Julien Chauvin, violon solo
du Cercle de l'Harmonie (et premier violon du Quatuor Cambini), grand
violoniste et plus grand chef encore, a quitté la formation de Rhorer
avec certains de ses membres il y a quelques mois afin de former
Le Concert de la Loge Olympique. Les
raisons n'en ont pas été rendues publiques ; néanmoins, les ambitions
affichées du nouvel ensemble donnent des indications, en parlant de «
replacer les musiciens au cœur même du projet », selon un modèle
ouvertement inspiré des orchestres spécialistes sans chef permanent
(Concerto Köln, Freiburger Barockorchester) – il est possible que le
gain en influence de Rhorer, sa direction d'autres orchestres (et
peut-être son caractère, je n'ai pas le moindre élément là-dessus) ait
frustré certains musiciens désireux de participer plus activement aux
choix artistiques.
Quoi qu'il en soit, fort de la réputation de son fondateur et de
l'orchestre qui les accueillait, le nouvel ensemble a tout de suite eu
des engagements (certes un peu subalternes, accompagnement de récital
de
seria pour commencer)
assez prestigieux (récitals de Karina Gauvin et Sandrine Piau,
Armida de Haydn avec Mariame
Clément) dans de bons endroits bien exposés (salle Gaveau par exemple).
Il tire son nom de l'orchestre, actif dès 1786 (peut-être 1785), issu
d'une loge maçonnique de musiciens, ouverte en 1782 ; son chef
principal était le
Chevalier de Saint
George. Elle cesse ses activités dès 1789, mais
en 1785, elle commande à Haydn le cycle des
symphonies « parisiennes » (les 82 à 87), puis les
90 et 91. Une jolie filiation,
quasiment une ligne de conduite. L'orchestre place ainsi un centre de
gravité qui leur permet de jouer le baroque du début du XVIIIe siècle
et certaines œuvres du début du XIXe siècle, tout en signifiant son
souci de pédagogie.
Le
modèle économique aussi en
est intéressant : appuyés grâce aux réseaux antérieurs (et à leur
valeur amplement prouvée), les musiciens sont en résidence à la
Fondation Singer-Polignac,
spécialisée dans le pied à l'étrier de jeunes artistes (en particulier
en vue de promotion du répertoire français, mélodie notamment), mais
ont aussi développé des partenariats avec les
entreprises, offrant des services
pour accompagner des dégustations de vin, etc.
En somme, même si son répertoire actuel ne m'exalte guère (
opera seria baroque et classique,
même si la naïveté martiale d'
Armida de
Haydn est très intéressante, et quand même rarement jouée), un ensemble
qui promet beaucoup, aussi bien par son niveau propre que par son
ambition. [Par ailleurs, on nous promet
Chimène, le seul bon opéra
de Sacchini, et
Phèdre de Lemoyne, l'un en tournée française, l'autre à Caen et Paris (Bouffes du Nord), les deux en version scénique !]
Mais il semble que tout le travail de communication et d'identification
du nouvel orchestre – que j'avais personnellement découvert
incidemment, alors que je suis censé être un
garçon informé – soit perdu, puisque
le Comité
National Olympique considère que l'orchestre profite de l'image
des Jeux, et parasite sa réputation et ses partenariats potentiels.
Avec toute la force d'une institution aussi dotée, elle harcèle
juridiquement le nouvel orchestre depuis plusieurs mois (quel dommage
que l'information ne paraisse qu'à présent, il y aurait eu de quoi
faire tanguer suffisamment ladite image pour un retrait des
poursuites), le menaçant de procès si le nom n'en était pas changé.
La naissance du Comité
National Olympique, allégorie (1998).
Considérant l'absence de lien avec le sport, la référence à une réalité
maçonnique et musicale qui n'a aucun point commun (la référence antique
exceptée) avec les Jeux, la pertinence du choix par rapport au
répertoire réel de l'orchestre, je ne suis pas persuadé que le CNOSF
ait eu des perspectives trop sérieuses de l'emporter devant un juge, mais le coût et l'énergie
dépensés seraient trop grands, et
l'orchestre
vient de céder et de retirer sa marque de l'INPI, après des mois
de négociations et d'intermédiaires infructueux.
J'avoue être toujours assez indigné lorsque des officines privées
confisquent la langue (et ici, tout
de bon l'Histoire !). Il y a quelques années, un petit malin menaçait
toute personne qui utilisait sur un forum l'expression « Nouvelle scène
française » puisqu'il avait déposé la marque, comme si le concept et le
langage pouvaient lui appartenir – c'était évidemment de l'intimidation
tout à fait abusive, marque déposée ou pas, afin de favoriser le
référencement exclusif de son site, qui n'a jamais eu aucun succès soit
dit en passant.
Plus triste, car avec plus d'implications réelles, la fameuse affaire
Milka, où une couturière, disposant d'un nom de domaine à son réel
prénom (Milka.fr), offert à Noël par ses enfants, était été contrainte
de le céder, au terme d'une longue bataille juridique, à Kraft Foods.
Aucun dommage & intérêt n'avait été accordé (mais ils avaient été
demandés !), considérant la bonne foi de la défenderesse, et l'absence
de nuisance sur la marque ; en revanche, la marque étant déposée (et
avant la naissance de Milka B., de surcroît), le droit l'a logiquement
dépossédée d'un nom de domaine, en première instance et en appel. Même
si l'entêtement de Milka B. peut paraître futile (au départ, une
compensation financière lui avait été offerte), le fait que réserver le
premier un domaine à son nom puisse ouvrir la voie à des réclamations
et des poursuites (qu'en est-il de la visibilité de l'activité
professionnelle de Mme B., ne compte-t-elle pour rien ?), que son
propre prénom puisse être confisqué par une marque, n'est pas très
réjouissant – même si l'on voit bien les abus que cela cherche à
prévenir.
Mais ici, la marque a été déposée, correspond à une réalité totalement
différente de celle du Comité Olympique, s'appuie sur des éléments
historiques en étroite relation avec l'identité de l'orchestre, et
surtout préexiste largement à l'olympisme, refondé dans les années
1890.
Le demandeur a à peu près autant de légitimité que si le syndicat du
BTP demandait le retrait du nom de l'Ode Maçonnique de Mozart sur les
partitions – ce qui, soyons honnête, pourrait détourner indûment une
partie de l'admiration attachée au mot « maçon » au profit de Monsieur
Mozart.