Le retour des Fées : Paris-Châtelet 2009 - IV - mise en scène
Par DavidLeMarrec, dimanche 12 avril 2009 à :: L'horrible Richard Wagner - Disques et représentations - Opéra romantique allemand :: #1196 :: rss
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2. La représentation du 4 avril 2009
2.1. Mise en scène
On a pu lire pis que pendre de la mise en scène d'Emilio Sagi. Heureusement, CSS, rétribuant justement, et jusqu'aux cas désespérés, confondra impitoyablement les mauvais esprits et les poseurs blasés.
Il faut immédiatement préciser que les photographies qui circulent, effectivement horribles, ne rendent aucun compte de l'effet réel dans la salle. Il est probable, en revanche, qu'on perde beaucoup depuis les hauteurs du théâtre, à cause de la beauté des projections sur les mur en fond de scène (nous étions au parterre).
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La mise en scène de Sagi se montre très respectueuse du texte, dans une optique assez traditionnelle, mais sans littéralité. Les braves sont ainsi joliment dépenaillés, avec des costumes stylisés qui, en guise d'armures, utilisent de viriles toges qui ne recouvrent que partiellement leur thorax ; quelque chose d'équidistant entre l'antique et le moyenâgeux, mais sans imitation kitschouillisante.
On a beaucoup reproché les couleurs (pas toujours belles, il est vrai) du monde des fées (rose bonbon). Cela dit, ces fées malfaisantes et maladroites sont traitées de façon assez peu solennelle par Wagner - sans être tout à fait comiques, elles tiennent plus de Clotilde et Tisbe de Cenerentola que de la Reine de la Nuit. Seules les ailes en tulle géant laissaient dubitatif : distance plaisante ou littéralité un peu lourde ? On a aussi vu remarquer l'inutilité de la statue qui apparaît en arrière-scène pour annoncer le risque de pétrification - et qui est en effet très laide et pas tout à fait utile. Mais on a moins entendu louer le coloris des éclairages (de Sagi lui-même, ou de Daniel Bianco, auteur des décors ?), toujours pertinent et évocateur. Le jaune coquille d'oeuf qui s'ouvre en fond de scène éblouit avec douceur lors de l'apparition d'Ada, comme déversée depuis l'Autre Monde ; et surtout, à plusieurs reprise des projections bleutées quasiment tactiles, qui semblent plonger la scène tout entière dans un univers hors du monde, très efficace sur le spectateur pour faire oublier l'illusion théâtrale. On a songé, pendant le spectacle, à ce que laissent imaginer les photographies qui nous sont restées du Ring de Peter Hall. [Celui qui succéda à Chéreau, mal accueilli parce qu'il renouait en partie avec la tradition. Mal dirigé par Solti, et chanté de façon électrique par Nimsgern - extrait ici.]

Un morceau de la mise en scène de Peter Hall pour Walküre.
Evidemment, l'idée de la sobriété n'est pas la même - et il est fort possible, à la vue des photographies, qu'au contraire le statisme ait prévalu chez Hall. A voir.
Les photographies du spectacle de Sagi, en tout cas, ne rendent pas du tout cet impact qu'on devine dans celles de Hall, et pourtant, on ressentait quelque chose de cette nature - avec le même type d'ombres bleutées de toute façon.
D'une manière générale, le parti pris était celui d'être très proche du texte - ce qui est parfait pour une oeuvre rare -, mais toujours très mobile, avec succès. On voit ainsi les trois compères d'Arindal débouler du pieds des fées qui se retirent, pour nous rapporter la situation, et sans cesse en mouvement. On échappe aussi à la littéralité, parfois trop - le grand combat d'Arindal est figuré par des boîtes luminescentes qu'il contemple avant de les ouvrir, comme si sa quête était uniquement intérieure (une sorte d'apparition spirituelle de la délivrance, de solution au narcissisme) : cela se tient fort bien sur le plan du commentaire, mais scéniquement, l'idée n'était pas viable (et en décalage avec l'esthétique d'ensemble, plus démonstrative).
Même le bouton de rose qui a tant ému était très légèrement stylisé : on n'était pas non plus au Met. L'aspect général était lui aussi réussi : outre les ombres bleutées en guise de cadre qu'on a iniquées, l'atmosphère de confusion dans le palais menacé, à l'acte II, les liens écarlates tissés entre les membres du choeur, la cour tout entière en gris, déjà prête à être livrée, tout cela fonctionnait à merveille. On a même apprécié le lustre incliné du dernier acte, sorte de symbole décadent d'un univers brillant en péril, de même que la valeur d'Arindal, prise en défaut par sa douleur, à l'acte précédent (il est par ailleurs seul dans la pénombre de la déraison, dans la scène d'ouverture de cet acte III) - on peut concéder sur ce point un aspect un peu kitschisant, mais en rien imitatif, sans prétention de mauvais réalisme comme on le voyait dans les mises en scène d'antan. [Chacun se souvient de la scène-culte du dernier acte de la Force du destin à Naples, où Don Carlo di Vargas retrouve la trace de son ennemi en voyant inscrit au-dessus de la grotte cette providentielle inscription sur une jolie plaque cuivrée : Ermitage...]
Enfin, les paillettes figuraient en réalité le monde aquatique d'Ada, et le fait de s'y vautrer pendant les récits de l'acte I permettait de donner un peu de scénique à une parole figée - une très bonne trouvaille, en réalité.
Plus de l'ordre du choix, on a pu remarquer certaines postures un peu tactiles des fées (Farzana et Zemira séduisent gentiment les compagnons d'Arindal, pour occuper l'action scénique pendant un ensemble figé), mais elles peuvent se justifier dans la mesure où l'univers de ces fées-là est profondément lié au rapt de l'homme par la femme, menant à une existence recluse et dorée, une forme d'envoûtement par l'amour. [Et tout cela restait fort allusif.]
Enfin, quelques clins d'oeil sympathiques nous ont mis en joie. L'attente de Gernot, gettant sa promise Drolla, se tapotant les genoux, bondissant en bégayant à son arrivée, avait tout de Papageno, et il est vrai que le duo a quelque chose de cet esprit-là. Surtout, le cercle écarlate qui enserre Ada lors de sa pétrification rappelle aux wagnériens de la salle qu'il s'agit déjà du motif littéraire de Brünnhilde.
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En somme, si les photographies laissent un (mauvais) goût épouvantable, et si le metteur en scène revendique une filiation pop, le résultat, en réalité, est non seulement physiquement agréable à contempler, mais de surcroît très mobile et efficace. C'est une réalisation assez idéale pour une oeuvre rarement mise en scène : pas de littéralité qui affadisse l'oeuvre ou rende impossible l'appropriation ultérieure du spectateur, une vraie proximité bien claire avec le livret, une direction d'acteurs efficace qui assure une fluidité qui n'est pas toujours dans la partition.
En somme, une mise en scène qui compensait certaines faiblesses, sans rien rogner des qualités de la pièce. Une belle réussite scénique. Pour le commentaire profond de l'oeuvre, on lira des livres ; pour le plaisir de sa représentation, on pouvait aller au Châtelet.
Commentaires
1. Le mercredi 15 avril 2009 à , par Morloch :: site
2. Le mercredi 15 avril 2009 à , par DavidLeMarrec
3. Le mercredi 15 avril 2009 à , par DavidLeMarrec
4. Le vendredi 8 mai 2009 à , par DavidLeMarrec
5. Le vendredi 8 mai 2009 à , par Morloch :: site
6. Le vendredi 8 mai 2009 à , par DavidLeMarrec
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