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[podcast opéra] – Épisode 6 : L’opéra est-il un art du passé ?


 
Hector Dufranne en Grand-Prêtre de Samson & Dalila de Saint-Saëns.
Sonya Yoncheva dans La Bohème (mise en scène Claus Guth).

Plusieurs amis m'ont fait remarquer qu’il n’existait manifestement pas de podcast de vulgarisation sur l’opéra. J'ai été en peine de leur faire des recommandations : je trouve que ce qui existe, y compris en vidéo, parle rarement des éléments constitutifs du genre de façon progressive, et propose plutôt des anecdotes, voire des résumés d'intrigues – ce qui à mon sens doit plutôt intéresser un public déjà informé. Et, en tout état de cause, je connais mal l'offre. À défaut de pouvoir conseiller, j'ai donc opéré un petit essai :  l’idée serait de poster une seule notion à la fois, moins entrelacée et développée que dans une notule, pour essayer de toutes les clarifier, les unes après les autres.

J'en ai réalisé 6 épisodes cette semaine. Vous pouvez vous abonner dans votre application habituelle avec ce lien RSS : https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rss .
Sinon, il se trouve ici sur Google Podcast, Spotify, Deezer, SoundCloud

Pour ceux qui n'aiment pas l'audio, j'en recopie le script ici. (Il manque quelques précisions faites à l'oral, évidemment, mais l'essentiel est là.)  Rien que les lecteurs de CSS ne sachent déjà, mais il est possible que vous découvriez des choses au fil de l'avancée de la série, j'essaierai d'explorer, autant que possible sans aucun prérequis, des notions un peu plus précises au fil des semaines – si la chose trouve son public. J'envisage également des séries un peu plus techniques, par exemple sur la musique ukrainienne, qui me prend beaucoup de temps en rédaction à cause du format un peu ambitieux des notules, et qui gagnerait sans doute en promptitude en le réalisant sous forme audio.
 
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Épisode 6 : L’opéra est-il un art du passé ?

Oui.

À la semaine prochaine !



Ah, vous voulez en savoir davantage ?

¶ L’opéra est un art créé pour des besoins spécifiques, à la toute fin du XVIe siècle (voyez l’épisode 3). Il s’agissait d’exalter la déclamation théâtrale grâce au chant. Puis on s’est fasciné pour l’agilité ou la puissance de l’organe vocal humain.
Les micros ont permis beaucoup d’autres possibilités pour chanter à fort volume sonore, toutes les émissions vocales sont devenues possibles, mais l’opéra a continué de chanter sans amplification – ce qui rend son impact physique très particulier. Cela se comprend, mais il aurait pu inclure des épisodes amplifiés, et ce n’est presque jamais le cas, alors que certains chanteurs lyriques maîtrisent à la perfection d’autres techniques propres aux musiques amplifiées.

Il n’est donc pas absurde du tout que l’opéra ait conservé ses qualités propres, mais c’est assurément un art qui tire ses logiques techniques du passé.

¶ L’opéra a pu être, au XVIIIe et au XIXe siècle, une sorte d’équivalent au cinéma : intrigues sommaires, énorme budget de décors, superstars, phénomènes de société qui créaient ou faisaient écho à de gigantesques débats.
Par exemple, en 1810, énormes débats sur la légitimité de représenter des héros issus des Saintes Écritures (en l’occurrence Caïn et Abel) sur la scène de l’Opéra, en modifiant la Genèse et en ridiculisant certains de ses personnages (la perruque blonde d’Abel a beaucoup fait jaser). Est-il légitime de produire une fiction à partir du Sacré le plus saint ?  Et sur une scène de mauvaise vie comme l’était l’Opéra, jouée par des acteurs dépravés ?
Ou encore, après 1870, beaucoup d’opéras exploraient les émotions de vaincus sublimes (les Gaulois, les Hébreux), l’idée de la souffrance des crimes de guerre, des invasions barbares, etc., parce que cela travaillait énormément la France d’après la défaite.

Aujourd’hui, le cinéma a endossé cette part de spectaculaire, de popularité, de vulgarité quelquefois, et les débats qui vont avec. On n’invite pas les chanteurs d’opéra des productions en cours, et encore moins les compositeurs, sur des plateaux de télévision pour faire leur promotion ou transmettre leur vision du monde.

¶ Surtout, le choix des programmateurs a écarté l’opéra contemporain des scènes lyriques. Aujourd’hui, l’opéra est devenu un musée : sur une saison de 5 à 20 titres, vous aurez au maximum une œuvre composée dans la décennie, et ça n’arrive pas tous les ans… On rejoue essentiellement les œuvres du passé, et de surcroît les mêmes.

