Clara juge de Richard (1)
Par DavidLeMarrec, jeudi 23 avril 2009 à :: Clara Wieck-Schumann - L'horrible Richard Wagner :: #1216 :: rss
1. Sur Tristan
A la fin de sa vie, Clara, s'arrêtant de passage à Munich pour entendre Manfred de son défunt Robert, note des observations aussi pertinentes qu'égarées à propos de Tristan und Isolde, qu'elle va entendre deux jours plus tard.
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Ta bouche tait-elle tes questions,
Ou bien laisse-t-elle entendre ma défaveur ?
Quoi que puisse proférer ma bouche,
Vois mes yeux - je t'aime !
La première partie de son commentaire est assez bien vue : Wagner joue précisément avec tous les codes moraux au nom de l'amour absolu, les brise même, comme elle l'a d'une certaine façon fait en désobéissant à son père, en s'alliant aux hommes de loi contre lui pour épouser Robert.
Cette extase quelque peu déshonnête qui parcourt l'assistance à l'écoute du Maître est également très révélatrice - Wagner suscite le fanatisme, voire l'exclusivité, comme aucun autre, tout un monde à lui seul. Au point que certains mélomanes, aujourd'hui encore, le fréquentent jusqu'à l'exhaustivité - et en écartant tous les autres...
Gluck en lui-même conserve l'armature thématique et structurelle de la tragédie lyrique ; le moins qu'on puisse dire est qu'il n'innove pas en matière de rythmique ou d'harmonie (il réduit même le spectre très considérablement !) ; enfin, contrairement à ce qu'a retenu l'histoire, son art est proche à l'extrême de Piccinni - je mets au défi l'amateur de Gluck de découvrir son rival à l'aveugle sans songer très fortement à lui (en tout aussi bien)...
Rien à voir, donc, avec la révolution du drame wagnérien, sa temporalité (interminable et) nouvelle, ses motifs récurrents et signifiants (ou leitmotive), ses très riches petites polyphonies, ses folies harmoniques. Gluck participe à la transformation d'un monde musical baroque en monde musical classique plus au diapason des autres arts (la Musique étant toujours en retard, du moins jusqu'à Wagner...), selon la logique de toute une époque. Wagner, à lui seul, fait l'Histoire de la Musique - ce qui, soit dit entre nous, est autrement plus fortiche.
La seconde partie du paragraphe, en revanche, passe assez nettement à côté de la symbolique la plus élémentaire - le philtre représentant, entre autres choses, une (très) vieille métaphore du coup de foudre. C'est en tout cas un amour instinctif, irréductible, et sans limites. Son expression très terrestre, particulièrement au premier acte, presque crue, a de quoi gêner absolument Clara, élevée dans un contexte luthérien, très pieuse, dont l'amour a toujours été fait de réflexions profondes et de sacrifices. Le caractère très instinctif, très individualiste en fin de compte, de cet attachement a tout pour lui répugner, sorte de miroir déformant odieux de ce qui a été la grande source d'énergie de son existence.
La vieille dame, devant ces êtres si proches qui se fourvoient, ne pouvait en toute logique pas vraiment adhérer, quitte à refuser de lire des symboles qu'elle était vraisemblablement en mesure de comprendre.
Au demeurant, on partage assez son sentiment : les personnages de Wagner, sortes d'archétypes nouveaux, ne sont pas attachants. Ce sont des figures stylisées, mythiques, pas des êtres proches du spectateur. On peut en revanche les remplir à loisir de sa propre expérience, de sa propre existence, et ils sont d'une plasticité admirable.
Ce n'est donc pas un défaut ou une maladresse, mais cela a tout pour déranger, c'est évident.
Commentaires
1. Le jeudi 23 avril 2009 à , par Lavinie :: site
2. Le jeudi 23 avril 2009 à , par DavidLeMarrec
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