Le disque du jour - XXVIII - Tiefland d'Eugen d'Albert à Zürich (DVD)
Par DavidLeMarrec, lundi 2 mars 2009 à :: Les plus beaux décadents - Le disque du jour :: #1163 :: rss
L'oeuvre
Tiefland, souvent présenté - avec quelque raison vu le sujet, et même considérant la continuité du propos musical - comme un spécimen d'opéra vériste allemand, est cependant une oeuvre d'une constante inspiration musicale. Le grand interlude de la descente vers les Terres basses constitue l'une des parties instrumentales les plus jouissives de l'histoire de l'opéra.
Largement marqué par Wagner, avec un sérieux très net, légèrement éclairé par des échos discrets de foklore, le langage d'Eugen d'Albert a plus de parenté avec les raffinements des derniers lieder de Reger - rien à voir avec ses oeuvres symphoniques moins subtiles - ou avec Humperdinck et Siegfried Wagner qu'avec les chatoiements de Strauss ou l'austérité un peu sèche de Pfitzner.
Il faut dire que le ton harmonique allemand est éclairci par des touches de lyrisme assez italiennes.
L'adieu de Pedro aux Terres Hautes et le postlude de descente vers les Terres Basses. On peut penser, sans doute pour la seule fois de l'oeuvre, à Richard Strauss, et précisément à la fin du premier tableau de l'acte I avec sa descente chez les hommes. Tiefland est bien antérieur (1903 contre 1919). Et on peut aussi songer au ton populaire de Cavalleria Rusticana de Mascagni.
Vous entendez Rudolf Schasching (Nando), puis Peter Seiffert (Pedro), et l'Orchestre de l'Opéra de Zürich dirigé par Franz Welser-Möst.
CSS a prévu depuis assez longtemps de consacrer une note ou une série à cet opéra, et ce n'est pas ici le lieu.
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Le produit
On signale simplement la parution en DVD d'une version dont nous ne connaissons que le son, en tout point extraordinaire. Et l'une des très rares captations de Matthias Goerne dans un de ses rôles scéniques.
Il s'agit de la production zürichoise [1], reprise à Barcelone à l'automne dernier. (N'étaient les dix-huit heures de train aller-retour, nous aurions fait le voyage plus volontiers encore que pour Salammbô.)
L'action semble y avoir été transposé (naturellement...) dans les bureaux de quelque régime autoritotalitaire. Le sujet s'y prête bien, même s'il est à craindre que la disparition du pittoresque soit dommageable, surtout au profit d'un déjà -vu. Cela dit, Zürich choisit souvent des metteurs en scène originaux mais modérés, avec de bonnes directions d'acteur. Ce dernier point n'était pas franchement le fort de la vision, laide sans être réellement agressive, de l'Elektra parisienne de Matthias Hartmann, mais il faut voir pour dire.
Franz Welser-Möst y confirme, si besoin était, qu'il est sans nul doute l'un des plus grands chefs vivants. Ce qu'il a fait d'un orchestre de fosse est tout bonnement un miracle, et dans tous les répertoires. Incisif, limpide, spirituel. Evidemment, la partition et son orchestration s'y prêtent moins ici, mais l'élan qu'il imprime porte totalement le son et l'action.
Et en deux mots, très grossièrement, juste manière de ne pas rester tout à fait muet sur le sujet : côté chanteurs, Peter Seiffert, dont la voix s'abîme prématurément, montre un vibrato inquiétant (et plus du tout maîtrisé, vraiment des bonds à la manière visuelle des girophares), mais l'électricité de l'interprétation balaie toute réserve. L'inséparable épouse Petra-Maria Schnitzer se montre comme toujours très solide, mais sans l'indifférence qu'on lui a beaucoup prêtée et qui est parfois plus sensible dans d'autres rôles. [Il faut à ce propos leur rendre hommage pour leur effort en vue d'imposer Tiefland sur de nombreuses scènes.] Matthias Goerne, aussi prince que brutal, réussit toutes les facettes du personnage, et fascine toujours par sa voix enveloppante. N'étant pas inconditionnels de László Polgár, les lutins ne pourront que mentionner l'excellente tenue qui sied à un chanteur de son rang. Et gros coup de coeur pour le lyrique léger d'Eva Liebau, dans le rôle ambigu de Nuri, dont elle maîtrise chaque aspect, aussi bien l'ingénuité douteuse que la séduction, et toujours un splendide lyrisme dans un timbre digne de Mimi Coertse ou de Lucia Popp.
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Le verdict
Un excellent opéra, accessible aux décadents aussi bien qu'aux pucciniens, au livret très bien conçu, dans une version extraordinaire, avec de surcroît le visuel pour les fainéants. Immanquable.
Paru depuis le 26 janvier chez EMI en DVD.
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Et au disque ?
Pour ceux qui ne voudraient pas du DVD, même simplement pour écouter, on peut recommander la version de Hans Zanotelli (Eurodisc, 1963), une superbe présence (bien secondée par la prise de son). La distribution ne paraît pas si éclatante, mais le résultat est réellement prenant : Isabel Strauss, Rudolf Schock, Gerd Feldhoff, Ivan Sardi. (Sardi est particulièrement ébouriffant.) Le disque semble difficile à trouver désormais et, l'ayant capté à la radio, les farfadets sont un peu en peine
A l'inverse, l'appétissante version Moralt de 1957 (celle parue chez Philips) est un studio de la pire tradition du Wiener Symphoniker : son de radio tout plat (ajouté au style, jamais très sensible au relief, de Moralt...), et grands noms qui chantent poliment leur partie chacun à leur tour. Oui, même avec Gré Brouwenstijn, Hans Hopf, Paul Schöffler, Oscar Czerwenka et jusqu'à Eberhard Wächter et Waldemar Kmentt dans les petits rôles, c'est assez ennuyeux et ne rend pas, en tout cas, justice à l'oeuvre - loin s'en faut.
Notes
[1] Ou alors, comme adjectif, à franciser en zurichois... Dur de se décider.
Commentaires
1. Le mercredi 7 juillet 2010 à , par Guillaume
2. Le jeudi 8 juillet 2010 à , par DavidLeMarrec
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