Les quatuors d'orchestre
Par DavidLeMarrec, jeudi 29 décembre 2016 à :: Quatuor à cordes :: #2890 :: rss
Attention : L'expression « quatuor d'orchestre » peut aussi désigner l'ensemble des cordes d'un orchestre. Ce n'est pas dans ce sens-là qu'elle est employée dans cette notule.
La plupart des quatuors qu'on entend en salle sont des quatuors constitués / quatuors permanents, c'est-à-dire quatre musiciens permanents qui vont de ville en ville jouer les œuvres qu'ils ont préparées.
Il existe également des quatuors de solistes, où des grands noms habitués aux concertos (actuellement, le quatuor Arcanto : Antje Weithaas, Daniel Sepec, Tabea Zimmermann et Jean-Guihen Queyras, soit peu ou prou les trois meilleurs représentants mondiaux de leur instrument…) se retrouvent ponctuellement pour faire de la musique de chambre. Le résultat est variable selon leur affinité avec l'exercice et la régularité de leurs rencontres (en l'occurrence, les Arcanto se réunissent souvent et sont vraiment remarquables) ; souvent – malgré la qualité extrême de leur précision – la vision d'ensemble et la construction générale, faute de temps, ne valent pas les quatuors constitués, même ceux dotés de moyens techniques sensiblement plus modestes.
Mais on entend aussi quelquefois des quatuors d'orchestre dont le nom évoque plus ou moins directement les grandes phalanges, et constitués de membres des pupitres de cordes. L'essentiel de leur carrière individuelle se déroule au sein de l'orchestre éponyme, et leurs habitudes de travail sont extrêmement différentes.
Et à chaque fois, s'adapter au chef – ce qui peut être difficile s'il est peu expérimenté ou excentrique, surtout lorsqu'on n'a que deux services pour préparer un programme : il faut le regarder pendant le concert ! Ou bien faire attention au soliste, surtout si c'est un chanteur, souvent en délicatesse (ou en mépris délibérément affiché) pour le rythme.
→ Dans un quatuor constitué au contraire, on a des semaines pour préparer un ou deux programmes (donc six œuvres, disons), les fouiller au plus profond. Et on les rejoue souvent, devant des publics différents de lieux divers. C'est une philosophie complètement différente (pour la vie des musiciens aussi, toujours en déplacement et avec les trois mêmes compères/commères), qui laisse musicalement le temps d'explorer et de mûrir les pièces fondamentales du répertoire.
Il existe des maisons chez qui le quatuor d'orchestre est institutionnalisé (Wiener Konzerthaus Streichquartett pour le Philharmonique de Vienne, Philharmonia Quartett et Athenäum-Quartett pour le Philharmonique de Berlin…). Sans être aussi abouties, la plupart du temps, que celles des meilleurs quatuors permanents, leurs interprétations sont réellement fouillées et leur cohésion irréprochable – il valent tout à fait de bons quatuors constitués de niveau standard.
Chez les autres, et particulièrement chez celles où les concerts se font toutes les deux saisons, même pas nécessairement avec les mêmes musiciens, il ne faut pas attendre la même qualité de finition – ni même, étrangement, un enthousiasme comparable chez les interprètes.
Gaudenzio FERRARI, Quatuor d'orchestre céleste ad hoc pour célébration mariale
Fresque du Santuario della Madonna dei Miracoli à Saronno (1534-1536)
Tirées de la prochaine notule sur le programme de janvier (et, donc, le bilan de décembre), quelques impressions sur le Quatuor de l'Orchestre de Paris (mais récurrente avec les autres orchestres de la capitale, comme mentionné) à l'occasion de d'un programme donné dans la salle de répétition de la Philharmonie :
♠ Programme jubilatoire, mais un brin déçu par l'exécution, pour des raisons que j'aimerais détailler à l'occasion : je ne suis pas persuadé qu'il soit raisonnable d'aller voir des quatuors d'orchestre, même lorsqu'ils jouent des œuvres rares. À chaque fois (Opéra de Paris dans Magnard, National de France dans Saint-Saëns, Orchestre de Paris dans Schumann et Kurtág), l'impression d'un manque de cohésion, voire d'implication.
