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samedi 16 septembre 2006

Le disque du jour - IX - Intégrale des mélodies de Debussy (EMI, Dalton Baldwin)



1. La mélodie française

La mélodie française est un univers difficile, plus encore que le lied, sans doute car encore moins opératique, et lié à une poésie rétive à toute action, à tout affect clair, et même dans certains cas absconse. Elle présente la grande difficulté d'exiger une intelligibilité parfaite, et un sens du commentaire qui puisse être utilisé subtilement, sans aucune insistance. Car si la littéralité y est ennuyeuse, la lourdeur y est vulgaire. La ligne vocale est en outre très souvent située dans le passage, et toujours de façon très parlée, sans éclats ni confort pour la voix.
Ajoutons, mais à cela on ne peut rien faire, des poèmes assez peu musicaux et des mises en musique parfois très apprêtées, à la limite de l'affectation, peu naturelles à l'oreille francophone.

On imagine aisément la difficulté pour l'auditeur : d'une part faire preuve d'une attention très précise (et se fondre dans cette esthétique très spécifique), d'autre part dénicher des interprètes à la hauteur de ces pièces éminemment piégeuses.
Seule facilité : les accompagnements fonctionnent assez bien "seuls", c'est-à-dire indépendamment de l'engagement de l'interprète, et leur difficulté nettement plus prononcée que chez les germaniques tend à écarter les chefs de chant les plus littéraux. Pas trop de préoccupations de ce côté-là, donc.


2. La mélodie chez Debussy

Debussy n'écrit pas la mélodie dans le genre de Pelléas, absence d'intrigue dramatique et d'errance mystérieuse oblige. Pas non plus, mais cela on s'en doutera, dans la veine plus opératique de Rodrigue et Chimène, sorte de Tristan français. Pas plus dans le genre très laconique de La Chute de la Maison Usher. Non, il s'agit bien de mélodie, avec ses paroles égales, le fleuve monotone des mots qui s'amoncellent pour faire paisiblement sens.
Il y a bien entendu cette prosodie si particulière, à la fois errante, agile et comme badine. Pourtant, ce qui sonne le plus clairement debussyste réside dans l'acompagnement fluide et perlé, qui le distingue en un instant de n'importe quel autre corpus de mélodies.


Trois Mélodies L.81 - III - L'Echelonnement des haies. Gérard Souzay, Dalton Baldwin.
La mélodie où l'on peut sans doute le plus penser à Pelléas, une exception.


3. Le disque recommandé

Intégrale des mélodies en trois disques, chez EMI.

Y participent Mady Mesplé, Elly Ameling, Michèle Command, Frederica von Stade, Gérard Souzay et Dalton Baldwin.

Les caractéristiques sont uniformément : diction d'une grande clarté, toujours compréhensible (à condition, mis à part chez M. Mesplé et G. Souzay, d'une écoute attentive), parfaite maîtrise prosodique, grande intégrité stylistique, véritable intelligence de cette musique - difficile, on l'a dit.





Mady Mesplé fait montre d'une adéquation stylistique idéale avec cette musique. On songe à Mary Garden avec une meilleure technique, à une évidence héritée de la tradition, mais parfaitement intégrée à sa personnalité musicale. Ce n'est pas en vain qu'on la désigne comme l'une des grandes mélodistes. Cependant, c'est Elly Ameling qui emporte selon mon goût le pompon. Une voix ductile, de texture légère mais dotée d'un corps certain, une grande pudeur expressive mais selon toute apparence une joie presque triomphale à placer les sons dans le masque ; quelque chose d'une fraîcheur, d'une exultation assez enthousiasmantes. Etonnamment, Michèle Command (Mélisande chez Baudo, sa première et plus célèbre intégrale) peine un peu plus à se faire comprendre, et bien que francophone, on repère quelques acidités qu'on aurait plus attendues chez Ameling au passage à la langue française. Le timbre, d'une assez grande beauté, sonne plus proche du mezzo (plutôt du côté de sa Bellangère[1] que de sa Catherine d'Aragon [2]), et le résultat, malgré une petite opacité des couleurs en contraste avec Ameling ou Mesplé, est très réussi. Enfin, même sans être transporté par tout ce qu'a pu faire Gérard Souzay, il faut bien lui reconnaître ici une aisance sans pareille, plus enclin aux piani qu'ailleurs, atténuant ici sa couleur baytonnale qu'il force quelque peu selon les répertoires. Pas dans toutes les pièces, il est vrai : certaines font état d'une voix un peu "poussée".

Dalton Baldwin est égal à lui-même, et vraiment dans un bon jour : jeu très probe, précis et incisif, pas toujours très original mais ici dépourvu de raideur. Un excellent standard, en quelque sorte. Il parvient à donner un très beau relief perlé à ces pièces, son meilleur disque de notre connaissance.

Mon extrait choisi :

"Dans le jardin", sur un texte de Paul Gravollet. Elly Ameling, Dalton Baldwin.
Mélodie assez bouleversante, et nul ne pourra plus insinuer que le talent d'Elly Ameling est purement instrumental - nous avons là les preuves d'un talent véritable de diseuse, dans ce répertoire si délicat - et pas dans sa langue maternelle.


On comprend pourquoi ce coffret est recommandable : en plus d'être une intégrale (et très peu chère), il propose des interprétations excellentes de façon homogène. La variété des interprètes, habilement regroupés ou entrecoupés, soutient en outre l'attention.
Un autre disque que j'aime beaucoup est celui de Dawn Upshaw, pour les couleurs incroyables distillées avec grand art. Le français n'est pas mauvais mais le texte inintelligible (trop flou). Une autre vision, dépourvue d'angles, faite d'aplats surprenants. Pas très en style, mais assez stimulant.


4. Contenu et catalogue

Le coffret (actuellement disponible pour 20€ chez le vendeur en ligne quasi-philanthropique Amazon) comprend, toujours accompagné par Dalton Baldwin :

Suite de la notule.

David Le Marrec

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