Charles GOUNOD — Cinq-Mars : résurrection !
Par DavidLeMarrec, jeudi 12 février 2015 à :: Opéra romantique français et Grand Opéra - Saison 2014-2015 :: #2627 :: rss
Je n'en ai pas encore parlé, mais la résurrection à Munich, Vienne et Versailles, les 25, 27 et 29 janvier derniers, était un très grand moment.
¶ D'abord, pour ceux qui la chercheraient, vu qu'elle n'a été disponible sur la Radio Bavaroise qu'une poignée de jours, voici la bande. Je précise qu'elle ne contient, à dessein, que la première moitié du spectacle : Bru Zane va la publier sous forme de disque, et je ne veux pas dispenser quiconque de l'acheter ! Il s'agit de la soirée d'ouverture, à Munich, où Charles Castronovo, souffrant, avait été remplacé par Mathias Vidal (ayant étudié sa partie écrasante, hors de ses habitudes vocales et en principe un peu loin de sa voix… en 24h !). Le pire est qu'il s'y montre, comme d'ordinaire, miraculeux d'aisance, de naturel et surtout d'éloquence – et les mots sont ciselés, sans que le la ligne paraisse éclatée. Mais comment fait-il, pour que chaque mot vibre d'ardeur, pour que chaque inflexion soit juste et bouleversante, alors qu'il découvre quasiment ce qu'il lit ? Un artiste incommensurable, sérieux candidat au titre de meilleur ténor du monde.
¶ Concernant l'œuvre, on pouvait craindre, vu la notoriété de Gounod, une mise sous le boisseau pour quelque raison. À part Le Tribut de Zamora (qui, à la lecture de la partition, m'a paru très valable mais pas vertigineux non plus), tous ses opéras ont été remontés à ce jour… pourquoi ce très appétissant grand opéra, son avant-dernier (conçu comme un « opéra comique » en IV actes, donc avec dialogues parlés, mais refondu en V avec récitatifs chantés dès l'année de la création, en 1877), n'avait-il jamais été remonté, alors même que l'air « Nuit resplendissante » fait depuis longtemps les beaux jours des récitals de langue française ?
Je n'ai pas de réponse au pourquoi, mais à l'écoute, puis à la réécoute… il s'agit, pour moi, du meilleur opéra composé par Gounod (et d'assez loin). Il est vrai que l'œuvre (à l'exception du chœur des conspirateurs, dont le compositeur semble si content qu'il le sollicite quatre fois, alors même qu'il inclut déjà des répétitions de couplets !) est peu prodigue en grandes mélodies propres à devenir des standards. En revanche la qualité de l'écriture est constante, le drame très intense, rien ne se relâche, et les morceaux de bravoure (duos d'amitié, d'amour, d'affrontement, pièces de caractère, grands récitatifs enflammés, scènes de foule avec solistes…) se succèdent sans cesse, sans qu'il semble jamais y avoir de remplissage. Même le ballet archaïsant est remarquablement écrit – au moins du niveau de celui d'Henry VIII de Saint-Saëns, rien à voir avec Faust ou Roméo !
L'acte de la conspiration est une formidable orgie sonore renouvelée de façon ininterrompue, qui se mesure à l'aune de ceux du Roi malgré lui de Chabrier ou des Huguenots de Meyerbeer.
Seule réserve : le livret, très efficace et convaincant, utilise bizarrement Marion de Lorme et Ninon de Lenclos, parquées dans des coins d'actes pour chanter des divertissements.
¶ Le plateau était lui aussi extraordinaire, permettant de servir l'œuvre avec le meilleur des luxes.
- Je redoutais le style de l'Orchestre de la Radio de Munich et d'Ulf Schirmer (très bon richardstraussien…). À tort : aucune mollesse, aucune opacité, toujours tendu, et ce malgré un niveau instrumental très supérieur à ce que réclame la partition. C'est une lecture un peu « droite » (les notes sont très égales dans les ballets en particulier), mais franche, allante, claire, aérée, colorée. On peut en dire autant du Chœur de la Radio Bavaroise, capable des grands éclats du chœur d'opéra, mais aussi de demi-teintes enchanteresses dignes des meilleurs chœurs de chambre (quels ténors ! – et aussi une belle assise grave), dans un français tout à fait intelligible.
- Tous les pupitres étaient à saluer, mais le clarinettiste solo était extrêmement impressionnant, avec un son très dense, pas du tout translucide, et capable de dominer si nécessaire dans les tutti !
- Salutations particulières à Mathias Vidal (voir ci-dessus, mais il n'était pas à Versailles lorsque j'y ai assisté), Véronique Gens (qui, en refusant de timbrer de la façon la plus sonore et en laissant sa voix légèrement moins ferme, obtient des couleurs fantastiques tout au long de la soirée dans une diction superlative), Andrew Foster-Williams (déplaisant dans Lully, mais ici d'un équilibre irréprochable dans un rôle qui aurait pu être trop grave pour lui… et qu'il remplit avec beaucoup d'aisance dans un français parfait), et Tassis Christoyannis (peu d'harmoniques graves pour un baryton de grand opéra, mais d'une noblesse immaculée impressionnante).
- Charles Castronovo est handicapé en volume par son émission complètement en arrière, mais le timbre sombre est beau et la diction très bonne ; quant à André Heyboer, il paraît étrangement contraint vocalement (comme essayant diverses postures – souffrant ?), mais demeure très efficacement présent vocalement et expressivement.
- Un peu moins convaincu par les secondes femmes : Norma Nahoun (jolie voix un peu terne, et pas irréprochable dans sa vocalisation un peu dure) et Marie Lenormand (émission typiquement canadienne, homogène et très en arrière, presque totalement inintelligible)… mais vu que leurs personnages ne servent à peu près à rien, on s'en console fort bien.
--
Cette re-création constitue une réelle révélation, comme on n'en a pas eu depuis longtemps dans le domaine du Grand Opéra à la française — Barbares de Saint-Saëns exceptés… je n'en ai pas encore parlé, mais c'est fulgurant dans le genre « (autre) alternative française à Tristan » !
L'Univers est facétieux : en revenant de Cinq-Mars, tous les trains étaient terminus Javel.
Commentaires
1. Le lundi 16 février 2015 à , par Polyeucte :: site
2. Le lundi 16 février 2015 à , par DavidLeMarrec
3. Le lundi 16 février 2015 à , par Polyeucte :: site
4. Le lundi 16 février 2015 à , par DavidLeMarrec
5. Le vendredi 27 mai 2016 à , par Benedictus
6. Le samedi 28 mai 2016 à , par DavidLeMarrec
7. Le dimanche 29 mai 2016 à , par Benedictus
8. Le dimanche 29 mai 2016 à , par DavidLeMarrec
9. Le mercredi 31 octobre 2018 à , par cacoton
10. Le mercredi 31 octobre 2018 à , par DavidLeMarrec
11. Le vendredi 9 août 2019 à , par cacoton
12. Le vendredi 9 août 2019 à , par DavidLeMarrec
Ajouter un commentaire