lundi 15 mai 2017
Au fil d'Avril – parcours de concerts
Comme je n'ai toujours pas fini mes découpages et commentaires sur la musique d'Alcione (que je n'aime pas particulièrement, mais qui est fascinante à bien des égards), quelques notes rapidement mises en forme sur les concerts vus en avril et au début de mai.
Le mois d'avril a mal débuté : Charpentier, Mendelssohn, Bruckner, Brahms, Mahler, Schönberg, du très grand public dans des interprétations diversement édifiantes. À la fin du mois, c'est l'inverse, beaucoup de choses complètement étonnantes, du baroque portugais jusqu'au contemporain grec.
(Le bilan des concerts de mars se trouve là.)
♣ Quelques
raretés (en concert) :
Salle paroissiale de l'église parisienne Saint-Thomas d'Aquin, ancienne chapelle. ♣♣ Concert d'inauguration du CD d'airs de cour de Lambert & Le Camus avec Il Festino (et l'inapprochable Dagmar Šašková !) : on dispose d'un nombre ridicule de disques décents dans ce répertoire, et en plus le programme parcourt toute la gamme des formations, des restes d'airs polyphoniques madrigalesques au milieu du XVIIe siècle jusqu'à la pure monodie. Ici, l'interprétation est superlative à tous les niveaux, dans la lignée des deux précédents volumes chez Musica Ficta (en particulier l'air de cour italien sous Louis XIII). Tous leurs programmes sont de toute façon à voir absolument, on n'a jamais fait mieux. |
Putto du déambulatoire de Saint-Germain l'Auxerrois. ♣♣ Baroque portugais des XVIIe et XVIIIe siècles : Teixeira, Seixas, Almeida… Cantates en italien dans le style vivaldien, mais aussi des pièces sacrées polyphoniques en portugais, arrangées pour soprano et parties instrumentales (l'une d'elles fondée sur le thème de La Follia) , et même un extrait de messe de Seixas en latin prononciation lusophone ! Par l'ensemble explorateur La Calisto, à l'engagement communicatif : un précieux témoignage très rare. |
Avant le concert à l'Hôtel des Menus-Plaisirs de Versailles. ♣♣ En guise de récital de fin d'études comme chantre du CMBV, Clémence Carry a réuni quelques compères pour un récital franco-écossais de la plus vive originalité. ♣♣♣♣ Airs de cour du début du baroque (dont certains lestes, comme « Jean cette nuit [...] doit m'assaillir » de Pierre Ballard), compositions écossaises du milieu du XVIIIe siècle (William Thomson, James Oswald), traditionnels français (« Quand je menais les chevaux boire », « La blanche biche », « J'ai vu le loup », « Rossignolet du bois »), traditionnels écossais (« The Restoration », « The Haughs of Cromdale »). Le tout avec un instrumentarium typé début XVIIe : flûtes, deux violons, musette, vielle à roue, harpe, viole de gambe, harpe, théorbe, percussion et chanteuse. ♣♣♣♣ Je n'ai pas été très impressionné par la voix (manifestement émue, elle a un peu cherché ses marques), mais le programme était remarquablement jubilatoire, et servi par des musiciens d'un notable métier. Jean cette nuit, comme m'a dit ma
mère,
Doit m'assaillir : mais je ne le crains guère, Si ma mère n'en est pas morte, Je n'en mourray pas aussi. Je ne suis pas de ces jeunes badines, Qui font venir à l'ayde leurs voisines, Si ma mère n'en est pas morte, Je n'en mourray pas aussi. J'ayme bien mieux imitant les fines, Demander ayde aux voisins qu'aux voisines, Si ma mère n'en est pas morte, Je n'en mourray pas aussi. Quelque vigueur qu'il ayt dans la bataille ! Je ne fuirois pour quatre sa taille, Si ma mère n'en est pas morte, Je n'en mourray pas aussi. Je pense bien qu'il me mettra par terre : Mais quoy qu'il soit sur moi dans cette guerre Si ma mère n'en est pas morte, Je n'en mourray pas aussi. (Oui, quand même.) Et The Haughs of Cromdale, où MacKenzie, McKy, McDonald, McIntosh, McDougal, McLauchlin, McNeil, McGregor et même McPherson… pas un ne manque : The Grant, MacKenzie, and McKy,
Soon as Montrose the did espy, O then, they fought most valiantly ! Upon the haughs of Cromdale. The McDonalds they returned again, The Camerons did they standard join, McIntosh played a bloody game Upon the haughs of Cromdale. McGregors fought like lions bold, McPhersons, none could the controul, McLauchlins fought, like loyal souls, Upon the haughs of Cromdale. McLeans, McDougals, and McNeils, So boldly as the took the field, And made their enemis to yield Upon the haughs of Cromdale. The Gordons boldly did advance, The Frasers fought with sword and lance The Grahams they made the heads to dance Upon the haughs of Cromdale. [...] Of twenty thousand, Cromwells men, Five hundred fled to Aberdeen, The rest of tem lie on the plain, Upon the haughs of Cromdale. |
