Kafka-Fragmente (je croyais avoir commenté la représentation et les trois versions du commerce, mais apparemment pas...)
- Trois de ses quatre quatuors "longs", et son trio avec piano figurent dans les palmarès korrigans.
Si l'univers de Kurtág est toujours fascinant (sauf, en ce qui me concerne, pour la musique orchestrale, où il perd beaucoup de la précision et de la densité qui font tout son charme), son caractère éparpillé rend difficile la distinction de pièces particulières : on l'entend toujours par grappes. C'est sans doute pourquoi les ensembles constitués par le compositeur lui-même sont ceux qui ont le plus de force.
Quatre de ses oeuvres me paraissent planer assez haut au-dessus du reste du corpus : le Premier Quatuor Op.1, rarement donné, et trois oeuvres relativement célèbres, les Douze Microludes Op.13 (son deuxième quatuor), Hommage à R. Sch. Op.15d (trio pour clarinette, alto et piano) et Officium breve in memoriam Andreae Szervánszky Op.28 (troisième quatuor). Que des petits cycles de musique de chambre.
Or, la Cité de la Musique programmait, en une soirée, les meilleurs défenseurs au disque de la musique de Kurtág dans deux de ces oeuvres majeures. L'oeuvre de Kurtág, toute de micro-événements, de références évocatrices au folklore ou à la musique de ses prédécesseurs ou amis, mais extrêmement fugaces et déformées, demande d'être pleinement réceptif au moment de l'exécution : un instant d'inattention, et on rate un « mouvement » entier. Sans le support visuel, l'atmosphère et l'impact physique du concert, ces oeuvres perdent beaucoup de leur pouvoir de suggestion, on les admire (au disque), mais on peut plus difficilement revivre l'émotion très particulière qui s'en dégage.
Comme il y avait dix ans que je n'avais pas entendu Officium breve en concert, et un peu moins pour Microludes, inutile d'exprimer mon entrain, d'autant que de nombreuses pièces isolées pour quatuor, certes relativement mineures à part Aus der Ferne V (d'après un poème de la Tour de Hölderlin, dont l'univers à cette période est particulièrement congruant avec l'esprit de Kurtág), étaient programmées, si bien que la proportion Kurtág devait être un peu supérieure à celle de Bach.
Entendre la confrontation de ces deux « grands » cycles était particulièrement éloquent : à l'aphorisme absolu, très webernien, des Microludes, sorte de collection de gestes et de pensées fugaces, s'opposent les sections très homophoniques et évocatrices (qui du folklore, qui des prédécesseurs) d'Officium breve. Le premier s'apparente à une suggestion de points, assez visuelle, alors que le second a quelque chose de plus rémanent, comme une odeur ou une saveur qui se change en souvenir.
Le compagnonnage Kurtág-Keller(-DLM)
Pour l'anecdote, il me semble que les Microludes par les Keller ont été l'un des tout premiers (sinon le premier) extraits musicaux mis en exemple sur CSS.
En entendant pour la première fois en salle ce quatuor fameux (et admirable), le seul à avoir enregistré une véritable intégrale (puisqu'ils ont adopté les nouveaux titres, tandis que les Arditti n'ont pas pu le faire, au moins au disque), et parmi les plus beaux défenseurs de cette musique (András Keller ayant au passage enregistré deux des trois versions des Kafka-Fragmente), je suis frappé par la pureté absolue (jusqu'au 'métal') du son : la plupart des notes sont droites, mais incroyablement sonores, il semble que chaque membre du quatuor, et quelle que soit la nuance ou le mode de jeu, puisse tirer le maximum de résonance de chaque corde. Je n'avais jamais entendu ce phénomène à un degré aussi hallucinatoire.
Je n'ai peut-être pas retrouvé une émotion aussi dévastatrice que pour l'Officium breve du Quatuor de Jérusalem, dont l'arche générale semblait plus cohérente, moins sensible à la fragmentation des vignettes, mais c'était la première fois que j'entendais l'oeuvre, mémoire magnifiée par les ans. Mais l'interprétation des Keller qui semble nourrie de résonances de la terre hongroise et expliciter chaque recoin de l'oeuvre n'en est pas moins phénoménale. Quant aux Microludes, ils confirment leur rang de princeps, chaque détail faisant sens, sans renfort d'intensité artificiel.
