Lexicologie (2)
Par DavidLeMarrec, mercredi 15 octobre 2014 à :: En passant - brèves et jeux - Vaste monde et gentils :: #2539 :: rss
Trompeusement dépaysant, cette fois.
Dans le journal des Matins de France Culture le 14 octobre, reportage d'Omar Ouahmane, correspondant permanent à Beyrouth.
Pourtant, il était tôt, j'étais pressé… mais en entendant ça, j'ai été frappé : toutes les expressions semblent provenir (exaltation par la proximité du terrain aidant, je suppose) des actualités de guerre… d'il y a longtemps.
Les ennemis cruels qui veulent « resserrer l'étau pour achever dans un bain de sang cette bataille », « surpris » car il n'avaient « pas compté », dans cette « zone stratégique », sur les « raids aériens de plus en plus précis » et, au sol, les « contre-attaques meurtrières » dues « au courage et à la détermination des combattants des Unités de Protection du Peuple » « résolus à se battre jusqu'à la première balle ».
On se croirait dans ces journaux de bonnes nouvelles qui racontaient toujours des victoires (ou des résistances héroïques et autres replis stratégiques astucieux et très temporaires) ; pas tant dans le contenu (qui évoque bien l'encerclement de la ville) que dans les mots utilisés, qui prennent très nettement non seulement le parti d'un camp (ce qui, en l'occurrence, peut se comprendre) mais expriment de surcroît davantage des espérances que des informations.
J'étais déjà dubitatif, lors de la guerre en Afghanistan de 2001, sur son automaticité et sa légitimité, du moins par rapport à nos standards habituels — renverser un régime parce qu'un terroriste a élu domicile dans son pays, on ne l'a pas fait pour des nuisances beaucoup plus sérieuses et structurelles, en s'appuyant justement sur la sacralité de la souveraineté.
De même ici, l'insistance à nommer, chez les meilleurs spécialistes, terroristes des combattants réguliers (manifestement auteurs de crimes de guerre, voire de crimes contre l'humanité, mais qui ne répondent pas à la définition du terrorisme), le refus obstiné d'appeler État un territoire contrôlé par une armée et un semblant d'administration (même s'ils nous déplaisent plus que farouchement), de se contenter de désigner comme barbares marginaux un groupe qui semble tout de même relativement large (et non dépourvu d'amis) rappelle à quel point, même dans une démocratie pacifique et vraiment pas nationaliste, il est facile d'être intoxiqué par la propagande de guerre.
Et là , franchement, en entendant les prêches de journaux de qualité qui annoncent que grâce à leur dévouement et à leur juste cause, nos alliés désarmés vaincront une armée riche et solidement fournie, on a l'impression de revivre des époques qu'on n'a pourtant pas vécues.
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