On le perçoit très bien dans la comparaison entre le violon solo de l'Intercontemporain, d'une netteté incroyable (premier violon dans les Microludes, second dans le Schumann où on ne l'a jamais aussi bien entendu !), tandis que les musiciens de l'Orchestre de Paris étaient (et c'est logique, vu leur pratique d'orchestre), beaucoup moins dans l'exactitude de l'attaque, plus dans une sorte de flux général…
Ni architecture, ni précision (même la justesse quelquefois…) – au sein d'un pupitre à vingt musiciens, ce n'est pas gênant, tout cela s'équilibre (d'où le fait que des chœurs amateurs puissent très bien sonner avec des participants au niveau individuel moyen), mais lorsqu'il faut seul tenir le discours, il y a là quelque chose de vaporeux, d'indécis, d'un peu frustant en définitive.
♠ Ils ont clairement bénéficié de peu de répétitions, et en tout cas rien de comparable avec un ensemble constitué qui répète tous les jours la demi-douzaine de mêmes œuvres pendant des semaines ! (Quant au niveau requis pour intégrer l'Interco, c'est tout de bon un autre monde.)
Bien que je les croie parfaitement de bonne volonté (je doute qu'on fasse ces concerts supplémentaires par obligation), il n'y a pas vraiment d'intérêt à écouter des quatuors par des ensembles éphémères, dès lors qu'on a le choix de l'offre – et les Microludes comme le Troisième de Schumann sont programmés assez fréquemment.
Pour l'Opéra de Paris dans Magnard, j'étais vraiment mécontent : œuvre déjà très formelle et peu engageante, et l'ennui de jouer semblait transpirer… vraiment un mauvais service à rendre à Magnard, autant jouer un Schubert qui n'aurait pas nui à la réputation du compositeur (certes peut-être davantage à la leur, joué comme cela…).
Pour l'ONF dans Saint-Saëns, c'était objectivement très bien, il manquait l'étincelle ou je n'étais pas réceptif ce jour-là – car dans d'autres programmes de chambre (Ravel, Szymanowski, Berg…), je les avais trouvés fulgurants.
En revanche, d'excellents souvenir du Quatuor de l'Orchestre National Bordeaux Aquitaine (avec selon les jours Vladimir Nemtanu ou Stéphane Rougier, Tasso Adamopoulos, Étienne Péclard), pas du niveau invraisemblable des grands quatuors ni des jeunots du CNSM, mais avec une gourmandise très entraînante… Alors que cet orchestre joue souvent à l'économie, les chefs de pupitre sont toujours très investis en musique de chambre. Mais là aussi, leurs réunions (du moins publiques !) étaient rares, une fois par saison maximum, et je ne suis même plus sûr qu'il soit toujours en activité – de toute façon, dans l'orchestre, il ne reste plus que Stéphane Rougier.
(Témoignages appréciés sur les pratiques d'autres maisons.)
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Quoi qu'il en soit, cette réalité, évidente quand on y songe, mérite d'être soulignée : les noms prestigieux de ces formations inspirent la confiance, mais le résultat est en réalité souvent assez inférieur à n'importe quel quatuor permanent. À réserver à ce qui n'est pas donné ailleurs… et encore, avec toutes les réserves nécessaires si jamais l'œuvre vous paraît terne.
L'occasion de rappeler que beaucoup de jeunes quatuors, mieux formés que jamais, exercent tous les jours dans des concours gratuits ouverts au public, dans leurs conservatoires d'origine ou dans de petites salles pour des sommes très modiques. Profitez-en !
(Je pourrais peut-être saisir l'occasion pour proposer une petite liste de quatuors en activité à aller voir…)
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