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Récital Cécile Perrin / Jean-Marc Fontana (30 novembre 2007) - Massenet, Poulenc et Yvonne Printemps

Devant les invitations répétées à fournir des comptes-rendus de concert, nous sacrifions pour une fois les investigations sur les oeuvres et autres bavardages sur des détails de langue à une petite évocation de concert.
Rien n'est plus prévu, de toute façon, pour CSS avant fin janvier - à moins que nous ne nous laissions entraîner, demain soir, vers le choeur de Cambridge, comme le suggérait Morloch.


C'est à un récital qui clivera assurément l'assistance que nous avons assisté ce vendredi midi - pour une saison de concerts du midi décidément luxueux. [Le concept en est un récital vocal bref, à la pause de midi, par des chanteurs inconnus ou modérément célèbres, à un tarif unique de 6€. Sans doute pour but de donner envie au public d'assister aux opéras et récitals du soir. C'est aussi une chance donnée à des chanteurs pas forcément sollicités par ailleurs pour des récitals à cause de leur confidentialité - ils ne rempliraient pas en soirée.]

Premier intérêt : des programmes qui demeurent toujours aussi originaux. Il s'agit de faire varié pour appâter un public qui n'est pas celui des habitués du concert, mais bien du personnel de bureau du centre-ville ; de faire plus léger qu'un récital traditionnel au besoin - les chants traditionnels, les tubes opératiques et le music-hall y ont aussi, dans une certaine mesure, leur place.

Second intérêt : cette saison, des chanteurs excellents sont programmés ; comme ne pas se réjouir de voir l'esprit ravageur de Daphné Touchais, la tessiture haute de Philippe Do, la présence vocale de Jérôme Varnier récompensés ?

Ce vendredi, ainsi, voyait Cécile Perrin pour trois quarts d'heure sur la scène du Grand-Théâtre.


Comment cette grande voix, prompte au cri, pourrait se tirer d'affaire d'un récital intimiste avec piano ? La réponse figure aussi bien dans le programme que dans la nature même de sa prestation.



Débutons par le programme :
Jules MASSENET :
=> Hérodiade, air d'entrée de Salomé
=> Ariane, dernier air d'Ariane
Francis POULENC
=> "Carafon", extrait de La Courte Paille
=> "La Reine de CÅ“ur", extrait de La Courte Paille
=> "Festes Galantes", extrait de Deux Poèmes de Louis Aragon
=> "Les Chemins de l'amour", sur un texte de Jean Anouilh
André MESSAGER
=> "J'ai deux amants", tiré de L'Amour masqué
Oscar STRAUS
=> "Saison d'amour", tiré de Trois Valses
QUATRE BIS :
=> Yvette Guilbert (texte Paul de Kock), "Quand on vous aime comme ça"
=> Eric Satie, "L'Air du poète"
=> Joseph Kosma, "Art poétique"
=> Joseph Kosma, "La petite chèvre"

Habilement conçu pour basculer au sein du Poulenc qui débute par deux mélodies sérieuses vers un hommage à Yvonne Printemps dont l'esprit se perpétue dans le choix des quatre bis, également d'esprit léger (un Guilbert, un Satie, deux Kosma).

Evidemment, les goûts de CSS trahissent une inclination coupable pour le sérieux sinistre - ou en tout cas, pour un humour aux oeillades un peu moins appuyées que celui du répertoire d'Yvonne Printemps. Musicalement, les deux tiers (trois quarts en comptant les bis) de ce récital n'étaient donc pas éminemment consistants ; il n'empêche qu'on a pu y prendre du plaisir comme vous l'allez voir.

Tout d'abord, on ne saura trop remercier Cécile Perrin pour avoir mis en valeur ces Massenet rares - surtout Ariane, qui malgré la dixième place du compositeur au palmarès des plus enregistrés, n'a jamais paru au disque à ce qu'il semble. Une générosité peu comprise du public, y compris habitué, vu l'accueil un peu parcimonieux, sans doute épouvanté par certaines caractéristiques techniques de son chant - et dérouté par l'aspect inconnu de ces choses.
CSS connaissait bien, pour l'avoir déjà recommandé à de jeunes sopranes souhaitant travailler leur médium grave et la préparation des aigus, l'air de Salomé, assez accessiblement techniquement, mais valorisant, absolument délicieux de fraîcheur émerveillée. Avec la domination de l'oeuvre de Richard Strauss sur le répertoire, la pièce se charge de surcroît d'un sous-texte très stimulant. Le contexte tragique y prend place en forme de « gambaderie » d'un grand lyrisme.
On reviendra sur la grande déploration d'Ariane, bien plus rare, en évoquant la prestation de l'interprète mise à l'honneur ce jour. Signalons d'ores et déjà le grand soin stylistique, parfaitement juste, de la part des deux protagonistes de ce récital.


