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Carnet d'écoutes - Consternation triomphale

Remerciements à Jaky.

Finalement, je n'aime pas l'opéra. Pas du tout.

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Grâce à un généreux prêt, je découvre ce récital auquel je n'avais pas projet de jeter oreille initialement, mais que la curiosité se satisfait fort d'entendre.

Dans ce récital consacré au répertoire du ténor Rubini, Juan-Diego Flórez fait valoir sa jolie glotte et les pires défauts de sa voix et des musiques choisies.

Timbre agressif (plus que par le passé, lassitude de ma part, improbable fatigue de la bête ou répertoire plus lourd pour ce studio ?), probablement très sonore mais très chargé en harmoniques métalliques. Une seule couleur, certes éclatante. Une nuance (le forte). Aucune construction psychologique.

Pour les airs, la platitude est due au principe même du récital d'opéra, surtout lorsqu'il est axé autour d'un genre aussi stéréotypé que l'air-brillant-pour-ténor-belcantiste-de-format-moyen.

Hélas, une bien méchante image de Guillaume Tell (extrait ci-dessus) est ainsi injustement donnée.

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Il faut saluer l'excellent travail de Roberto Abbado (avec l'orchestre de l'Académie Santa-Cecilia de Rome), alerte et rebondissant - la manière Pidò semble faire des adeptes dans le répertoire, et l'on ne pourra qu'exulter à cette nouvelle. La vraie consolation de ce disque.

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D'abord très impressionné à son apparition (une sorte de virtuosité bartolienne infinie apparue chez les ténors), puis mitigé sur son souci de la voix prenant le pas sur ses choix de rôles et même sur ses incarnations, ensuite lassé par son indifférence absolue au texte et sa monochromie constante (très piètre acteur pour parfaire les choses), et aujourd'hui agacé jusqu'à n'y plus tenir. Voix idéalement placée, sonore, brillante. Mais fatigante. Et tout cela très plat et ennuyeux. Une glotte sur pattes, dont on regrette qu'elle n'interprète pas des exercices plus périlleux encore, chaque morceau paraissant des échauffements bénins très au-dessous de ses moyens - et de toute façon absolument pas interprétés en tant qu'oeuvre d'art.

Il est vrai que la présence d'un timbre très caractéristique mais sans aucune capacité de varier les couleurs (toujours en position d'émission "optimale"), le refus de sacrifier le moindre quart d'once de plénitude vocale à l'expression, le sentiment que le chanteur est exclusivement préoccupé de son seul maintien vocal, l'incapacité irrémédiable à la nuanciation (même écrite), à l'originalité du phrasé, tout cela ne nous est pas très engageant.

L'écoute suivie de ce récital, par son uniformité musicale (les pièces retenues, très peu modulantes [1], et surtout l'interprétation totalement indifférenciée), devient très vite pénible - l'impression d'entendre en boucle le même air pendant une heure. Evidemment, tous ceux sur ce même patron ont été ressortis pour l'occasion. Les plus semblables possibles, comme il ne faut pas faire. Surtout lorsqu'on a affaire à un diable pareil qui les interprètera tous de façon identique.

Naturellement, c'est là un grand chanteur, qui mérite sa carrière par les qualités bien précises qu'il a recherchées et développées au plus haut point. En ce sens, il s'est aussi pleinement accompli qu'il est imaginable (essayez par exemple de sentir les différents « passages » où « tourne » la voix : impossible, homogénéité parfaite, même le falsetto [2] occasionnel du suraigu est très bien intégré).

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En fin de compte, selon mon sentiment, une valeur non pas fausse mais discutable.

Technicien hors pair ? Oui, mais dans une seule perspective. La technique consiste aussi dans la capacité à produire des nuances, à s'adapter à des styles. Somme toute, Juan-Diego Flórez ne sait produire que de l'agilité brillante. Certes, il est le meilleur dans cette catégorie, ce qui lui fait tenir (à juste titre) tous les premiers rôles qu'il y voudra. Pour chanter ne serait-ce que de la mélodie italienne, c'est impossible.

Artiste ? On le cherche encore, mais on finira par le trouver. On a reproché, et à juste titre, une tendance lourde chez Bartoli, du moins jusqu'à une certaine période, à l'expression stéréotypée, ouvrant la boîte à types pour incarner de façon systématique ses airs. Ici, le reproche ne tiendra pas, il n'y a qu'une seule expression : le triomphe (consternant).

Notes

[1] Modulation : changement de tonalité au cours d'une pièce, qui permet notamment d'en renouveler les couleurs et d'éviter l'effet de lassitude.

[2] Fausset ou voix de tête, mode d'émission qui diffère du mécanisme vocal général. C'est ce qu'emploient les contre-ténors.