Je crois qu'il s'agit vraiment, et à plus forte raison par des artistes aussi conscients de ce qu'ils jouent, d'une porte d'entrée assez royale dans l'univers de la musique atonale / contemporaine / abstraite.
Et aussi un peu de Bach
Ce n'était pas non plus une découverte, les Keller jouent très bien Bach et en particulier l'Art de la Fugue. Lecture assez "positive" de ces pièces, en particulier pour le contrepoint 4 évidemment, qui peut acquérir une ampleur symphonique assez impressionnante dans le contrepoint 11. Canon 14 assez fascinant également, eu égard aux qualités exceptionnelles d'András Keller (premier violon) et de Judit Szabó (violoncelle) et à la lisibilité extrême des jeux de miroir.
La limite tient davantage au principe de l'exécution pour quatuor : la segmentation trop nette des lignes empêche quelques belles interactions, et le milieu du spectre n'est pas forcément tellement plus lisible que sur clavier.
Mais je ne suis pas une référence en la matière, mis à part quelques adaptations fantaisistes, j'écoute quasi-exclusivement Bengt Tribukait sur le Cahman de Leufsta Bruk (1728), chez Musica Rediviva, pour sa luminosité très optimiste et son sens de la danse. Pas vraiment d'aspect théorique, expérimental ou sentencieux ici, ni d'aboutissement quasi-funèbre : quelque chose de presque primesautier, qui est en tout cas très communicatif, avec de superbes détachés qui rendent les plans du contrepoint très lisibles.
Récapitulatif du programme
Johann Sebastian Bach
Contrepoint n°1 de l'Art de la fugue
Contrepoint n°2 de l'Art de la fugue
Contrepoint n°3 de l'Art de la fugue
Canon n°15 de l'Art de la fugue
György Kurtág
12 Microludes pour quatuor à cordes, op. 13 (hommage à Mihály András)
Johann Sebastian Bach
Contrepoint n°4 de l'Art de la fugue
Contrepoint n°6 de l'Art de la fugue
Contrepoint n°9 de l'Art de la fugue
(Entracte)
György Kurtág
Secreta
Ligatura Y
Hommage à J.S. Bach
Perpetuum Mobile
Johann Sebastian Bach
Canon n°14 de l'Art de la fugue
György Kurtág
Aus der Ferne V
Johann Sebastian Bach
Canon n°17 de l'Art de la fugue
Contrepoint n°11 de l'Art de la fugue
György Kurtág
Officium Breve in memoriam Andreae Szervánszky op. 28
Johann Sebastian Bach
Contrepoint n°18 de l'Art de la fugue
György Kurtág
Ligatura "Message to Frances-Marie" op. 31/b
Croisé avec plaisir deux institutions de la toile concertivore, qui semblaient au bas mot aussi enthousiastes. Malgré quelques flottements dans l'attention de la partie du public qui était venu pour l'Art de la Fugue, il était un plaisir de voir une autre partie (assez nombreuse) attendre sa ration de Kurtág. On ne voit pas ça tout les jours en dehors des grandes capitales culturelles... (Mes dernières expériences avaient été entrecoupées par les soupirs vaguement désespérés ou les coups d'oeil entendus de mes voisins, sans malice de leur part.)
Commentaires
1. Le samedi 22 septembre 2012 à , par Joël :: site
2. Le samedi 22 septembre 2012 à , par Ugolino le Profond
3. Le dimanche 23 septembre 2012 à , par DavidLeMarrec
4. Le dimanche 23 septembre 2012 à , par Ugolino le Profond
5. Le dimanche 23 septembre 2012 à , par Joël :: site
6. Le dimanche 23 septembre 2012 à , par DavidLeMarrec
7. Le dimanche 23 septembre 2012 à , par Ugolino le Profond
8. Le dimanche 23 septembre 2012 à , par Joël :: site
9. Le mardi 25 septembre 2012 à , par 808
10. Le mercredi 26 septembre 2012 à , par DavidLeMarrec
11. Le vendredi 28 septembre 2012 à , par Joël :: site
12. Le vendredi 28 septembre 2012 à , par klari :: site
13. Le samedi 29 septembre 2012 à , par David Le Marrec
Ajouter un commentaire