Commençons par nous réjouir de la métamorphose opérée par Jean-Marc Fontana, le répétiteur local. En un mois, plus rien n'était reconnaissable ; plus de sons durs et cassants au moindre forte, plus de retards chroniques sur les chanteurs, plus de pains fébriles pour le moindre Fauré...
Bien au contraire : un son homogène, tout à fait agréablement feutré, une musicalité qui se paie le luxe d'oublier toute son habituelle littéralité pour parvenir jusqu'à l'ironie souriante de la valse des Chemins, et un Massenet parfaitement en style - ni dégoulinant comme du Puccini, ni ascétique en le pensant comme du Schubert. Du vrai goût français, avec cette mollesse voluptueuse tout à fait maîtrisée.
Pourtant, c'était bel et bien lui sur scène. Même si le programme était digitalement assez facile, quel différence depuis le récital pas beaucoup plus piégeux de Maïra Kerey en octobre ! On suppose donc un grand effort, pour quelqu'un qui n'avait pas l'habitude de se produire en public et avec des exigences de musicalité élevées (par rapport aux filages avec piano des productions dans lequelles il n'apparaissait donc pas publiquement) ; un grand effort pour surmonter une timidité manifestement galopante - au milieu de Messager, l'avant-derière pièce du programme, ses doigts tremblaient encore ! Du coup, on imagine que, confiant en ses aptitudes de déchiffreur, la paralysie ait pu le saisir et produire des effets parfois déconcertants jusque dans le toast du Toréador qu'il a pourtant forcément accompagné il y a peu d'années, et qui s'était révélé un naufrage absolu (absolument pas en rythme, des pains à chaque mesure) il y a quelques mois.
On est donc très heureux qu'il ait su rétablir la situation en sa faveur pour ce qui était la principale réserve musicale de cette manifestation - un accompagnement prosaïque. Les Massenet étaient même fort beaux, nuancés avec délicatesse.


En tout état de cause, dans ce type de récital, tout le monde n'a d'oreilles que pour la soliste. Cécile Perrin est une personnalité controversée, qui souffre en effet d'un défaut handicapant : à partir du point de passage, la voix se désarticule, devient molle et criée - un peu à la façon de certaines wagneriennes (Deborah Polaski, par exemple). Comme si le mécanisme basculait en arrière et mixait légèrement le son, lui faisant perdre son assise et rendant sa fermeté (et donc sa justesse) plus aléatoire. De pair, si le son évite ainsi toute dureté, le risque de perte de maîtrise du vibrato, voire de cri est grand. Et en effet, on a pu en juger dans son Fidelio de la saison passée, Cécile Perrin tend à crier fortement dans l'aigu - la note n'est pas « refermée », en quelque sorte.
Le problème se pose essentiellement dans les deux pièces opératiques, les autres étant bien plus graves et parlando ; autant dans un grand format la chose est négociable, autant dans un récital avec piano, le risque de tonitruance est grand. Notre interrogation portait précisément sur cette question.

Et c'est avec une infinie habileté que l'artiste, manifestement très consciente de ses caractéristiques techniques, s'est tirée de ce pas. D'abord avec un programme en grande partie léger, évitant les envolées dont l'ampleur démesurée aurait fini par assommer son public. Ensuite en ménageant dans l'aigu des piani très ronds avec une facilité déconcertante, ce que lui permet cette émission mixée après le point de passage. Tout à fait sonores cependant, ils évitent fort opportunément les forti disgracieux. La maîtrise de la transition d'une nuance à l'autre sur la même note est par ailleurs tout à fait admirable.

Ces qualités se déploient tout entières dans l'élégiaque air d'Ariane, à la mezza voce parfaitement maîtrisée. Dès le début du récital, n'hésitant pas à ménager de longs silences expressifs. L'actrice aussi convainc, avec un engagement précis et fortement suggestif. Il est vrai de surcroît qu'elle porte à merveille le masque tragique, avec ces yeux et cette bouche allongés - une digne épure.

