Carnet d'écoutes - C'est Wagner qu'on mutile
Par DavidLeMarrec, jeudi 26 mars 2009 à :: L'horrible Richard Wagner - Carnet d'écoutes :: #1183 :: rss
Est-il besoin de préciser ce que CSS pense des concerts instrumentaux wagnériens constitués à partir d'extraits de ses opéras ? Les pages les plus brillantes, quand ce ne sont pas les plus bruyantes, toujours les mêmes, sont détachées pour faire croire au public néophyte ou instrumental que Wagner, c'est grandiose et dynamique - alors que l'immense majorité, en termes de durée et même d'essence de sa musique, est plutôt intimiste... et molle.
Ce malentendu persiste depuis fort longtemps et dessert l'approche de Wagner. Ceux qui n'aiment pas ces extraits finissent de considérer Wagner comme un paléonazi dont la caractéristique principale réside dans des tintamarres grossiers, presque institutionnels. Ceux qui apprécient la vigueur, l'ampleur et le brillant de ces moments sont toujours désarçonnés, quand ce n'est franchement déçus, par l'écoute intégrale des oeuvres du Maître - pas seulement des opéras au demeurant, car ses symphonies (très faibles, mais à rapprocher des symphonies pour cordes de Mendelssohn, en plus classique) ou sa musique pour piano (quelque part entre Beethoven et Czerny, avec quelque chose de plus galant), sans même compter ses lieder (qui ne se limitent pas aux Wesendonck), sont d'un caractère vraiment mesuré et discret. Alors, le néophyte wagnérien attend patiemment (ou pas) de retrouver la mélodie accessible ou le grand moment de bravoure orchestral - à fréquence environ d'un par heure... Avec une déception, ou une vraie difficulté d'approche à la clef.
Surtout, en plus du fait que ce ne sont pas les pages les plus essentielles de Wagner qui sont retenues, en plus du caractère trompeur et contre-productif de la manoeuvre, ces pages orchestrales sont le plus souvent données... tronquées !
Tronquées parce qu'il faut bien donner un début et une fin à ce qui est situé au milieu d'un opéra ; tronquées parce qu'un concert symphonique ne peut pas se permettre de faire entendre des plages trop longues de musique, surtout avec des baisses de tension instrumentale, et qu'il y a donc des collages (rarement heureux, ou du moins rarement du niveau de Wagner...) ; tronquées enfin parce que, en règle générale, les voix supprimées ne sont pas remplacées par des instruments, et il manque donc la ligne mélodique la plus évidente !
Il y a fort à parier, de surcroît, que ce refus de remplacement se fait au nom du sacro-saint Respect de la Musique, un dogme qui justifie parfois un peu trop de choses, et en l'occurrence du respect de l'orchestration parfaite (vraiment, même dans Götterdämmerung ? [1]) de Wagner. [ou bien de l'économie de nouveaux matériels ? il n'est pourtant pas compliqué d'ajouter une ligne sur le conducteur et de griffonner deux répliques sur la partie des hautbois]
Nous avons été, dans un désir d'édification, jusqu'à assister à ces amas d'ouvertures, d'interludes et d'accompagnements dépareillés, en concert ! Résultat encore moins convaincant qu'au disque, parce qu'en plus, on ne peut vraiment pas faire autre chose. Et puis on se console toujours en se disant qu'un jour, on pourra réutiliser l'objet pour faire un karaoké entre wagnéropathes à l'occasion du premier de l'an.
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Aujourd'hui, donc, un disque, que nous ne recommandons pas, mais qui présente la caractéristique en fin de compte pas si fréquente de proposer des moments de bravoure, y compris vocaux (donc des extraits un peu moins fréquents en concert symphonique), avec substitution (dans certains cas...) d'instruments aux lignes vocales. Ladite substitution se fait plus volontiers au trombone qu'au hautbois ou à la clarinette (ou même au cor) comme nous l'aurions pensé, mais c'est un peu l'esprit, on l'a dit, de ce genre de projet...
Klaus Tennstedt maîtrise sans doute...
Notes
[1] Les fanfares de cuivres du Crépuscule des Dieux gâchent en effet un grand nombre de contrechants subtils confiés en particulier aux bois. CSS en est donc réduit à préférer la réduction pour piano de Max Ernst à l'original, d'autant plus que le piano met mieux en valeur tous les merveilleux frottements harmoniques amoureusement déposés par le compositeur.