♣♣ Au CNSM, extraits de La Maison dans les dunes de Dupont par l'excellent Adriano Spampanato, et des Ophelia-Lieder de R. Strauss
avec Iryna Kyshliaruk (un beau
format dramatique en devenir – au contraire empesée dans les autres
récitals où elle tient des rôles légers), un peu d'orgue de Duruflé
aussi… On n'entend pas
ça tous les jours – le cycle de Dupont est une collection de moments
absolument merveilleux, on devrait jouer ça aussi souvent que les
sonates de Beethoven… (Ou bien Koechlin, ou bien Hahn, ou bien Mariotte…) |
♣♣ Encore au CNSM, classe de
direction de chant
(accompagnateurs-préparateurs-conseillers, si l'on veut) d'Erika
Guiomar. Centrée autour des lieder d'Eisler (aussi
bien ses œuvres décadentes que semi-atonales, le cabaret fin-de-siècle
que le sprechgesang plaisant
au radical), à laquelle les pianistes participent quelquefois (jouant
et déclamant-chantant à la fois !), la soirée se termine avec quelques gourmandises plus
grivoises (Hervé, Christiné, Guilbert, Moretti…). Et des
extraits d'une réduction pour quatre mains des Biches de Poulenc, la cerise
confite sur la forêt noire. ♣♣♣♣ De belles
découvertes : outre la musicalité remarquable de mes déjà-chouchous Nicolas Chevereau et Pierre Thibout, je découvrais Li Qiaochu,
qui se distingue à la fois par une sûreté virtuose (là où le poste
réclame d'abord une forme de souplesse) mais aussi une fluidité, une
qualité de palpitation dans la musique qui mêle tous les avantages du
solistes au nécessités du chef de chant. Miam.
♣♣♣♣ Côté voix, j'entendais quelques nouvelles glottes piochées parmi les classes de Licence. Cyrielle Ndjikinya peut prétendre à une belle carrière de dramatique, avec un volume impressionnant, mais aussi une luminosité bien préservée des aigus. Si la voix évolue adroitement et si elle prend les bons engagements, une future grande dans les répertoires larges. Apprécié aussi la mezzo Lise Nougier, une voix qui n'a intrinsèquement rien de spectaculaire, mais d'une belle étoffe, et adroitement utilisée : une chanteuse de goût, à suivre. ♣♣♣♣ La soirée étant également un hommage à la feue Claude Lavoix, plusieurs gloires participaient à la soirée. Hélène Delavault n'a jamais très bien chanté, et il ne lui reste vraiment plus rien (hululement immédiat dès qu'on excède le double piano), sauf le sens de la scène et l'abattage extraordinaire – j'ai toujours détesté sa voix, même dans ses grandes années, mais j'ai été comme tout le monde assez fasciné par son naturel et sa façon de s'emparer de l'auditoire. Edwige Bourdy a dû étudier avec Mady Mesplé ou l'une de ses semblables : la focalisation du timbre est de même nature, et d'une fraîcheur immaculée, le tout permettant à la fois projection et diction aisées. J'entendais aussi Lionel Peintre et Robert Expert pour la première fois en salle. Grosse déception pour le premier, qui explique sa carrière hors des grandes salles : à quelques mètres, on n'entend vraiment rien (ce qui ne transparaît pas du tout dans les captations), malgré le timbre et la qualité du français. Pour le second, c'est au contraire la révélation, un sens du texte, une qualité de diction et un timbre préservé, rares pour les falsettistes. Me faire aimer de la mélodie par un contre-ténor (association intrinsèquement problématique) n'est pas un modeste fait d'armes à mettre à son crédit. Enfin, Franck Lunion, que je n'avais entendu qu'à ses débuts, Arcas dans Thésée de LULLY avec l'Académie d'Ambronay dirigée par Christie, en 2000 (avec les jeunes Aurélia Legay, Stéphanie d'Oustrac et Christian Immler, notamment) – je l'y avais trouvé remarquable, mais ne l'ai jamais vu reparaître depuis. Dans ce Goethe-Lizt (Über allen Gipfeln), quelle belle voix équilibrée et éloquente, toute au service du texte et de la musique… |
♥ Quelques retrouvailles avec des
chouchous déjà vantés sur CSS
:
Carle Van Loo dans le
décor de la chambre à coucher du prince de Soubise.