Plus encore, on est fasciné par la densité admirable de ce médium, d’un tissu tout à la fois doux et intense. Et cette diction (française) parfaite, qui semble se superposer à la ligne vocale (et non faire corps) – et des « r » mi-roulés, mi-grasseyés, à l’ancienne. On pense aussi à Valérie Millot (qui a reçu cette école d’Andrea Guiot).
On sourit en effet lorsque notre œil s’attarde sur la note biographique qui indique la prise de cours avec Régine Crespin. C’est exactement cela : exactement la même belle technique de diction [à ceci près que dans d'autres circonstances l'allemand de Cécile Perrin est, disons, désordonné] ; médium très présent, splendide, qui capte instantanément l'attention ; problèmes récurrents d'aigus. La nature de la voix (et de la technique) n'étant pas identique, Cécile Perrin se trouve plutôt confrontée au problème du vibrato incontrôlé là où Régine Crespin se situait sur l'autre versant du même problème du vieillissement des voix dans les emplois très lourds : l'assèchement de l'aigu jusqu'au cri. Mais la filiation par l'enseignement permet ici de remettre les choses en contexte de façon lumineuse.

Cécile Perrin se confirme ainsi pour nous une personnalité extrêmement attachante ; autant, dans Fidelio, les problèmes de mémoire avec l'allemand produisaient des effets qui réduisaient son attraction au seul magnétisme (considérable) du médium et à sa présence scénique d'une dignité hors normes, comme suspendue au milieu de la tourbe humaine ; autant, ici, ces qualités conjuguées à son rapport privilégié au texte emportent notre pleine adhésion.


Car la vaste partie légère du récital révèle d'autres vertus que sa seule diction française émérite. Un sens du texte, bien entendu, on s'en était déjà aperçu, mais plus encore, un sens aigu de l'humour français, où la pointe prévaut sur le rire. Jamais on ne rencontrera les appuis de Felicity Lott dans ce répertoire où elle triomphe - son jeu précieux avec la vulgarité. Non, c'est bel et bien la retenue qui pique qui est privilégiée ici, jusqu'à rendre raffinées ces mélodies qui égrènent plaisamment poncif sur poncif.

Que c'est bête un homme ; alors vous pensez - deux., pour en prendre l'exemple emblématique, n'insiste pas d'un air éméché vaguement nymphomane sur homme, n'appelle pas le rire gras de son martèlement complice sur "deux" ; non, Cécile Perrin y met une désinvolture toute délicate, presque philosophe. Une forme de raffinement français qui sied à merveille pour une telle musique et un tel humour - expressif, mais en travaillant délibérément sur la retenue.
Jeu de scène formidable, et tout aussi fin.


Bien que quelques habitués aient regretté de ne pouvoir juger pleinement de sa voix dans un tel programme (n'ayant pas nécessairement le format Yvette Guilbert-type) - mais ils l'avaient déjà fait pour Jonas Kaufmann, qui chantait ses lieder trop piano pour donner une idée complète de son extension vocale -, la partie légère, en raison de son accessibilité, de sa gouaille intrinsèque et du jeu de scène de l'interprète, ont suscité une adhésion bien plus vive, faisant oublier les frayeurs des éclats sonores du début - d'autant plus difficiles à supporter pour des spectateurs de passage, qui ne maîtrisent pas nécessairement tous les codes des genres lyriques pour s’en « protéger ».
CSS s'est surtout repu de la courte première partie - sérieuse et rare -, mais qu'importe, chacun y a trouvé son compte, et pour la première fois sans doute, nous avons même pleinement adhéré au propos humoristique mais habilement raffiné qui occupait le reste du récital. Pourtant, avec de telles pièces qui ne sont pas toujours de l'esprit de mots le plus délicat, l'outrance payante est si aisée.
Un salut supplémentaire au sérieux de Cécile Perrin s'impose donc.

Encore une fois, le verdict qui nous vient est double. Avisé. Avisé quant aux conditions du récital qui se prêtaient bien à ce contenu presque informel, quant à la connaissance des qualités et défauts de l'interprète, évitant toute éventualité d'être mise en difficulté par la langue, ou d'asséner des aigus trop sonores pour un récital avec piano. Attachant. Par le soin du médium, de la diction, de l'investissement, du ton, du port, du jeu.
Un moment qui n'a sans doute rien d'exceptionnel, mais qui n'en reste pas moins vraiment délectable.




N.B. : Nous ne disposons hélas pas du temps suffisant pour détailler les oeuvres - ce qui est toujours le plus long et le plus délicat. Nous y renonçons sciemment - d'autres plus essentielles nous attendent pour nos prochains voyages. Il faut absolument un souci aussi précis de ce que l'on choisit et chante que dans ce récital - pour que parler d'interprétation tienne proche des oeuvres.


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