Je ne blâme pas les programmateurs (enfin, en réalité si, mais tout n’est pas de leur faute) : un certain nombre de contraintes leur échappent. Pour commencer, tout simplement la nature du langage musicale qui s’est énormément complexifié à partir de la fin du XIXe siècle, jusqu’à atteindre des expérimentations assez extrêmes au XXe siècle (le dodécaphonisme sériel décrète l’égalité entre toutes les notes et l’interdiction de les répéter, avec pour résultat un langage qui n’est plus compris par les auditeurs). Cela influe de surcroît sur l’écriture vocale (avec des intervalles de hauteur de plus en plus grands entre les notes), ce qui entraîne une compréhension beaucoup plus difficile du texte. Les livrets aussi, parfois centrés sur la vie des artistes, ou nageant dans des réflexions métatextuelles difficilement accessibles, pas toujours réussie et en tout cas peu ludiques, n’ont pas aidé.

L’opéra est donc devenu une sorte de musée, reflet d’un temps passé, où l’on chante à l’ancienne des œuvres déjà bien vieilles.

Je crois que j’ai tout dit. À bientôt.



MAIS NON.

Vous saviez bien qu’il y aurait un MAIS.

Un petit MAIS, et cependant un MAIS important. Tout ce que j’ai dit reste vrai, toutefois je voudrais ajouter un petit quelque chose.

Depuis une trentaine d’années, la liberté de création (et notamment la liberté d’emprunter des langages du passé) a connu un regain de force, et on trouve aujourd’hui des styles incroyablement divers dans la musique classique et dans l’opéra. Des œuvres quasiment parlées à base de phonèmes, des œuvres atonales avec des sujets métaphoriques, mais aussi des œuvres écrites avec un langage sonore plus proche de la musique de film, pleine de références, et qui évoquent des sujets actuels et très divers.

Il est difficile, dans une baladodiffusion et sans disposer des droits, de faire entendre l’immensité de l’étendue de ces styles musicaux, mais je peux au moins vous donner une idée des sujets.
On peut y parler d'histoire récente (Rasputine, Anne Frank, Die Weiße Rose, JFK, Nixon, Marilyn Monroe, de l'homosexualité chez les maccarthystes), de grands classiques (Minotaure, Ovide, Hamlet, Richard III, Frankenstein, Maison Usher, Moby-Dick, Dracula, plusieurs Cyrano, Canterville, plusieurs Solaris, T. Williams, Beckett, Pagnol avec la trilogie marseillaise…), on trouve de la littérature de jeunesse (Chat Botté, Musiciens de Brême, Blanche-Neige, Gulliver, Lord of the Flies, la Locomotive par l’auteur de L’Histoire sans fin, beaucoup en Russie et en République Tchèque), de films (Sophie's Choice, Marnie de Hitchcock, Dead Man Walking, The Addams Family, Lost Highway de Lynch, même une version en lipdub de Hercules vs. Vampires de Bava), de bandes dessinées (Max et les Maximonstres), des polars, des intrigues mathématiques, de livres de psychiatrie (The Man Who Mistook his Wife for a Hat), des suites d'opéras du répertoire (de la trilogie de Figaro, d'Aida, de Gianni Schicchi…), de l'exploration de phénomènes sociétaux (alpinisme, regards sur l'homosexualité, Alzheimer, le nucléaire), des opéras érotiques (Opéraporno en tournée française, Powder her Face, Das Gehege – où une femme rêve, je n'invente rien, de se faire déchirer par un aigle)…
Vous en trouverez quelques descriptions dans cette notule, qui représente la moitié ou le tiers de ce que j'avais trouvé sur une seule saison d'opéra !

Donc vous le voyez, l’opéra reste globalement un genre du passé, MAIS malgré la faiblesse du nombre des commandes et des reprises, l’opéra d’aujourd’hui est d’une diversité extrême, couvrant un nombre de sujets qui combine ceux du film grand public, du film d’auteur et du documentaire, et encore au delà.

J’avais réalisé une petite série « 1 jour, 1 opéra » sur Twitter et Carnets sur sol, qui essayait de présenter les œuvres originales données ce jour-là dans le monde.

N’hésitez pas à explorer l’opéra : il existe forcément un sous-genre qui vous touchera. Et si ce n’est pas dans les genres du passé, ce sera sans aucun doute possible dans les innombrables genres du présent.

Slava opéraïni. À bientôt !


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