♥♥ Cantate pastorale de Montéclair, Léandre et Héro de Clérambault (sensiblement le même sujet qu'Alcione qui se jouait au même moment) – l'une des cantates les plus célèbres de Clérambault, avec une tempête impressionnante, très convaincante pour un genre en petit effectif ! Eva Zaïcik et le Taylor Consort y font des merveilles : se combinent la rondeur exceptionnelle de Zaïcik dans un français généreux (elle est au Jardin des Voix de Christie pour cette saison, j'espère qu'elle y glanera le supplément d'appuis expressif qui sépare l'excellence, où elle se trouve déjà, de la fulgurance ultime qui lui est promise), et les réalisations très intéressantes de Justin Taylor – conception très mélodique de l'accompagnement, beaucoup de contrechants qui s'émancipent vraiment de la seule logique prévisible de ce qui est écrit. Grand moment à l'Hôtel de Soubise, sous les décors peints par Boucher et Van Loo. |
♥♥ Vingt ans que j'adore
le Trio de
Tchaïkovski et
attends l'occasion de
le voir en vrai. Comme ça passe tout le temps en concert, j'ai laissé
passé nombre d'occasions, et je voulais surtout le faire avec les
bonnes personnes – même si l'intensité de sa musique le rend difficile
à saboter. Avec le Trio Zadig,
l'élan et la ferveur s'ajoutent à
l'intensité de ce qui est écrit. J'attendais beaucoup de ces chouchous
découverts à l'occasion de l'ECMA (Académie de Musique de Chambre
Européenne) au CNSM, et ce n'était pas sans raison : une générosité et
un emportement de tous les instants… Je ne vois pas beaucoup de
solistes internationaux qui jouent mieux que ces crincrins-là (Boris
Borgolotto et Marc Girard-Garcia) ! Jamais vu un violoniste oser
jouer à ce point sur le
chevalet, ce qui explique peut-être en partie la puissance du son. Je
suis un peu moins convaincu, encore une fois, par le jeu d'Ian Barber,
mais sa conception très harmonique de la partie de piano (plutôt une
toile de fond qu'un moteur, peu tourné vers la mélodie) se mêle très
bien au jeu extrêmement expansif de ses deux compères – il faut dire
aussi que le piano mis à disposition n'était pas fabuleux, et qu'un
pianiste est aussi tributaire de cela. Version de référence absolue, au niveau des deux ou trois que j'ai le plus aimées dans les dizaines de versions écoutées à ce jour… Encore un coup de maître pour les Zadig, et un enchantement formidable. (Ils jouaient aussi un remarquable Deuxième Trio de Chostakovitch.) |
♠ Quelques grands classiques.
♠♠ Les Leçons de Ténèbres pour basse de Charpentier (Oratoire du Louvre), par
celui qui les a sans doute les plus chantées : Stephan MacLeod, avec Les Ambassadeurs d'Alexis Kossenko. J'avoue m'être pas
mal cassé les pieds. ♠♠♠♠ Le concert
commençait déjà par une longue partie instrumentale dédiée à Couperin
(Sonates en trio), bien jouée d'ailleurs (tantôt flûtes, tantôt violon,
avec des effets de doublures, très beau son…), mais la musique de
chambre baroque reste d'essence largement décorative, et j'avoue y
trouver assez peu mon compte.