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Commentaires

1. Le dimanche 10 février 2008 à , par HerrZeVrai

Tu connais son Matilde di Shabran de Rossini avec Annick Massis chez DECCA ?
Il me semble qu'il y est moins effrayé par le sens de la nuance, que le timbre rêche convient très bien à Corradino coeur de fer et que malgré tout il semble toujours absent de son rôle: cette perfection est peut-être tout simplement désagréable... Et pourtant, jamais ce problème avec Ramey, tout aussi parfait techniquement et plus nuancé (pour rester dans le répertoire italien).

2. Le dimanche 10 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Non, je n'ai pas osé ce disque. Il n'y a qu'une seule chose que je n'aime pas dans tout le répertoire d'opéra, ce sont les quelques seria très creux de Rossini et Donizetti (il y en a de bons dans le lot). Et j'ai des doutes sérieux sur Matilde - Elisabetta, regina d'Inghilterra m'a laissé traumatisé, à faire passer Akhnaten pour une oeuvre profonde.

Je crois comme toi, que la perfection (et surtout sa régularité) est profondément disgracieuse. Surtout que nous avons de la perfection sur une seule couleur, à même intensité, privée d'expression.
La perfection vocale, Fischer-Dieskau l'avait aussi dans les années cinquante et soixante... Mais.

Ramey, lui aussi un modèle technique - et une voix très homogène - est aussi un grand homme de théâtre, capable d'habiter ses rôles comme peu. Ca change tout.

A la décharge de Flórez, les rôles pour lesquels il s'est calibré sont vraiment parmi les moins riches psychologiquement du répertoire. Il ne peut même pas se ressourcer dans d'autres univers.

3. Le lundi 11 février 2008 à , par HerrZeVrai

Rien à ajouter sur Flórez, homme de spectacle plus que de théâtre je crois.

Matilde di Shabran est un très bon SEMI-seria, j'ai eu un sentiment d'unité de bout en bout, un livret plutôt bien mené, en dépit d'une fin Happy end bien malvenue selon mon souvenir (c'est-à-dire que tout laissait présager le contraire et soudain ! à vérifier, ça fait trop longtemps): mais comme c'est du semi-seria, ça doit passer !

D'ailleurs je crois que ça doit passer à la radio bientôt, si ça te tente...

4. Le lundi 11 février 2008 à , par HerrZeVrai

Ah j'oubliais aussi à propos de Matilde: Rossini a déjà composé tous ses opere majeurs de la période italienne si l'on excepte Semiramide pour lequel je sais que tu as beaucoup beaucoup d'affection. La forme de ce semi-seria est probablement un facteur de cette unité que j'y ai trouvé: l'art des pezzi chiusi (?) mené à son terme, beaucoup de morceaux de style, que ce soit pour chanteurs seuls ou duos, trios, quatuors, quintettes, etc... de très beaux finale (ou li ?)... très roboratifs ;D

5. Le lundi 11 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Grmpf, oui enfin, ça me tente... disons que la dernière fois que c'était passé, je l'avais soigneusement évité. Trop neuf. A présent, je me laisserais peut-être tenter par une oreille, mais pas sûr que je parvienne à y prendre longtemps plaisir, surtout avec ce duo de choc qui risque de sonner un peu trop hédoniste à oreilles (quoique, j'aime beaucoup Massis).

Oui, dans le seria en fin de course de cette époque, ça finit souvent pas bien. Mais le côté artificiel du dénouement est assez typique de l'exercice. Parce qu'en plus de devoir écrire de la musique conçue comme des exercices d'assouplissement vocaux, les compositeurs disposaient des librettistes les plus calamiteux de l'histoire de l'opéra. Lorsque le livret est bien trafiqué, comme pour Stuarda, c'est tout de suite plus digeste - à défaut de se réécouter.

Le plus saisissant est de constater la métamorphose de ces compositeurs lorsqu'ils écrivent pour Paris : tout de suite, de grands récitatifs soignés, des scènes paroxystiques, un sens du rythme dramatique, des climats progressifs et variés...

6. Le lundi 11 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

si l'on excepte Semiramide pour lequel je sais que tu as beaucoup beaucoup d'affection.

Ah tiens, tu sais ça ? :-) Oui, je l'ai dit. Quelque chose de ce genre.
Anzi in prova
Di suo amor, di sua fede,
Questo bel ritrattino ella mi diede.


La forme de ce semi-seria est probablement un facteur de cette unité que j'y ai trouvé: l'art des pezzi chiusi (?) mené à son terme, beaucoup de morceaux de style, que ce soit pour chanteurs seuls ou duos, trios, quatuors, quintettes, etc... de très beaux finale (ou li ?)... très roboratifs ;D


Ah oui, s'il y a des ensembles un peu intéressants, pourquoi pas.

de très beaux finale (ou li ?)

Finals ou finali, mais en français on n'emploiera que le premier pour le pluriel. Tu peux aussi le garder invariable, comme je fais pour seria.

7. Le lundi 11 février 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Ah, j'oubliais :

l'art des pezzi chiusi (?) mené à son terme,

Gniârk.

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