Klaus Tennstedt maîtrise sans doute bien le grandiose de ces pages, et ses extraits sont plutôt meilleurs qu'à l'accoutumée : fin de l'Or du Rhin qui comprend le thème de Donner et une progression du thème du Walhalla, 'Adieux de Wotan' qui débutent à partir de l'enchantement du sommeil, et moments qui encadrent l'éphémère duo d'amour du Crépuscule (écho de la fin de Siegfried, mais aussi séparation qui s'avère vite définitive). On entend très fortement les coutures, évidemment (le postlude de Rheingold en particulier...), étant donné que par respect, on ne s'est même pas donné la peine d'écrire des transitions de deux mesures, mais simplement de faire joujou avec le sécateur.
Evidemment, beaucoup de choses tombent à plat ou tournent en rond. Pour le second cas, les Murmures de la Forêt, qui au lieu de seconder ou de répondre à Siegfried durent et se répètent à l'infini. Certes, cela permet d'écouter attentivement la magie suggestive de cet orchestre, mais au bout de cinq minutes de Waldvögel en boucle, on commence à fatiguer, surtout que cela ne mène nulle pas contrairement à la Mer de Debussy par exemple : le discours est une toile de fond pour du théâtre, et il n'évolue donc pas, contrairement à ce que ferait une pièce symphonique... Pour le premier cas, la fanfare triomphale du Rheingold perd inévitablement tout son sens ironique : alors qu'on la joue comme un morceau de bravoure orchestrale, elle n'est rien de moins que le point de départ de Ragnarök, et la pompe des dieux est aussi liée à la rupture des Pactes par celui qui les a initiés pour créer l'équilibre du monde, et donc à la destruction inévitable de leur pouvoir et même de leur existence.
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On ne parle même pas de la Chevauchée-Ballet des Walkyries, l'un des seuls moments où Wagner fait preuve d'humour, aussi bien dans la musique dansante de leur entrée que dans la situation.
Je suis donc partisan d'accentuer légèrement la double-croche pour procurer le rebond nécessaire à la danse, ce qu'à peu près aucun chef ne fait (Furtwängler en 1950 à la Scala et surtout Kempe en 1960 à Bayreuth vont tout de même plutôt dans ce sens). On peut entendre ce que l'on veut dire dans nos Adieux de Wotan (retour du motif derrière Aux accents de ta voix, dans la dernière réplique de Brünnhilde).
Il est vrai que Wagner écrit un accent sur le temps, indication malheureusement aussi scrupuleusement que bruyamment respectée par les chefs.
Quant à la situation, la dispute joyeuse et pittoresque des guerrières célestes ne prête guère, il faut bien le dire, à l'isolement solennel qu'on lui fait subir - alors qu'il s'agit du seul moment d'allègement vraiment riant de tout le Ring (sans les arrières-pensées des méchants ténors de caractère).
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Maître des grands espaces (on recommande bien sûr tous ses Mahler), Tennstedt n'a cependant pas la fluidité minimale qui sied à Wagner, ici souvent conçu comme un tutti permanent, une masse - pas forcément très sonore, mais toujours d'un bloc.
Et, surtout, Philharmonique de Berlin ou pas, on est un peu ahuri devant le manque de fondu entre les pupitres, et plus que tout des décalages permanents entre groupes - en particulier entre bois et cordes, voire entre bois eux-mêmes. Du flagrant, de l'ordre de la triple croche ! On a même pensé à une question de prise de son, mais les unissons ou les octaves entre bois se réalisent à partir de lieux proches, et, même avec une prise de son sur les genoux, on n'entend jamais ces choses-là, à moins de formations véritablement limitées techniquement. A moins que le mixeur soit un incompétent notoire, ou plus vraisemblablement un fou furieux, on ne voit pas d'autre explication qu'un véritable problème à l'orchestre - et chez le chef dont c'est tout de même un peu le boulot.
De surcroît, le son n'est même pas si beau que cela...
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Après ce soulagement de trouver une partition symphonique vaguement plus conforme à l'esprit de Wagner (grâce au remplacement en certains endroits des voix manquantes et à un découpage un peu plus intéressant qu'à l'accoutumée), et après toutes les déceptions qui demeurent, sans que nous recommandions le moins du monde ce disque, les lecteurs de CSS les plus téméraires peuvent perdre un peu de leur temps en y jetant un coup d'oreille sur MusicMe.
On aura donc compris, s'il était besoin de préciser, ce que CSS pense des concerts instrumentaux wagnériens constitués à partir d'extraits de ses opéras.
Commentaires
1. Le jeudi 26 mars 2009 à , par Papageno :: site
2. Le jeudi 26 mars 2009 à , par Central CSS Data Processing Center
3. Le jeudi 26 mars 2009 à , par Sylvain, le lutin des forêts
4. Le jeudi 26 mars 2009 à , par DavidLeMarrec
5. Le jeudi 26 mars 2009 à , par Papageno :: site
6. Le vendredi 27 mars 2009 à , par Sylvain
7. Le vendredi 27 mars 2009 à , par DavidLeMarrec
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