♠♠♠♠ On arrive donc à ce qui était supposé être le cœur du programme après une longue première partie suivie d'un entracte substantiel… Par ailleurs, j'aime assez les Leçons de Charpentier au disque, même celles pour basse, mais la monotonie de leur construction (chaque stance étant sur le même patron que la précédente, simple déclamation du texte, contrairement à à peu près toutes les autres Leçons du répertoire, Charpentier inclus) rend difficilement digeste l'enfilade immédiate de trois Leçons conçues pour être chantées trois jours différents. ♠♠♠♠ J'avais plus ou moins prévu cela, et préparé la parade, partition en main sur une liseuse non rétro-éclairée (le summum de l'élégance pour ne déranger ses voisins ni par le bruit du papier, ni par la lumière)… mais sans pour autant reproduire la scénographie de l'office des Ténèbres, toute la salle fut plongée dans le soir pour la seconde partie. Et ce fut long. À cela s'ajoute que si la voix de MacLeod est sns conteste superbe, il semble assez limité dans la variété des dynamiques et des couleurs, toujours tassé dans le même angle, et pas démesurément sensible au texte – si bien que de ce côté non plus, il ne fallait pas attendre de Salut. |
♠♠ L'entrée au répertoire de
Bastille (je suppose pour un moment) du ballet de Balanchine
autour du Midsummer
Night's Dream de Mendelssohn,
qui mêle à la musique de scène complète (dans le désordre) plusieurs
ouvertures belles et rares (Athalie,
qui dispose de sa propre musique de scène ; La belle Mélusine ; Retour depuis l'étranger) ainsi que
les deux premiers mouvements de la Neuvième
Symphonie pour cordes, notamment son andante sans violoncelles
ni contrebasses, moment suspendu extraordinaire – idéalement adapté à
un pas de deux. Visuellement, Balanchine en tire assez bien parti, même si les contraintes de la danse (et la chaleur très relative des danseurs parisiens, en dehors du rôle facétieux et exaltant de Puck) ne peuvent rendre compte de la finesse d'un tel texte, évidemment – le DVD de la série scaligère avec Roberto Bolle y montre des incarnations autrement ardentes (la majesté de cet Obéron !). L'acte I contient toute l'action, et l'acte II seulement un grand divertissement à la cour de Thésée, mais c'est une convention dont on s'accommode très bien quand la musique est aussi belle. Car le concept de deux heures complètes de Mendelssohn pas toujours fréquent se révèle, sans surprise une véritable félicité… surtout sous la direction de Simon Hewett (le final le plus solidement bâti de la Troisième de Mahler que j'aie pu entendre en salle, P. Järvi inclus), qui évite aux musiciens de l'Opéra de trop s'économiser. |
♠♠ Le Deutsches
Requiem de Brahms
par l'Orchestre de Paris, son Chœur et Thomas Hengelbrock.
La collaboration entre le chef et l'orchestre m'avait laissé mitigé
(considérant le potentiel de la rencontre avec un interprète de cette
trempe) pour du Bach (vraiment régulier et un peu empesé, alors que la Messe en si
des débuts de Hengelbrock reste à ce jour l'une des plus belles
versions discographiques de l'œuvre) et du Mendelssohn (un brin fade).
Ici au contraire, le savoir-faire d'un grand chef s'entend en action,
sur le vif, dans l'urgence : ces attaques très précises qui enflent
jusqu'à être secondées par une nouvelle entrée, cette tension
permanente, cette ferveur jubilatoire, c'est le meilleur de toutes les
traditions à la fois que j'ai entendu… dans une lecture pas
particulièrement contemplative, sans paraître du tout heurtée ni
excessive. ♠♠♠♠ Le Chœur de l'Orchestre de Paris s'est
une fois de plus couvert de gloire (cette fois tout particulièrement
les dames) pour la beauté (sans rivale…) de ses timbres et la finesse
de sa sensibilité musicale. Après avoir entendu ceux qui défilent à
Paris (Monteverdi Choir, Collegium Vocale, Berlin Rundkfunchor, RIAS
Kammerchor…), je crois pouvoir dire qu'il s'agit d'un des tout
meilleurs chœurs du monde, et dans des répertoires très différents
(quel rapport entre les exigences de la 4e d'Ives, du Requiem de Verdi ou des Motets
de Bruckner ?). J'ai donc scruté (et trouvé) un moment où l'on
entendait qu'en effet, ce sont des amateurs qui chantent : au début de
« Denn alles Fleisch », lorsque tout les pupitres sont dans le graves,
le son est un peu plus affaissé, un peu moins timbré que ne le ferait
un chœur pro, je crois. Pour le reste, justesse, rigueur solfégique,
endurance, résistance des timbres aux tessitures imposées, rien ne
filtre – si ce n'est le timbre d'ensemble, plus beau qu'aucun autre.
|
♠♠ 10 Lieder de Des
Knaben Wunderhorn de Mahler
et la Quatrième
Symphonie de Bruckner
par le Philharmonique de Radio-France
et Eliahu Inbal. Impatiemment
attendue : première audition de la Quatrième
en salle, pour moi, et par Inbal qui m'a à chaque fois, au
disque, à la radio (quel Crépuscule
inapprochable avec la RAI de Turin !), en salle (Bruckner 2 et 9) coupé
le souffle et ébahi d'admiration. Pour Bruckner, plus encore que sa
célèbre intégrale assez « objective » de la Radio
de Francfort,
ce sont ses récents enregistrements avec le Metropolitan de Tokyo qui
font autorité : dans une veine qui n'est pas en rupture avec la
tradition, difficile d'espérer plus de vivacité et d'intensité, en même
temps qu'un sens sans équivoque de l'architecture. ♠♠♠♠ Sans
surprise, difficile d'entendre Ekaterina
Gubanova et Dietrich Henschel
dans l'immensité de la Philharmonie, même de face. On perçoit le
timbre, le détail de la musique plus vaguement, et pour ce qui est du
texte, hahahaha. En revanche, la beauté de la voix de Henschel est
extraordinaire… je ne l'avais pas entendu en salle depuis 15 ans
exactement, et rien n'a bougé, tout est aussi beau qu'avant, voire
davantage – j'avais lu des papiers, pourtant, dans le milieu des années
2000, qui signalaient combien il allait à la dérive et perdait tout
contrôle sur son instrument. Dans du lied avec piano, ce n'est pas
spectaculairement expressif au disque, mais en vrai, j'accourrais
! C'est dit.
♠♠♠♠ J'attendais peut-être un peu trop de la Quatrième de Bruckner, qui fut superbe, mais pas tout à fait éverestique comme escompté : Inbal faisait étrangement jouer les trombones grassement (ceux de l'OPRF ne sont pourtant pas de tempérament bruyant, avec leurs timbres soyeux…), et plus fort que le reste de l'orchestre, dans des parties qui ne sont pas les plus raffinées de la symphonie, et déjà très exposées en elles-mêmes. Peut-être l'œuvre aussi, qui sonne très bien au disque par sa simplicité, mais m'a paru présenter moins d'arrière-plans que ses sœurs. Et pour le final, que je trouve rébartatif une fois sur deux (enthousiasmant la dernière fois, avec Inbal et Tokyo Met…), hé bien c'était la mauvaise fois ce soir-là. Néanmoins, magnifique exécution, grand moment. Mais avec cette attente trompée. |
♠♠ Symphonie de Chambre n°2 de Schönberg ,
Octuor de Mendelssohn, Sinfonietta
de Poulenc
par l'Orchestre des Jeunes
d'Île-de-France (OJIF). Un peu dubitatif sur cet orchestre d'à peine un an à visée professionnalisante. Je n'en ai lu que des éloges, et son principe attire nécessairement la sympathie (orchestre conçu pour promouvoir les étudiants en fin de parcours, encadrés par des professionnels confirmés à la tête de chaque pupitre). Néanmoins, à l'écoute, je n'avais pas été complètement bouleversé par leur versant baroque (en conditions climatiques défavorables à l'écoute, certes), et je retrouve ici la même forme de tiédeur – ou plutôt, on peut supposer, le manque d'occasions pour se réunir tous dans des lieux adéquats et pouvoir travailler régulièrement comme dans les orchestres constitués. Ce mode de fonctionnement est tout à fait possible avec des musiciens d'orchestre chevronnés, qui connaissent par cœur les codes, mais pour de jeunes musiciens, il y a sans doute là un peu plus de flottement. Plus étrange encore, le choix de cet octuor de Mendelssohn qui exposait surtout les défauts de chacun : le violon solo, issu de l'Orchestre de Paris, doit être un excellent tuttiste, très flexible, tout à fait engagé, mais le son est peu puissant et manque de focalisation dans les attaques, par rapport à ce qu'on entend d'ordinaire dans la musique de chambre – ce qui est normal, on attend de l'orchestre un fondu et du solo une netteté, ce ne sont pas les mêmes qualités requises. Plus gênant encore, au moins un violoniste (voire deux) dévissait régulièrement niveau justesse, ce qui n'est tout simplement pas possible dans une exécution professionnelle de musique de chambre, où l'ensemble est immédiatement altéré. D'une manière générale, cela exaltait plutôt les limites des musiciens, même ayant un beau potentiel. Bien sûr, ils débutent, et je me souviens d'avoir assisté aux premiers concerts des Dissonances de David Grimal, à qui tout le monde tresse désormais des couronnes, et qui m'avaient paru un honnête ensemble à géométrie variable, sorte de cacheton de haut niveau. Avec le temps, la structure s'affermira, je suppose. Mais tout cela pose beaucoup de questions, quand j'entends si régulièrement en répétition ou en concert de jeunes gens inconnus qui jouent à la perfection, et même mieux que les très grands qui font accourir les foules, les œuvres les plus difficiles du répertoire… comment le recrutement et le travail se déroulent-ils à l'OJIF ? Il est vrai que le programme (là aussi étrange) n'était pas très jubilatoire, hors du Mendelssohn, mais il manquait cette pointe d'abandon et d'entrain qui fait le plaisir du concert… Ce n'est pas encore un ensemble que je recommanderais d'aller voir à tout prix (sans parler de la logistique, les portes ouvertes d'une église en hiver, ou l'absence d'espace pour attendre l'ouverture de la salle cette fois-ci…). À suivre. |
♦ Côté théâtre, les pièces que je
voulais voir ont été prolongées pour l'été, donc vu peu de choses
♦♦ Ismène de Yánnis Rítsos
avec la musique originale de Georges Aperghis.
J'admire la musique d'Aperghis depuis toujours, même lorsque j'étais encore dubitatif sur les principes sur la musique contemporaine : fasciné par exemple par Machinations, où rien qu'en bidouillant quatre fois féminines, le compositeur parvient à la fois à produire du drame (sans intrigue) et de la musique, de façon très directe et accessible. Tout ce que les prêtres de la musique concrète et les zélateurs de l'acousmatique ont raté ou réservé à une niche, Aperghis le rend immédiatement opérant, pour tous. Il est assez régulièrement programme à Paris, mais assez rarement seul – belle occasion, d'autant que le parcours de Yánnis Rítsos, passé par tous les camps de redressement et d'internement qu'ont pu compter les régimes de Grèce, dissimulant ses écrits dans des bouteilles enfouies sous la terre, fait attendre quelqu'un qui a eu le temps et le recul pour ne pas produire une resucée des mêmes mythes pillés par tous les dramaturges de la Terre. J'avais conscience du risque d'être désarçonné, mais ce fut tout de même une grande déception : au sommet de la caricature du théâtre contemporain branchouille. Pas irritant du tout, parce que cette représentation respirait l'authenticité, et l'on sent bien que personne n'y prend la pose ni ne cherche à choquer le bourgeois comme alibi, et que sa réalisation était de grande qualité (Marianne Pousseur, peut-être la chanteuse qui a le plus interprété Pierro Lunaire, y est d'une santé et d'une variété vocales stupéfiantes). Mais, alors même que tous me paraissent sincère, je peine à m'enthousiasmer pour ce que j'y ai vu. ♦♦♦♦ La pièce donne la parole à
Ismène, qu'on n'entend pas beaucoup
dans les tragédies face à Antigone, et en fait une voix de la véritable
féminité face à la masculinité politique d'Antigone, à son absolu trop
violent. Cela se tient bien, mais se déroule à travers le ressassement
de paroles pas très profondes sur ce qui doit ou ne pas être, autour
d'anecdotes insipides sur la jeunesse d'Ismène… rien ne se passe, ni
dans la démonstration, ni dans le récit, ni dans l'action sur scène. Et
l'écart au mythe est très réduit, tout en se faisant dans une langue
particulièrement banale et plate. C'est un peu de la relecture
psychologisante façon Christa Wolf, le sens de la situation en moins.
♦♦♦♦ Aperghis non plus ne s'est pas mis en frais : des phrases chantées (qui ont tantôt été traduites du grec, tantôt non) au milieu des phrases parlées, très simples, a cappella, quelques jeux de superposition vocale avec la bande pré-enregistrée, et c'est tout. Joliet, mais au minimum frustrant quand on se déplaçait pour la plus-value d'un architecte sonore. ♦♦♦♦ Et scéniquement, tout entre parfaitement dans la caricature du théâtre contemporain : Marianne Pousseur, nue sous ses gros colliers, y patauge dans une petite épaisseur d'eau, sous des luminaires rouges qui laissent tomber l'un après l'autre des portions de savon liquide dans le bassin. Le son est intégralement amplifié, même pour le chant (tout à fait bien projeté). Tout est plongé dans une semi-obscurité, et le parterre n'était apparemment pas réservable. Là aussi, la mise en scène ( Tout mis bout à bout, entre un texte peu ambitieux, en tout cas prévisible et plutôt désordonné, une mise en scène (d'Enrico Bagnoli et Marianne Pousseur, avec collaboration de Guy Cassiers) qui cherche l'inconfort et le dérisoire, une musique chiche… je me casse un peu les pieds. C'est rare, mais ça arrive. Même avec une réalisation scénique dont on ne peut nier la qualité. |
♦♦ La dernière du Petit-Maître
corrigé
de Marivaux, pièce peu donnée, commandée par la Comédie-Française qui la rejoue
aujourd'hui (Marivaux faisait alors une infidélité aux Italiens). ♦♦♦♦ Un enchantement, d'une structure très sophistiquée, pas du tout limitée aux caractères comme le titre le suggère, et une interprétation irradiante. Mise en scène très habile aussi (Hervieu-Léger), qui habite très adroitement les interstices : beaucoup de détails ajoutés sans jamais contredire le texte, de petits développements dans des recoins laissés libres par l'explicite des lignes à dire… Remarquable et réjouissant en tout point. ♦♦♦♦ Au vestiaire de la salle Richelieu : – Monsieur, nous n'acceptons plus
les sacs au vestiaire.
– Oh, puis-je vous demander par curiosité pourquoi ? – Il n'y a rien de particulier en ce moment, non ? On n'est pas en plein Vigipirate, peut-être ? L'indignation non feinte de la préposée au vestiaire, pleinement convaincue de l'importance de sa tâche (pour laquelle je n'ai pas le moindre mépris, mais je ne suis pas sûr qu'en l'occurrence elle soit au bénéfice de la société…), m'a empêché d'insister sur le très léger paradoxe qui consiste à emporter les objets dangereux dans les lieux les plus densément peuplés. La seule explication que je puisse y voir, c'est une volonté de la direction de vouloir ainsi se couvrir en cas de problème : le site indique que les sacs sont tous interdits (ce qui est évidemment impossible pour recevoir du public, aucun théâtre n'applique cette règle), et ils sont scrupuleusement vérifiés à l'entrée (et sans doute interdits au delà d'une certaine taille), mais si jamais par malheur un objet dangereux passait les contrôles, on pourrait toujours accuser la sécurité d'avoir laissé entrer un sac non autorisé, ou de ne pas l'avoir vu, puisqu'en théorie, le vestiaire ne les accepte pas. Au demeurant, ce n'est pas inconfortable, il y a assez de place sous les sièges pour pouvoir loger un sac à dos ou une mallette, mais je trouve cette hypocrisie assez déplaisante, dans la mesure où elle semble considérer que le risque est véritable, tout en demandant d'emporter plutôt les objets dangereux dans la salle ! |
Et puis ?
Il y aura sans doute une notule à part pour les questions d'interprétation autour d'Alcione à Favart (plus qu'un avis général, dont il y a eu beaucoup, des détails qui me paraissent intéressants sur la façon de faire de la musique baroque, de la battue jusqu'au modèle économique…).
Je n'ai pas encore parlé non plus du remarquable spectacle autour de la domesticité de la classe d'expression scénique des élèves chanteurs du CNSM – il a eu lieu les 27 et 28 avril, j'en parlerai donc avec le bilan de mai, bien que j'aie déjà évoqué plulsieurs spectacles de mai dans la présente rétrospective.
Il y avait aussi…
Parmi ce que je voulais voir et n'ai pu faire, un récital basson-piano au Petit-Palais, Snégourotchka de Rimski-Korsakov à Bastille, Tafelmusik de Telemann (certes, les Suites avec flûtes et hautbois, moins enthousiasmantes que celles avec trompettes) au Château d'Écouen…
On ne peut être partout, d'autant qu'il y a les expositions diverses, les balades sylvestres extra-diurnes, un peu de vie sociale et assez de travail, sans parler de CSS qui m'enchaîne mécaniquement de solides heures par semaine. Et bien sûr, comme il n'y a pas que les concerts dans la vie : écouter des disques, lire des partitions et jouer de la musique.
Ceci pour m'excuser si je ne peux pas voir tout ce que je conseille. 112 spectacles du 1er septembre au 15 mai me paraît déjà très acceptablement déraisonnable.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2016-2017 a suscité :
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